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  • Facteurs de vulnérabilité génétique dans la maladie maniaco-dépressive (Franck Bellivier)









  • FACTEURS DE VULNÉRABILITÉ GÉNÉTIQUE DANS LA MALADIE MANIACO-DÉPRESSIVE.

    Franck Bellivier

    Dès aujourd’hui on peut affirmer que la génétique aura marqué les neurosciences des années 90. Les gènes sont clonés à grande cadence, suivent leur caractérisation, la description de nombreux polymorphismes puis leur description complète par la séquence. Les progrès de la biologie moléculaire ont également permis la mise au point de techniques de typage sûres et rapides. Ces progrès ont fait naître l’espoir que ces techniques, appliquées à l’étude des maladies psychiatriques, allaient permettre de remporter les mêmes succès que ceux remportés dans d’autres maladies complexes, l’exemple le plus fameux étant celui de la maladie d’Alzheimer. De fait, les recherches en psychiatrie génétique ont connu un essor considérable durant ces années comme en témoigne l’augmentation du nombre de ses forums : au moins cinqrevues internationales lui sont spécialement consacré, un congrès annuel (World Congress on Psychiatry Genetics) et une place chaque année plus grande dans les congrès et les revues de psychiatrie généralistes est faite à des travaux de génétique.
    On sait depuis fort longtemps qu’il existe une concentration familiale de la maladie maniaco-dépressive. Les études de génétique classique ont démontré l’intervention de facteurs de vulnérabilité génétique pour rendre de compte de cette agrégation familiale des troubles de l’humeur. Cependant, la nature des facteurs de risque d’origine génétique et/ou environnementale n’a pu être identifiée et analysée avec précision.
    Dans cet article, nous présenterons d’abord les données issues de la génétique dite « classique » qui permettent de mettre en évidence la participation de facteurs de vulnérabilité génétique dans les troubles de l’humeur, puis nous montrerons l’hétérogénéité et la complexité des résultats issus des études cherchant à identifier ces facteurs de vulnérabilité génétique à l’aide des techniques de biologie moléculaire. Enfin, nous tenterons de décrire les difficultés méthodologiques propres aux recherches sur la génétique des troubles de l’humeur et nous chercherons quelles sont les voies de recherche qu’il convient de développer pour y faire face.
     

    FACTEURS GÉNÉTIQUES DE LA MALADIE MANIACO-DÉPRESSIVE

    On distingue classiquement plusieurs étapes pour démontrer l’intervention de facteurs de vulnérabilité génétique dans une maladie. Les études d’agrégation montrent le caractère familial de la maladie. Les études de jumeaux et d’adoption démontrent que cette agrégation familiale est liée à l’intervention de facteurs génétiques plutôt qu’à un environnement familial commun. Se pose ensuite la question de savoir comment la maladie se transmet de génération en génération. Ce sont les études de ségrégation qui tentent de modéliser le mode de transmission de la maladie. Nous allons envisager ces différentes étapes dans le cas de la maladie maniaco-dépressive (MMD).
     

    Études de la concentration familiale du trait

    L’augmentation du risque des dépressions uni et bipolaires dans les familles de proposants atteints de troubles de l’humeur est une donnée constante de la littérature démontrant l’existence d’une concentration familiale de ces pathologies. McGuffin et Katz (1986) (1) estiment (tableau 1) que le risque moyen de troubles dépressifs uni- ou bipolaires pour un apparenté de premier degré est de 19.2 % chez les bipolaires et de 9.7 % chez les unipolaires. Ces chiffres sont donc beaucoup plus élevés que la prévalence de la population générale évaluée par Reich et coll. (1982) (2) à 3 % pour les dépressions unipolaires et à 1 % pour les bipolaires.
    Par ailleurs, le risque de trouble de l’humeur est identique chez tous les parents de premier degré qu’ils soient parents, frères, soeurs ou enfants de proposants ayant une pathologie uni- ou bipolaire (3). En outre, bien que dans la population générale, le risque de dépression majeure semble être deux fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes, le taux de dépression chez les parents d’un proposant déprimé est identique quelque soit leur sexe (4). Enfin, le type d’agrégation familiale est différente selon le sous-type clinique du proposant ; en effet les apparentés de premier degré de proposants bipolaires ont un risque augmenté pour les troubles unipolaire et bipolaire, alors que les apparentés de patients unipolaires n’ont un risque augmenté que pour le trouble unipolaire, faisant apparaître à la fois une parenté et des différences entre ces deux sous-groupes du pont de vue de leur étiologie.

    Tableau 1

    Troubles de l'humeur chez les apparentés

    De premier degré de proposants unipolaires et bipolaires

    (Mc Guffin et Kartz, 1986 (1)

     

    Nbre de sujets à risque

    Risque morbide

    Chez les apparentés du 1er degré

       

    BP

    UP

    Proposant BP

    3710

    7,8%

    11,4%

    Proposant UP

    2319

    0,6%

    9,1%


    Selon les pathologies dont la fréquence est accrue parmi les apparentés de premier degré de sujets malades, il est possible de définir les pathologies qui doivent être incluses dans le « spectre des troubles de l’humeur ». La concentration familiale des troubles de l’humeur « majeurs » comme les dépressions uni- ou bipolaires, les troubles schizoaffectifs et les épisodes dépressifs majeurs paraît démontrée. Les choses sont plus controversées pour d’autres pathologies qui, par conséquent, se situent à la limite de ce spectre comme les cyclothymies, les hyperthymies et les dépressions bipolaires II (3), les dysthymies (5) ou les anorexies/boulimies (6).
    L’approche familiale permet également de rechercher si la présence d’un symptôme affecte le taux de survenue et le type de pathologie chez les apparentés. Ainsi, Weissman et coll. (1986) (7) montrent que trois facteurs sont indépendamment associés à une élévation du risque morbide chez les apparentés : âge de début de moins de 30 ans, troubles anxieux concomitant (trouble panique, phobie ou anxiété généralisée) ou alcoolisme secondaire. Ainsi, les sujets déprimés ayant un âge de début inférieur à 20 ans ont un plus grand nombre de parents de premier degré atteints (24.2 %) et les apparentés de proposants présentant une dépression associée à un trouble panique ou à une anxiété généralisée ont un risque morbide deux fois plus élevé (20 %) que lorsque la dépression ne s’accompagnait pas de ces troubles (10.7 %).


    ÉTUDES DE JUMEAUX ET D’ADOPTION

    Ces deux méthodes permettent d’argumenter la question de l’intervention de facteurs génétiques lorsque la concentration familiale d’une maladie a été reconnue.
    Les études des jumeaux, faisant l’hypothèse d’une communauté d’environnement entre jumeaux monozygotes (MZ, 100 % du génome en commun), et les jumeaux dizygotes (DZ, 50 % du génome en commun), montrent de façon constante une concordance plus fréquente chez les MZ que chez les DZ pour la MMD. Si on considère les troubles dépressifs au sens large le taux de concordance varie de 33 % à 93 % pour les MZ et de 0 % à 23 % pour les DZ (tableau 2).

    Tableau 2
    Taux de concordance pour les troubles
    dépressifs chez les jumeaux MZ et DZ (8) :
         MZ     DZ
    AUTEURnconcordancenconcordance
    Luxenbegerv (1930) :475 %13 0 %
    Kallman (1954) :2792,6 %5523,6 %
    Allen (1974) :1533,3 %340 %
    Gershon (1975) :9169 %22613 %
    Bertelsen (1977) :5558,3 %5217,3 %
    Torgersen (1986) :3751 %6520 %
    Mc Guffin (1989) :62 53 %7928 %


    Pour revue complète de la bibliographie sur les études de jumeaux, voir Mc Guffin & Kartz (1989) (8).


    Ces études ont également permis de nuancer le poids des facteurs héréditaires pour différents sous-groupes de troubles de l’humeur ; ainsi la concordance est nettement supérieure pour les troubles bipolaires et décroît régulièrement depuis les troubles unipolaires, les épisodes dépressifs majeurs, les troubles dysthymiques et les troubles frustes de l’humeur (tableau 3). Le groupe des dépressions bipolaires apparaît donc plus homogène, plus « héréditaire », alors que le groupe des troubles unipolaires apparaît plus hétérogène. La variation des chiffres observés d’une étude à l’autre peut être expliquée par la variabilité des systèmes diagnostiques utilisés d’une part et/ou par le fait que les méthodes de recueil des données ne sont pas toujours semblables (par exemple, recueil systématique ou non, utilisation d’un registre de jumeaux, méthodes utilisées pour le diagnostic de zygotie).


    Tableau 3

    Mesure de la concordance en fonction de la

    pathologie uni ou bipolaire de la paire de

    Concordance de jumeaux (9)

         

    MZ

    DZ

    Typede paire

    n

    concordance

    n

    concordance

    UP/UP

    35

    54%

    17

    24%

    BP/BP

    34

    79%

    37

    19%


    Enfin, toutes les études de jumeaux ont mis en évidence une concordance entre jumeaux monozygotes clairement inférieure à 100 %, témoignant ainsi de la participation de facteurs non génétique à l’étiopathogénie de la maladie. Cependant, la compréhension des interactions entre facteurs environnementaux et génétiques nécessite d’avoir recours à d’autres méthodes que les études de jumeaux.
     
    Les études d’adoption portant sur les troubles dépressifs sont peu nombreuses et portent généralement sur de petits effectifs. Mendlewicz et Rainer (1977) (10) ont interrogé les parents (biologiques et adoptifs) de 29 sujets adultes bipolaires ayant été adoptés et de 22 adoptés témoins, comparés aux parents de 31 maniaco-dépressifs n’ayant pas été adoptés et aux parents de 20 individus ayant une poliomyélite. Ils montrent que les troubles de l’humeur (bipolaire, unipolaire, cyclothymie, et troubles schizoaffectifs) sont plus fréquents chez les parents biologiques (31 %) que chez les parents adoptifs (12 %) des sujets bipolaires adoptés et que chez les parents biologiques d’adoptés normaux ou souffrant de poliomyélite (10 %).
     


    Analyse de ségrégation


    Une fois démontrée l’intervention de facteurs génétiques, les analyses de ségrégation permettent de tester si la maladie répond à un mode de transmission mendélien ou pas. Dans le cas des troubles de l’humeur, et de la maladie maniaco-dépressive en particulier, la réponse est claire : les études ne mettent pas en évidence un modèle mendélien (11). Cependant, la puissance des méthodes utilisées pour détecter un gène majeur est faible pour des maladies complexes comme les maladies psychiatriques qui sont probablement en rapport avec l’intervention de plusieurs facteurs génétiques en interaction avec des facteurs environnementaux et/ou liés au développement. Au total, les analyses de ségrégation qui sont conçues pour des modélisations simples ne peuvent, semble-t-il, rendre compte de la complexité des données observées en psychiatrie. En effet, l’incertitude portant sur la définition du (ou des) phénotype (s) maladie, l’âge de début variable, la pénétrance incomplète, l’hétérogénéité clinique, étiologique et certainement génétique, constituent d’importantes difficultés méthodologiques. Malgré ces difficultés, les progrès réalisés en biologie moléculaire, offrant aux généticiens un grand nombre de marqueurs polymorphes, ont donné un nouvel essor aux recherches génétiques en psychiatrie.
     


    ÉTAT ACTUEL DES ÉTUDES DE LIAISON DANS LA MALADIE MANIACO-DÉPRESSIVE


    Les études de liaison testent la vraisemblance de la co-ségrégation d’un marqueur génétique et de la maladie dans des familles comportant plusieurs personnes atteintes. Cette vraisemblance est mesurée par le Lod-score ; lorsqu’il est inférieur à -2, on conclue à l’absence de liaison avec un risque de se tromper inférieur à 1 %, lorsqu’il est supérieur à 3, on conclue à l’existence d’une liaison, avec un risque de se tromper inférieur à 0,1 %. Entre les deux, on ne peut conclure.
    A l’heure actuelle, au moins 14 localisations chromosomiques ont fait l’objet de publications de résultats positifs au cours des 10 dernières années. Cependant, aucun de ces résultats n’a jamais été répliqué de manière convaincante bien que certaines régions chromosomiques aient été impliquées à plusieurs reprises (tableau 5).


    Tableau 5
    Études de liaison positives dans la maladie
    maniaco-dépressive
    (d’après Risch et Botstein, 1996) (13)
    LocalisationLodAnnéeAuteurs
    Xq2813,41972-80Mendlewicz et
    2,11997Baron
    1,51984Del Zompo et coll.
    7,51987Baron et coll.
    11p154,91987Egeland et coll.
    Xq273,11987Mendlewicz et
    3,91992Lucotte et coll.
    2,21993Jeffries et coll.
    Xq24-253,51995Pekkarinen et
    5q351,41993Coon et coll.
    21q223,41994Straub et coll.
    12q232,11994Craddock et coll.
    18p--1994Berrettini et coll.
    18q1,7-3,11995Stine et coll.
    16p132,71995Ewald et coll.
    18q--1996Freimer et coll.
    4p164,81996Blackwood et coll.
    6p24, 13q13,
    15q112,5/1,4/1,11996Ginns et coll.


    Marqueurs liés au chromosome X

    Historiquement, la liaison au chromosome X est la plus ancienne puisque elle a été mise en évidence dès 1969 par Winokur, Clayton et Reich (1969) qui ont été les premiers à montrer que le locus du daltonisme, situé à l’extrémité du bras long du chromosome X (q27-ter), ségrégeait avec les troubles bipolaires dans une seule grande famille. Par la suite, ce résultat a été répliqué à des marqueurs phénotypiques liés au chromosome X, tels que le groupe sanguin Xg (Mendlewicz et coll. 1972), la Glucose-6-Phosophate-Déshydrogenase (G6PD) qui est proche du locus du daltonisme (Xq28) (Mendlewicz et coll. 1980), le facteur IX de la coagulation (Mendlewicz et coll., 1987). De nombreux résultats positifs ont également été obtenus avec des polymorphismes génomiques de l’extrémité distale du bras long du chromosome X (Berrettini et coll. 1997). Cependant, un nombre aussi important de résultats négatifs, tant avec des marqueurs phénotypiques, qu’avec des polymorphismes de l’ADN sont venus contredire ces résultats, suggérant l’existence d’une hétérogénéité génétique (Risch et coll. 1986).
     


    Marqueurs liés aux autosomes


    Antérieurement à l’étude des polymorphismes de l’ADN, les études réalisées ont surtout porté sur le groupe sanguin HLA, soulevant ici encore de nombreuses polémiques. En Italie, Smeraldi et coll. (1978) ont suggéré ainsi que le locus HLA (chromosome 6) pourrait être lié à un éventuel facteur de susceptibilité à la dépression. Cependant, aucune des études ultérieurement réalisées n’ont permis de confirmer cette hypothèse.
    En 1987, le premier résultat positif de liaison entre les troubles de l’humeur et les polymorphismes de l’ADN situés à l’extrémité distale du bras court du chromosome 11, a été mis en évidence dans l’isolat génétique nord Américain de la communauté Amish. Cette étude a analysé des marqueurs du gène de l’insuline (INS) et de oncogène Harvey-ras (HRAS). Une valeur de lod score maximum de 4.083 est obtenue avec HRAS et de 2.63 avec INS (Egeland et coll. 1987). Ce résultat a généré un grand enthousiasme car à proximité du gène de l’insuline et de l’oncogène HRAS se trouve le gène codant pour la tyrosine hydroxylase, enzyme de l’étape limitante de la synthèse des catécholamines. Néanmoins, à ce jour, aucune étude n’a pu répliquer ce premier résultat positif (Detera-Wadleigh et coll., 1987 ; Hodgkinson et coll., 1987 ; Gill et coll., 1988 ; Mendlewicz et coll. 1991, Mitchell et al, 1991 ; Byerley et al, 1992). De plus, Kelsoe et coll. (1989) publient « une ré-évaluation » de cette liaison génétique entre les marqueurs de l’extrémité distale du chromosome 11 et les troubles de l’humeur à partir d’une extension de la famille initialement identifiée dans la population Amish et tenant compte du changement de statut de quelques individus. Quel que soit le modèle utilisé, les lods scores avec les marqueurs du chromosome 11, INS et Harvey-ras, ne sont pas supérieurs à 3. En d’autres termes, la liaison génétique initialement mise en évidence n’est plus retrouvée. L’interprétation donnée par les auteurs à ce résultat est l’existence d’une hétérogénéité génétique à l’intérieur même de cette grande famille. On peut également faire l’hypothèse que plusieurs gènes à effet additif interviennent pour déterminer la susceptibilité à ces maladies et que ces gènes sont d’autant plus difficiles à détecter que le modèle génétique qu’on utilise, pour réaliser l’analyse de liaison, est inexact. On peut également supposer que dans ce type d’études où plusieurs tests sont successivement réalisés en considérant différents modèles génétiques et différentes classifications diagnostiques, le résultat positif initialement rapporté pourrait avoir été trouvé par pur hasard, puisqu’on augmente les chances de trouver un résultat positif en effectuant plusieurs tests.
    D’autre part, des lod scores voisins de 1 ont été récemment obtenus avec le gène de la TH (Lim et coll., 1993 ; Malafosse et coll. 1997 ; Smyth et al 1996) ainsi qu’avec d’autres marqueurs du chromosome 11 (D11S29 en 11q23-11qter ; TH, Hras et INS) suggérant également l’existence d’une hétérogénéité génétique (Coon et al, 1993). Plus récemment, des résultats positifs ont été obtenus mettant en évidence une liaison de la maladie maniaco dépressive avec des marqueurs couvrant la quasi-totalité du chromosome 18 (Berrettini et coll., 1994 ; Freimer et coll., 1996 ; Stine et coll., 1995), du chromosome 21 (Straub et coll., 1994), du chromosome 5 (Coon et al, 1993), du chromosome 16 (Ewald et coll., 1995) et enfin du chromosome 4 (Blackwood et coll., 1996). Ces résultats sont pour l’instant isolés et nécessitent d’être répliqués sur de nouvelles populations. (tableau 1).
    Les références des études de liaison dans la MMD dont nous avons détaillé les résultats dans cette section peuvent être trouvées dans les articles de Mendlewicz et coll. (1993) (12) et de Risch et Botstein (1996) (13).


    Limites des études de liaison dans l’analyse d’une maladie complexe telle que la maladie maniaco-dépressive


    La mise en évidence de liaisons avec des marqueurs génétiques très éloignés les uns des autres sur le génome semble indiquer l’existence d’une hétérogénéité génétique et/ou d’une hérédité polygénique dans la maladie maniaco-dépressive. En outre, la réalisation d’études de liaison en psychiatrie se heurte à deux types de problèmes méthodologiques qui pourraient expliquer la difficulté à répliquer la plupart des résultats positifs. Tout d’abord, en l’absence de critère de validité externe, les limites du phénotype maladie sont imprécises, conduisant, selon le seuil diagnostique que l’on se fixe, à des erreurs de classement entre sujets atteints et non atteints. De plus, le modèle génétique de la maladie maniaco-dépressive est inconnu ce qui nécessite de faire des hypothèses sur le mode de transmission de la maladie lors de la réalisation d’études de liaison. Clerget-Darpoux et coll. (1986) (14) ont clairement montré que l’utilisation d’un modèle génétique faux faisait perdre beaucoup de puissance aux tests de liaison.
    Les problèmes méthodologiques rencontrés lors de la réalisation d’études de liaison justifient le recours à des méthodes non paramétriques telles que les études d’association et de paires de germains atteints. En effet, ces études ne nécessitent pas que le mode de transmission soit connu et contrôlent le phénotype étudié. Ainsi, ces études peuvent porter sur des sous-groupes cliniques très homogènes, réduisant potentiellement l’hétérogénéité génétique sous-jacente.


     
    ÉTUDES D’ASSOCIATION DANS LA MALADIE MANIACO-DÉPRESSIVE


    Les études d’association consistent à comparer les distributions alléliques du marqueur génétique étudié dans les populations de sujets malades et de témoins, appariées sur un certain nombre de critères en particulier l’origine ethnique. Le choix des gènes « candidats » testés dans ces études est guidé par les progrès des recherches en neurobiologie qui suggèrent l’implication de telle ou telle protéine (enzyme, récepteur, neuromédiateur...) dans les troubles de l’humeur.
     


    Le gène de la tyrosine hydroxylase (TH)


    Le gène codant pour la TH est localisé à l’extrémité distale du bras court du chromosome 11 proche des gènes de l’insuline et de l’oncogène Harvey-Ras. Or, ce sont avec ces deux marqueurs qu’une liaison positive avec la MMD avait été démontrée (Egeland et coll., 1987). Dès lors, le gène codant pour l’enzyme tyrosine hydroxylase (TH) fut considéré comme un gène candidat. Ce d’autant, que la TH est l’enzyme de l’étape limitante de la chaîne de production des catécholamines. Son activité subit une régulation complexe, et varie au cours du développement, ainsi que d’une région à l’autre du cerveau et en fonction de l’activité cérébrale.
    Neuf études d’association entre différents marqueurs du gène de la TH et la MMD ont été publiées, fournissant des résultats contradictoires (Inayama et coll., 1993 ; Todd et O’Malley, 1989, Leboyer et coll., 1990 ; Nöthen et coll., 1990 ; Körner et coll. 1989, 1994, Gill M et coll., 1991, Perez de Castro et coll., 1995, Meloni et coll., 1995). Une meta analyse de ces résultats suggère l’existence de problèmes dans la sélection des témoins et une possible hétérogénéité génétique, à l’origine de ces résultats contradictoires (15). Dans cette étude, la prise en compte de l’ensemble des résultats, suggère également l’existence d’une association entre le gène de la TH et le MMD. Cette étude montre enfin qu’il s’agit probablement d’un facteur de risque ayant un faible effet.
    Les références des études d’association entre les polymorphismes du gène de la TH et la MMD pourront être retrouvées dans Bellivier et coll. (1998) (15).


    Le gène de la monoamine oxydase A (MAO A)


    Plusieurs arguments font de ce gène un bon « candidat » dans les troubles de l’humeur. Il s’agit d’abord de sa localisation chromosomique. Le gène de la MAOA est situé sur le bras court du chromosome X (Xp11.12 - Xp11.4) et l’hypothèse d’un gène de vulnérabilité localisé sur le chromosome X est une des plus ancienne piste dans la MMD. Cette enzyme est responsable, au niveau du système nerveux central, du catabolisme de la sérotonine, de la dopamine et de la noradrénaline. En 1993, Brunner et coll. démontraient une liaison entre une mutation ponctuelle du gène de la MAOA (entraînant un codon non sens) et des troubles associant un retard mental limite, des conduites agressives et des troubles de l’humeur.
    Plusieurs marqueurs du gène de la MAO A ont été décrits et testés dans des études d’association avec la MMD : 1) MAO A-CA : un dinucléotide repeat de l’intron 26, comprenant 12 allèles ; 2) MAO A-VNTR : Un dinucléotide repeat immédiatement adjacent à un VNTR comprenant une duplication imparfaite d’une séquence de 23 paires de bases ; en général seul le polymorphisme de longueur lié au VNTR est utilisé dans les études ; 3) MAO A-RFLP : la substitution de la troisième base d’un codon de l’exon 8 (C-->G en position 941) dont il résulte un polymorphisme de restriction par l’enzyme Fnu4H. Ce dernier polymorphisme est très fortement associé à l’activité MAO A dans un modèle in vitro (Hotamisligil et Breakefield 1991). Aucun de ces polymorphismes n’affecte la séquence d’acide aminé de la protéine (Hotamisligil et Breakefield 1991). Les études d’association entre la maladie bipolaire et ces marqueurs du gène de la MAO A ont fourni des résultats contradictoires. Quatre études indépendantes, trois dans des populations caucasiennes et une dans une population japonaise, rapportent une association entre le MAO A-CA et la MMD chez les femmes seulement (Lim et coll. 1995 ; Rubinsztein et coll. 1996, Kawada et coll. 1995 ; Priesig et coll. soumis). D’autres études dans des populations de caucasiens et de japonais, ayant utilisé ces trois marqueurs, n’ont pas mis de différence en évidence entre patients bipolaires et témoins, aussi bien chez les hommes que chez les femmes (Nothen et coll. 1995 ; Craddock et coll. 1995 ; Muramatsu et coll. 1997 ; Parsian et coll. 1997). L’interprétation de ces études contradictoires a également permis d’illustrer les difficultés qui résident dans le choix des groupes témoins et l’existence d’une hétérogénéité génétique. La réplication par quatre groupes indépendants d’une association plaide en faveur de l’existence d’un variant fonctionnel au locus MAO A conférant une susceptibilité à la MMD.
    Les références mentionnées dans cette section peuvent être trouvées dans les articles de Priesig et coll. ainsi que dans Parsian et coll. (1997).
     


    Les marqueurs du système sérotoninergique


    Plusieurs arguments suggèrent l’existence d’anomalies de la neurotransmission sérotoninergique dans la dépression. La concentration du principal métabolite de la sérotonine (5HT), l’acide 5-hydroxyindolacétique (5-HIAA) est abaissée dans le liquide céphalo-rachidien d’un sous-groupe de patients déprimés ayant fait une tentative de suicide grave (Van Praag et coll. 1970). D’autre part, le taux de sérotonine est diminué dans le cerveau de patients déprimés (Heils et coll. 1996), ainsi que dans les plaquettes de patients déprimés non traités (Heils et coll. 1996, Collier et coll. 1996b, Lesch et coll. 1996). En outre, la recapture plaquettaire de la sérotonine est diminuée chez les patients déprimés (Tuomitso et Tuakinaine, 1976). Enfin, les études de binding ont régulièrement montré une fixation diminuée de l’imipramine tritiée et de la paroxetine tritiée sur les sites de recapture et de transport, chez patients déprimés (Briley et coll. 1980 ; Owens et coll. 1994). Dès lors, les gènes codant pour des protéines impliquées dans le métabolisme sérotoninergique (synthèse, transport, catabolisme, récepteurs/effecteurs...) ont été considérés comme des candidats pour les études d’association avec la maladie maniaco-dépressive.
    Le gène du transporteur de la sérotonine (5HTT) :
    Le gène du 5HTT a été récemment cloné sur le chromosome 17 (17q11.2) (Lesch et al, 1994). Deux polymorphismes de ce gène ont été testés dans plusieurs études, à la fois dans la dépression unipolaire (Battersby et coll. 1996 ; Collier et coll. 1996a ; Furlong et coll. 1998 ; Hoehe et coll. 1998 ; Kunugi et coll. 1997 ; Stober et coll. 1996) et dans la dépression bipolaire (Collier et coll. 1996a ; Craddock et coll. 1996 ; Kunugi et coll. 1997 ; Battersby et coll. 1996 ; Bellivier et coll. 1997 ; Furlong et coll. 1998 ; Hoehe et coll. 1998 ; Stober et coll.1996), fournissant là aussi des résultats positifs et quelques études négatives. Une méta analyse des études de collier et coll. (1996a), Stober et coll. (1996), Ogilvie et coll. (1996) et Furlong et coll. (1998) (au total 375 patients bipolaires, 299 patients unipolaires et 772 témoins), ainsi qu’une étude récente sont très en faveur de l’existence d’un variant fonctionnel au locus du gène du 5HTT conférant une vulnérabilité à la MMD ou à un de ses sous-groupes (18). Les études contenant les arguments qui constituent le rationnel scientifique faisant du gène du 5HTTP un bon « candidat », ainsi que l’ensemble des études d’association entre les marqueurs de ce gène et les troubles de l’humeur sont citées dans Bellivier et coll. 1998 (18).
    Le gène de la tryptophane hydroxylase (TPH)
    La TPH est l’enzyme limitante de la synthèse de la sérotonine. Le gène codant pour la TPH est également un gène candidat dans la maladie maniaco-dépressive. Une étude portant sur 152 patients et 94 témoins a mis en évidence une association entre un marqueur du gène de la TPH et la MMD (19). Ce résultat n’a pas encore été répliqué. Une étude récente n’a pas mis en évidence d’association entre le gène de la TPH et la MMD (20)
     

    La région pseudo-autosomale


    Récemment, Yoneda et coll. (21) ont mis en évidence une association entre la MMD et un marqueur (DXYS 20) de la région pseudo-autosomale. Ce résultat n’a pas été répliqué dans de récentes études d’association (22).
     


    Autres gènes candidats


    Des associations entre la MMD et des marqueurs d’autres gènes candidats ont été suggérés mais il s’agit de résultats isolés qui n’ont été ni confirmés ni infirmés. Il s’agit de marqueurs des gènes du récepteur 2A de la sérotonine (23), de sous unités du récepteur GABA (24).
     


    Problèmes méthodologiques des études d’association


    Les principales limites des études d’association sont les biais de stratification, par lesquels une différence dans les distributions alléliques entre malades et témoins est observée parce que les deux populations comparées diffèrent pour une autre caractéristique que la présence ou pas de la maladie. La fréquence allélique d’un marqueur pouvant varier avec l’origine ethnique, le biais de stratification le plus fréquent résulte de l’hétérogénéité ethnique des populations comparées. Outre le contrôle de l’origine ethnique, la sélection du groupe témoin nécessite des précautions. En effet, lorsqu’on étudie une maladie fréquente (1 à 10 % dans la population générale pour la MMD), dont les facteurs de risques génétiques s’expriment en interaction avec d’autres facteurs et ayant un âge de début variable le risque d’inclure des sujets malades ou non encore malades dans le groupe témoin n’est pas négligeable, ce qui fait perdre beaucoup de puissance aux tests d’association. Le manque de précaution dans la sélection des groupes témoins et le non contrôle de l’origine ethnique des patients et des témoins sont probablement à l’origine des résultats parfois contradictoires des études d’association. Ceci a été illustré par deux méta-analyses des études d’association dans la MMD (15).
     
     


    CONCLUSION


    Au total, la quantité de résultats obtenus grâce aux progrès récents de la biologie moléculaire dans l’analyse de la composante génétique des troubles de l’humeur témoigne de la vitalité de ce nouveau champ de recherche. Toutefois la non-réplication de certains résultats positifs justifie la prudence. Ces résultats contradictoires soulignent, en outre, la nécessité de conduire des études de réplication, utilisant une méthodologie stricte. En outre, pour pouvoir utiliser au mieux les nouveaux outils de la génétique, il faut poursuivre une réflexion sur les limites des entités phénotypiques pertinentes pour l’analyse de la composante génétique et sur le choix des méthodes de génétique épidémiologique.
     
     


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    DÉPRESSION N° 15 Janvier/Février/Mars 1999
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