ÉVÉNEMENTS DE VIE ET DÉPRESSION :
LA « HARVARD GRANT STUDY »
Françoise Radat
G.E. Vaillant a publié successivement, à un an dintervalle, les résultats dune étude longitudinale concernant le lien chronologique entre événements de vie négatifs et dépression.
Létude est exceptionnelle en ce quil sagit dun suivi prospectif de maintenant 55 ans dun groupe de sujets caractérisés à linclusion par labsence de maladie mentale et par la présence de facteurs de réussite socioprofessionnelle : 204 jeunes hommes ont été recrutés a Harvard entre 1940 et 1942 sur des critères de bonne santé physique et mentale, lexpression de rapports sociaux satisfaisants avec leurs pairs et une réussite scolaire supérieure à celle de la moyenne de la classe dâge.
Ainsi, pendant plus de 50 ans, les sujets ont répondu à un questionnaire bisannuel. Ils ont été interviewés à laide dun entretien semi-structuré à 30, 47 et 57 ans. Ils ont été examinés sur le plan physique tous les cinq ans à partir de lâge de 45 ans.
Plusieurs auteurs, au regard de lapproche événementielle, ont posé la question de la pertinence de la dichotomie dépressions « endogènes » versus dépressions « psychogènes », tous les types cliniques de dépressions semblant susceptibles dêtre réactionnels. Récemment la question de lévolution au cours de la vie de la capacité quont les événements négatifs dinduire une dépression chez un sujet donné a été loccasion de résultats contradictoires (1). R.Post (2) a fait de la constatation que les événements déclencheurs dépisodes thymiques chez un même patient sont de moins en moins importants, un argument clinique pour sa théorie du « kindling ».
Dans un grand nombre détudes portant sur les événements de vie chez les sujets souffrant de troubles dépressifs il existe de nombreuses sources derreurs dans linterprétation des résultats. La plus fréquente est due au fait que les patients attribuent rétrospectivement avec excès la cause des épisodes thymiques quils traversent aux événements de la vie. Lorsque le recueil des données concernant les événements de vie est réalisé de façon rétrospective chez des patients déprimés il convient de prendre en compte le fait que les événements à tonalité négative seront retenus alors que les événements positifs sont oubliés. Tous ces biais plaident en faveur détudes prospectives. Cest justement ce que propose le suivi longitudinal des sujets de la « Harvard Grant ».
Vaillant se place dans la perspective diachronique de létude de la dépression, considérant que cette affection ne se résume pas à lépisode mais entraîne des dysfonctionnements beaucoup plus durables à type par exemple de modification de lestime de soi, de réactualisation de schémas cognitifs négatifs. Ainsi, il pose lhypothèse dune relation en cercle vicieux entre événements de vie négatifs et dépression, les événements précipitant la survenue des épisodes dépressifs qui eux mêmes vont entraîner des événements négatifs.
Il faut bien sûr souligner quà lépoque où létude a été initiée ni les critères diagnostiques actuels, ni les instruments de mesure modernes nexistaient. Les auteurs ont donc élaboré une méthodologie originale pour évaluer la probabilité de survenue dun trouble du spectre thymique : probabilité évaluée en fonction de symptômes rapportés par les sujets eux même, dun diagnostic porté par un psychiatre, de la prise de traitements antidépresseurs, dune hospitalisation. Tous ces événements ont été évalués en aveugle, par un psychiatre, à la lecture des questionnaires remplis tous les 6 mois par les sujets.
Au total sur les 113 survivants en 1983 on pouvait porter le diagnostic de trouble du spectre affectif chez 12 sujets.
Dans le premier article (3), lauteur met en évidence lexistence dune corrélation entre les événements de vie négatifs passés et la survenue dun trouble du spectre affectif. Cette corrélation nest pas retrouvée pour lalcoolisme ni pour les problèmes de santé physique. Létude permet de déterminer grâce à un modèle de Cox les facteurs prédictifs des troubles du spectre affectif. Trois facteurs interviennent : lhistoire familiale de dépression qui pour lauteur représente le poids génétique, la stabilité psychosociale pendant les années de collège qui représente une variable de personnalité et enfin le score des événements de vie négatifs passés qui a le poids prédictif le plus important.
Dans le second article (4), Vaillant sintéresse à la possible induction dévénements de vie à tonalité négative par la dépression. Il différencie les événements négatifs « dépendants » de linteraction du sujet avec lenvironnement tels les séparations, divorces, difficultés au travail, difficultés avec la justice... et les événement négatifs « indépendants » tels la maladie ou le décès des parents, de lépouse, des enfants...
Lauteur montre que les événements négatifs « dépendants » sont significativement plus fréquemment retrouvés après la survenue dun trouble du spectre affectif que chez les autres, résultat qui nest pas retrouvé pour les événements négatifs « indépendants ». A linverse les comportements de recherche daide spécifique (prise de traitement, consultation chez le psychiatre) ne sont pas associés à un type particulier dévénements.
Bien entendu la variable trouble du spectre affectif est peu spécifique, la liste des événements est arbitraire, le stress chronique est occulté, mais ces articles mettent en lumière linterrelation entre la dépression et léchec affectif et socioprofessionnel chez des sujets ayant justement tous les facteurs de réussite de leur côté. On conclut bien entendu à lintérêt de traiter les symptômes résiduels de la dépression. Ils confirment également le modèle étiologique plurifactoriel de la dépression tel quil a été proposé par Klerman (5) : les variables prédictives de ladaptation dun individu aux événements stressants sont lhérédité, la survenue événements négatifs dans lenfance, le support psychosocial actuel.
(1) Hammen C., Gitlin M. : Stress reactivity in bipolar patients and its relation to prior history of disorder ; Am. J. Psychiatry 1997 ; 154 : 856-857.
(2) Post R. M. : Transduction of psychosocial stress into the neurobiology of recurrent affective disorder ; Am. J. Psychiatry 1992 ; 149 : 999-1010.
(3) Cui X., Vaillant G.E. : Antecedents and consequences of negatives life events in adulthood : a longitudinal study ; Am. J. Psychiatry 1996 ; 152 : 21-26
(4) Cui X., Vaillant G.E. : Does depression generate negative life events ? J. Nerv. Dis.1997 ; 185 : 145-150.
(5) Barret J. E., Rose R.M., Klerman G.L. : Stress and mental disorder ; a three factor causal model of depression ; New York, Raven Press, 1979.
Lefficacité thérapeutique des électrochocs (ECT) dans les états dépressifs nest plus à démontrer, pas plus que celle des molécules de la classe des antidépresseurs. Le choix de lune ou lautre approche dépend de lintensité de létat dépressif, de sa réponse antérieure éventuelle à lun ou lautre traitement, des disponibilités locales et des convictions idéologiques du thérapeute...
Pourtant, aucune des deux méthodes nest totalement efficace et bien souvent, cest le recours aux deux stratégies qui permettra lobtention dun résultat satisfaisant.
Ainsi, comme le rappelle Charles Kellner dans un récent éditorial, les ECT utilisés seuls présentent un taux de rechute élevé, supérieur à 50 % à six mois dans plusieurs études. Lassociation avec un traitement antidépresseur est donc en pratique indispensable. Le taux de récidives descend alors à moins de 20 %. La question nest donc pas antidépresseur OU ECT, mais quel antidépresseur choisir et à quel moment ladministrer ?
Quel antidépresseur choisir ? Les données de la littérature opposent les produit dérivés de limipramine qui auraient un effet potentialisateur de laction des ECT, et les sérotoninergiques qui présenteraient un intérêt sur la prévention des rechutes. Ainsi, à la phase aiguë, lassociation ECT-imipramine savère supérieure à ECT-paroxétine. Par contre, à six mois, le taux de rechute est supérieur chez les patients sous imipramine que chez ceux sous paroxétine.
A quel moment ladministrer ? Faut-il interrompre le traitement antidépresseur durant les chocs et le reprendre après ou le changer compte tenu de son insuffisance defficacité ? Là encore, la réponse à ces questions est loin dêtre univoque.
Elle rejoint en effet celle des interactions médicamenteuses avec le protocole de lanesthésie à la phase aiguë. Les interactions anesthésie - curarisation et antidépresseurs ont fait lobjet de nombreuses publications. Il est classique de distinguer trois grands groupes pharmacologiques : les IMAO, les imipraminiques et les sérotoninergiques. Sans reprendre la pharmacologie des IMAO, très peu prescrits en France, on doit cependant rappeler que les principales complications de ce type de traitement sont cardio-vasculaires. En dehors des situations exceptionnelles où il sera possible dattendre deux... trois semaines darrêt du traitement IMAO avant dentreprendre les séances, le recours aux ECT pour ces patients va nécessiter certains aménagements du protocole anesthésique : les analgésiques morphiniques, les neuroleptiques (phénothiazidiques) et les barbituriques sont contre-indiqués du fait de possibles accidents tensionnels graves. Les benzodiazépines ainsi que les curarisants ne présentent par contre aucune contre indication.
Les antidépresseurs imipraminiques présentent moins dinconvénients. Ils interfèrent cependant avec les barbituriques, par lintermédiaire dune diminution dactivité du système microsomial hépatique. Ils majorent la durée des apnées sous thiopental et celle de lanesthésie. En raison de leur action anticholinergique, ils potentialisent également laction de latropine et antagonisent celle des curares dépolarisants (Célocurine). Par ailleurs, lamitriptyline augmenterait la durée de la curarisation en diminuant lactivité pseudo-cholinestérasique plasmatique et abaisserait le seuil dirritabilité myocardique par lintermédiaire dune action « quinidine-like ». Leur emploi nécessite donc aussi des ajustements posologiques, mais nest pas incompatible avec la pratique dune anesthésie générale. Ils présenteraient en plus un effet potentialisateur sur laction des ECT.
Les données pharmacologiques dont on dispose sur les sérotoninergiques permettent de supposer quils présentent peu dinconvénients, principalement en raison de leur moindre toxicité myocardique, et de labsence deffet anti-cholinergique. A la phase aiguë, ils nauraient que peu deffet sur le résultat des ECT.
En pratique, comme le suggère lauteur, il faut avant tout faire preuve de bon sens ! Le recours aux ECT ne justifie en rien larrêt du traitement antidépresseur (sauf pour les IMAO) qui bien souvent savérera efficace après les séances.
En labsence de traitement antidépresseur antérieur et si les ECT savèrent efficaces, un relais par un sérotoninergique semble préférable pour prévenir les rechutes ; en cas dinefficacité, ladjonction dun imipraminique pourrait être proposée.
Kellner Charles H.
Combining ECT and antidepressants : time and reassess.
La réalisation pratique délectrochoc (ECT) nécessite une anesthésie générale en raison de la curarisation du patient. Il sagit là dune pratique aussi ancienne que lECT elle-même. Le choix du produit anesthésique nest pas sans conséquence sur les caractéristiques de la crise dépilepsie dont certains paramètres seraient garant de lefficacité thérapeutique (durée de la crise, durée cumulée des crises, rapidité darrêt de la crise...). Il doit donc faire partie intégrante de la démarche thérapeutique, en accord avec lanesthésiste.
Différentes substances sont aujourdhui disponibles. La plus utilisée et la plus ancienne est un dérivé barbiturique, le méthohexital (Brietal®). Il sagit du produit de référence en matière dECT. Les données de la littérature sont nombreuses. Cependant, depuis quelques années, dautres produits sont venus le concurrencer. Les inconvénients principaux de cette molécule sont dêtre un antiépileptique notoire, ce qui est en contradiction avec la prescription dECT, de provoquer un réveil parfois difficile et dinduire une instabilité cardiaque et hémodynamique, notamment chez les sujets fragilisés en raison dune accumulation du produit lors dinductions itératives comme cest le cas en matière dECT.
Parmi les alternatives, non barbituriques, le propofol (Diprivan®) est lun des anesthésiques les plus utilisés, notamment en France. Contrairement au méthohexital, il est métabolisé plus rapidement ce qui permet un éveil de meilleure qualité. Il est par ailleurs mieux supporté au plan hémodynamique, limitant même la poussée hypertensive induite par la crise dépilepsie. Il possède en outre une activité antiémétique et antinauséeuse qui peut-être intéressante dans la prévention des pneumopathies de déglutition post-crise. Cependant, en raison de labsence daction anticholinergique, il existe un risque réel de réaction vagale lors de la première phase de la crise et plusieurs cas darrêt cardiaque ont été rapportés. Par ailleurs, bien que non barbiturique, le propofol provoque un raccourcissement de la durée de la crise EEG.
Geretsegger et coll. (1) ont comparé les avantages et les inconvénients respectifs de ces deux molécules. Pour ce faire, ils ont réalisé 146 traitements sur 31patients, en leur administrant, après tirage au sort, lun ou lautre des anesthésiques. Ainsi, 70 chocs ont été réalisés avec du méthohexital et 76 avec du propofol. Le reste de la méthode utilisée est classique et standardisée pour les deux populations (curarisation, oxygénation...).
Lanalyse des résultats confirme les données existantes. Au niveau cardio-vasculaire, le propofol savère mieux toléré, avec un meilleur contrôle de la réaction hypertensive post-stimulation et de la fréquence cardiaque. Au niveau EEG, le propofol entraîne une diminution marquée de la durée de la crise (34 secondes contre 53secondes sous méthohexital). Cependant, cet effet antiépileptique ne se traduit pas par une baisse defficacité du traitement. Par ailleurs, ces auteurs ne retrouvent pas davantage majeur en terme de rapidité et de qualité déveil entre les deux molécules. Ils en concluent que létat du patient, dans les minutes qui suivent une séance dECT, dépend davantage de lintensité de la période confusionnelle post-critique que de la rapidité de catabolisation de la molécule anesthésique.
Martin et coll. (2) arrivent à des conclusions semblables pour le cas clinique quils rapportent. Il sagit dun jeune homme de 28 ans, traité par ECT pour un trouble dépressif majeur. Il reçoit dabord huit chocs sous anesthésie au thiopental (anesthésique barbiturique). La durée moyenne des crises est de 39secondes. En raison des céphalées et de douleurs musculaires, il est anesthésié lors des trois chocs suivant par propofol. La durée des crises tombe à 17secondes ! Sans modification des autres paramètres. Les auteurs décident alors de revenir au thiopental et la durée moyenne des crises repasse à 48 secondes. Ils en concluent que le propofol nest pas le meilleur inducteur anesthésique pour les sismothérapies...
Autre anesthésique non barbiturique, letomidate (Hypnomidate®) est un dérivé imidazolé qui est rapidement métabolisé. Il sagit dun hypnotique intraveineux, dépourvu deffet antalgique et possédant une bonne tolérance cardio-vasculaire sans dépression respiratoire marquée. Il présente également un effet protecteur cérébral accompagné dune baisse de la pression intracrânienne. Saffer et coll. (3) ont comparé lintérêt de cette molécule par rapport à un anesthésique barbiturique, le thiopentone. Ils ont constitué un groupe de 37 patients devant recevoir une série dECT. Durant les séances, ils étaient endormis alternativement par lune ou lautre des molécules. 35 sujets ont reçu des chocs bilatéraux, 2 des chocs unilatéraux. La méthodologie était semblable quel que soit lanesthésique.
Les résultats montrent que la durée moyenne des crises est significativement supérieure sous etomidate (34 secondes) que sous thiopentone (22 secondes).
Lanalyse de ces publications soulève un certain nombre de questions :
Quel anesthésique choisir pour une série dECT ?
Faut-il se fier à lhabitude de lanesthésique, ce qui est très largement le cas dans la plupart des services ou bien faut-il chercher à tout prix à maximaliser la durée des crises ?
Faut-il privilégier les critères dévaluation EEG ou la sécurité de linduction anesthésique ?
La réponse à ces questions nest pas évidente. En effet, lacte anesthésique nest pas dépourvu de risques et constitue même la première cause de mortalité en matière dECT. Aussi, la connaissance du produit injecté et de ses répercutions sur les fonctions vitales du patient par lanesthésiste constitue la meilleure garantie de sécurité. Le meilleur anesthésique est donc celui que lon connaît!
A partir de là, certaines situations peuvent inciter à modifier les habitudes. La non-survenue de crises efficaces (> 25 secondes) doit faire remettre en cause lanesthésique autant que provoquer le recours à des substances proconvulsivantes (caféine, théophylline, oxygène...). La fragilité de certains sujets fera privilégier quant à elle des molécules ayant peu de répercussions cardio-vasculaires ou respiratoires.
Enfin, et cest là lun des nombreux paradoxes de lECT, il ne faut pas perdre de vue que si des travaux ont montré que certaines molécules réduisaient ou augmentaient la durée des crises EEG, aucune na montré que cela modifiait lefficacité du traitement...
Doit-on en conclure que la durée de la crise, ponctuellement ou cumulativement est sans intérêt ? Existe-t-il un effet seuil ? Et que dire sil se confirmait que les ECT agissent en raison de leur activité anticonvulsivante comme le suggèrent certains travaux récents ?
On le voit, les électrochocs nont pas fini de secouer les cerveaux de ceux qui les utilisent...
(1) Geretsegger C., Rochowanski E., Kartnig C., Unterrainer A.
Propofol and methohexital as anesthetic agents for electroconvulsive therapy (ECT) : a comparison of seizure quality measures and vital signs.
J. of ECT 1998, 14 (1) : 28-35
(2) Martin B.A., Cooper R.M., Parikh S.V.
Propofol anesthesia, seizure duration and ECT : a case report and literature review.
J. of ECT 1998, 14 (2) : 99-108
(3) Saffer S., Berk M.
Anesthesic induction for ECT with etomidate is associated with longer seizure duration than thiopentone.
IMPORTANCE DE LA CONTINUITÉ DES SOINS CHEZ LES SUICIDANTS
Françoise Chastang
La continuité des soins dont on connaît limportance fondamentale dans la prise en charge des patients en psychiatrie pose-t-elle les mêmes problèmes en France quen Suède ? Devant une réponse probablement positive, il peut être utile de sattarder sur létude de Hulten et Wasserman qui analyse le déroulement du processus suicidaire chez 34 jeunes âgés de 15 à 24 ans suivis en psychiatrie et décédés par suicide.
Les dossiers cliniques de ces 22 jeunes garçons et de ces 12 jeunes filles ont donc été revus par 3 psychiatres indépendants qui ont successivement noté le type de soins psychiatriques reçus et leur continuité, le diagnostic retenu, puis évalué le processus suicidaire notamment lexistence de tentatives de suicide antérieures, la communication didées suicidaires.
Sept jeunes étaient considérés comme psychotiques, 10 présentaient des conduites addictives et 17 souffraient de dépression. Treize ont initialement été pris en charge par les services de pédopsychiatrie et 11dentre eux ont été secondairement suivis par les services de psychiatrie adulte, et 21 ont été suivis uniquement par des psychiatres dadultes. Vingt deux soit 65 % ont utilisé un moyen autolytique violent, le plus fréquent étant la pendaison.
Les points les plus marquants concernent la continuité des soins et lanalyse du processus suicidaire.
En ce qui concerne la continuité des soins, il est remarquable de constater que le passage des soins pédopsychiatriques à la psychiatrie adulte est caractérisé par une augmentation considérable du nombre dintervenants quel que soit le sous-groupe diagnostique considéré. Les jeunes suivis en pédopsychiatrie ont rarement vu plus dun thérapeute, alors que tous ceux qui ont été suivis en psychiatrie adulte ont vu plus de 10 médecins, deux jeunes filles déprimées en ayant même rencontré une trentaine ! La transition entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie adulte est manifestement difficile et la multiplicité des intervenants ne peut quaccroître la complexité de certaines prises en charge.
Dans le domaine du processus suicidaire, 24 jeunes soit plus de 70 % ont manifesté à leur thérapeute leur intention de mourir lors de leur dernière consultation avant leur suicide. Cette intention a été clairement exprimée par 66 % des déprimés, 50 % des psychotiques et 40 % des jeunes souffrant daddiction. Par ailleurs, près de 60 % de ces jeunes patients décédés de suicide avaient déjà réalisé au moins une tentative de suicide. Lors de la dernière consultation, seulement 3des 34 jeunes étaient considérés comme suicidaires, 2chez les déprimés, 1 chez les addictifs et aucun chez les psychotiques. De plus, la relecture des dossiers cliniques laisse entrevoir que dans environ les deux tiers des cas, un facteur déclenchant en rapport avec un stress majeur dorigine professionnelle, familiale, relationnelle ou en relation avec la prise en charge est retrouvé dans le mois voire la journée précédant lacte suicidaire. Ces résultats sont à rapprocher des déjà nombreux travaux réalisés en soins primaires qui soulignent que près de 80 % des suicidants ont consulté un médecin généraliste dans le mois précédant leur geste. Il faut se rendre à lévidence : de telles données sont de réelles leçons dhumilité montrant toute la complexité du processus suicidaire, complexité qui se situe bien au-delà du diagnostic psychiatrique, et qui engage de plus en plus les thérapeutes à redéfinir un syndrome présuicidaire.
Hulten A, Wasserman D. Lack of continuity : a problem in the care of young suicides. Acta Psychaitr scand 1998, 97, 326-333.
VERS UNE PRÉVENTION SECONDAIRE DES CONDUITES SUICIDAIRES CHEZ LES ADOLESCENTS PRÉSENTANT DES CONDUITES ADDICTIVES ?
Les comportements suicidaires des jeunes adolescents prépubères ont considérablement augmenté entre les années 1970 et les années 1990, et cette augmentation apparaît être en relation avec une majoration des conduites addictives. Telle est la principale conclusion dune étude menée par Fombonne chez 6 091 adolescents londoniens (dont 58,4 % de garçons), âgés en moyenne de 12,7 ans, ayant été soit suivis en consultation ou hospitalisés dans un service de pédopsychiatrie entre 1970 et 1990, et ce avec une méthodologie statistique est à la fois précise et de qualité.
Les résultats portant sur lensemble de léchantillon montrent quil nexiste pas deffet de période chez les jeunes filles, cest-à-dire que les comportements suicidaires, définis par lexistence didées, de menaces ou de gestes suicidaires, ont fluctué entre les années 1970 et 1990 sans augmentation significative. Par contre, ces comportements suicidaires ont augmenté chez les jeunes garçons, avec une prévalence de 6,5 % sur la période 1970-72 et une prévalence de 16 % sur la période 1988-90. Trois symptômes cliniques apparaissent liés à cette sursuicidalité, à savoir la dépression, les troubles du sommeil et la prise de substances toxiques. Il est également intéressant de remarquer que bien que les ruptures familiales aient significativement augmenté de 28 % à 46 % sur la période considérée, elles napparaissent pas comme étant un facteur prédictif de suicidalité dans le sous-groupe constitué par ces jeunes garçons. Il en est de même pour la pathologie dépressive qui, bien que liée aux comportements suicidaires, nen explique guère laugmentation. Par contre, labus de substances toxiques est dans cette étude le meilleur facteur prédictif du comportement auto-aggressif.
En comparant deux périodes, 1970-1979 et 1980-1990, Fombonne montre clairement que la sévérité du comportement suicidaire, définie par lexistence dune tentative de suicide, est significativement associée avec les conduites addictives et plus spécifiquement avec labus dalcool. De même, cest labus dalcool qui différencie le mieux les jeunes toxicomanes suicidaires des jeunes toxicomanes non suicidaires. De plus, fait important dans le domaine de la prévention, les conduites addictives ont précédé le comportement suicidaire dans environ 90 % des cas.
Bien sûr, les résultats de cette intéressante étude doivent être replacés dans leur contexte, et tous les adolescents suicidaires ne sont pas toxicomanes. Rappelons-le, cette enquête a été réalisée à partir dun échantillon de jeunes garçons suivis ou hospitalisés en pédopsychiatrie dans la grande métropole quest Londres. Elle sest intéressée au comportement suicidaire au sens large du terme, ce qui permet certes de dégager un axe de réflexion, mais qui ne prend pas en considération les rapports cliniques entre les troubles du comportement des jeunes adolescents et les idées suicidaires alors exprimées dans le cadre de ces troubles du comportement. Cependant, on ne peut sempêcher davoir envie, au vue de ces résultats, dengager des projets de prévention secondaire des comportements suicidaires chez les jeunes présentant des conduites addictives.
Fombonne E. Suicidal behaviours in vulnerable adolescents : time trends and their correlates. Br J Psychiatry 1998, 173, 154-159.