Le coût économique des troubles bipolaires et de la dépression
Keck, McElroy, et Duwan (Journal of Bipolar Disorder, vol 2, n° 1, 1998) rendent compte dun rapport conjoint de lUniversité de Harvard et de lO.M.S. (qui a déjà fait lobjet en partie des deux articles dans le Lancet en 1997, lun par Jenkins et lautre par Murray et al.). Pour lannée 1990, si lon évalue le coût global des maladies, sur les 10 causes principales de handicap, 5 sont des troubles psychiatriques : troubles bipolaires, dépression, schizophrénie, alcool, trouble obsessionnel compulsif. Les projections pour les 20 années à venir prévoient une augmentation de 10 à 15 %. Outre le coût personnel, familial et social, il existe un aspect économique pour ces maladies psychiatriques qui représentent, comme on le répète dans notre idiome xylo-glossique médico-administratif, un « réel problème de santé publique».
Les facteurs de handicap dans les troubles bipolaires sont liés essentiellement au début précoce (15-20 ans) qui compromet les apprentissages scolaires, universitaires et professionnels; et à la récurrence de cette affection. Après un premier épisode, il y a un risque de 80 à 90 % de voir apparaître de nouveaux épisodes. Cest une maladie de toute la vie. Dautre part, la guérison symptomatique ne coïncide pas avec une complète guérison fonctionnelle et il restera souvent une certaine incapacité, avec même parfois une détérioration progressive si les épisodes se répètent. Or, le diagnostic est encore rarement fait dès le début des troubles.
Le dollar étant la mesure de toute chose, on a apprécié de façon quantitative le coût des troubles bipolaires. Greenberg et al. (1993) donnent, pour lannée 1990, les chiffres suivants : pour les patients bipolaires traités : perte de 152 millions de journées de travail; et pour les non traités : 137 millions de journées de travail (vaut-il mieux pour autant ne pas traiter?). La diminution de productivité due aux troubles bipolaires et à la dépression a coûté 6.5 milliards de dollars U.S. pour les hommes et 9 milliards de dollars pour les femmes (plus vulnérables que les hommes à la dépression, comme on sait). Kessler et Frank (1997) attribuent aux troubles bipolaires 12 jours de travail perdus par mois pour 100 travailleurs. Wyatt & Henter (1995) ont estimé à 45 milliards de dollars U.S. le coût des troubles bipolaires pour 1991 aux U.S.A. : 7 milliards de coût direct (soins) et 38 milliards de coût indirect (17 milliards de perte de productivité, 8 milliards pour les malades suicidés, 6 milliards pour les proches devant se consacrer aux malades...).
Il est démontré que le coût du traitement proprement dit est très inférieur à lensemble des dépenses liées directement ou indirectement à la maladie. Toute thérapeutique qui vient prévenir, guérir ou simplement atténuer la pathologie représentera donc un gain évident pour léconomie dun pays. Ces études sont encore trop limitées.
Six études ont porté sur le lithium. Wyatt & Henter (1995) ont ainsi comparé une année avant lithium (1965) à une année après lintroduction du lithium (1969). Il est considéré que 40 % des patients ne tireront aucun bénéfice du lithium, et quun même pourcentage de patients ont été justiciables du lithium en 1969 et en 1983. Léconomie liée à la lithiothérapie est estimée à 2.88 milliards de dollars (valeur 1980) pour les 10 années suivant lintroduction de la lithiothérapie, et de 1.28 milliards en gains de productivité, soit une économie totale de plus de 4 milliards U.S.. McCready (1989) estime quaprès lintroduction du lithium, les hospitalisations ont été raccourcies de 14 jours, ce qui a permis une économie de 23 millions livres sterling (valeur 1987).
Ces études sont très importantes car elles pourront peut-être convaincre les responsables de la Santé quil faut encore traiter les patients et que les traitements représentent aussi une économie.
Marc L. BOURGEOIS (Bordeaux)