Carré titre









FOCUS

     
  • Stimulation magnétique transcrânienne (P. Delbrouck)
  • Bon anniversaire, Mr Schou (H. Verdoux)
  • L'effet "protecteur" du déficit schizophrénique (H. Verdoux)
  • Anxio-dépression : le retour (F. Chastang)
  • Accès auxsoins et prévention du suicide (F. Chastang)
  • ECT et théophylline (P. Delbrouck)
  • Le BDNF est-il un antidépresseur endogène ? (R. de Beaurepaire)









  • STIMULATION MAGNÉTIQUE TRANSCRANIENNE
    Patrick Delbrouck
     
    Depuis la découverte de l’activité électrique cérébrale par Berger en 1929, l’électricité n’a cessé d’être un outil d’évaluation, de diagnostic et de traitement des maladies mentales (ECT en 1938, potentiels évoqués en 1949...). L’extension au champ magnétique induit par tout courant électrique est plus récente et ce n’est que depuis une dizaine d’années que la psychiatrie s’intéresse aux applications possibles de cette énergie.
    La stimulation magnétique transcrânienne consiste à appliquer au tissu cérébral un champ magnétique intermittent, dont on peut faire varier la fréquence. Cette énergie stimule directement le cortex de façon atraumatique et constitue un outil diagnostique neurologique particulièrement intéressant. Les applications en psychiatrie ont fait l’objet d’une récente mise au point par B. K. Puri et S. W. Lewis (1).
    Historiquement, les premières stimulations magnétiques trancrâniennes remontent au début du siècle, mais il faudra attendre les années 80 pour voir cette méthode reprise par les médecins. D’un point de vue pratique, l’énergie délivrée par le champ magnétique est un million de fois plus faible que celle imposée par les ECT. La méthode apparaît non traumatique et sans effet secondaire majeur en dehors de céphalées. Les localisations d’application de la stimulation varient selon les équipes et les indications. Ainsi, en 1992 un auteur rapporte une stimulation corticale motrice qui permit le diagnostic de conversion hystérique devant une paraplégie. Mais les applications les plus intéressantes sont celles qui confrontent le recours à des stimulations itératives aux séances d’ECT. En effet, la méthode présente l’avantage de ne pas provoquer de crises d’épilepsie, ni d’induire de perte de connaissance et par la même supprime les risques d’anesthésie. Cependant, si la stimulation des zones corticales est aujourd’hui assez standardisée, celle des régions sous-corticales reste à explorer.
    En 1995, Greenberg et coll. rapportent l’utilisation de stimulations itératives chez des patients dépressifs, des sujets atteints de trouble obsessionnel compulsif et des volontaires sains. L’application en région préfrontale gauche améliore les signes dépressifs mais induit une sensation de tristesse chez les volontaires sains. L’application en préfrontal droit aggrave les sujets déprimés et angoisse les sujets atteints de TOC... Comme on le voit, la situation est loin d’être claire et de nombreux travaux restent nécessaires avant de diffuser la méthode.
    Des travaux sur le fonctionnement moteur des schizophrènes évalué par stimulation magnétique transcrânienne (SMT) ont montré des résultats contradictoires.
    Le couplage de la SMT avec les techniques d’imagerie modernes ouvrent des perspectives nouvelles pour explorer les troubles de l’humeur, notamment en provoquant des sentiments de tristesse ou de joie. La “production” d’hallucinations pourrait permettre une meilleure compréhension des symptômes psychotiques.
    Si les indications et les modalités d’application de la SMT restent largement à inventer, cette technique apparaît dès maintenant intéressante à suivre et pourrait être à l’origine d’une modification de nos habitudes diagnostiques et thérapeutiques.
     
    Puri B. K. et Lewis S. W.
    Transcranial magnetic stimulation in psychiatry research.
    Br. J. Psychiatry 1996, 169 : 675-677
     
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    BON ANNIVERSAIRE !
    Hélène Verdoux
     
    Schou présente dans cette conférence intitulée “Quarante ans de lithiothérapie” une synthèse de son expérience personnelle et des questions qui restent actuellement posées sur ce traitement. Il s’agit bien évidemment d’un vibrant plaidoyer en faveur du lithium, mais comment pourrait-on le reprocher à l’homme qui a permis la généralisation de ce traitement révolutionnaire ? Schou déplore en particulier que les effets prophylactiques du lithium dans les dépressions récurrentes unipolaires soient aussi peu étudiés et utilisés, et que la recherche psychiatrique Nord-Américaine ait imposé l’usage quasi-exclusif des antidépresseurs dans cette indication (aidée par le “marketing agressif” en faveur des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, pour citer les propos de Schou). Le lithium reste toujours pour Schou le traitement prophylactique de première intention de la maladie bipolaire, les autres thymorégulateurs n’ayant pas définitivement fait la preuve de leur efficacité dans cette indication.
    Dans la rubrique “Déceptions”, Schou indique que son plus grand regret est qu’il n’y ait pas eu réellement d’avancée spectaculaire depuis 40 ans en matière de traitement thymorégulateur, dans le sens où il n’existe pas encore de traitement qui serait radicalement supérieur au lithium ou aux autres thymorégulateurs en terme d’efficacité et d’effets secondaires. La deuxième déception réside dans le fait que le mode d’action du lithium n’est toujours pas connu. Enfin, pour finir sur une note dans le ton “Le meilleur des Mondes”, Schou s’interroge sur les risques inhérents aux recherches sur la régulation de l’humeur, et sur les possibilités éventuelles de “manipulations de l’humeur” que pourraient entraîner la découverte des mécanismes de cette régulation, qui “pourrait permettre aux gens de choisir de passer leur vie dans un état d’hypomanie chronique, subjectivement plus séduisant que la plus agréable des euphories induites par l’alcool ou le crack/cocaïne”. Et comme bouquet final, Schou remarque que s’il devient un jour possible “d’éradiquer” la maladie maniaco-dépressive via les “manipulations génétiques”, il faudra se rappeler que si de telles “mesures eugéniques” avaient été possibles et mises en pratique dans le passé, l’auteur lui même n’aurait probablement pas été là pour présenter cette revue sur le lithium. (Ce qui méritait d’être dit et souligné !!).
     
    Schou M. Forty years of lithium treatment. Arch Gen Psychiatry 1997, 54 : 9-13.
     
    Kupfer DJ, Frank E. Forty years of lithium treatment. Commentary. Arch Gen Psychiatry 1997, 54 : 14-15.
     
    Gershon S, Soares JC. Current therapeutic profile of lithium. Arch Gen Psychiatry 1997, 54 : 16-20.
     
    Gitlin M, Altshuler LL. Unanswered questions, unknown future for one of our oldest medications. Arch Gen Psychiatry 1997, 54 : 21-23.
     
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    DE L’EFFET “PROTECTEUR” DU DÉFICIT SCHIZOPHRÉNIQUE VIS À VIS DU SUICIDE
    Hélène Verdoux
     
    Fenton et McGlashan poursuivent la Chesnut Lodge Follow-Up Study, qui a déjà donné lieu à de multiples publications. Pour mémoire, cette étude évalue le devenir de patients schizophrènes hospitalisés entre 1950 et 1975 au Chesnut Lodge Hospital, pour lesquels les données sur l’hospitalisation index ont été recueillies de manière rétrospective sur la base de dossiers médicaux détaillés. Le devenir à long terme (19 ans en moyenne après l’hospitalisation index) a été évalué par un entretien avec les patients ou avec leurs proches. L’objectif de l’étude actuelle était de déterminer l’existence d’associations préférentielles entre risque suicidaire et type de symptomatologie/sous-types de schizophrénie. Le groupe de patients pour lequel un diagnostic initial de schizophrénie avait été posé incluait après réévaluation de ce diagnostic à la lumière des critères DSM-III, 187 patients schizophrènes, 87 troubles schizo-affectifs, 15 troubles schizophréniformes. Les auteurs rapportent que 6 % des patients schizophrènes se sont suicidés (représentant 43 % des décès survenus pendant la période d’évaluation), que 23 % d’entre eux ont fait au moins une tentative de suicide, et que près de la moitié d’entre eux (40 %) ont eu des idées suicidaires. Le résultat le plus intéressant de cette étude est que les patients qui se sont suicidés présentaient lors de l’admission index une symptomatologie négative moins intense que ceux qui ne se sont pas suicidés, et quelle que soit la catégorie diagnostique. Les résultats concernant la symptomatologie positive sont moins tranchés, même si une association positive est mise en évidence entre suicide et intensité de la symptomatologie délirante et de la méfiance. Si l’on considère les sous-types de schizophrénie, 12 % des patients paranoïdes se sont suicidés, contre 4 % des indifférenciés, et aucun des patients hébéphrènes. Les directions des associations sont similaires lorsque sont considérées les tentatives de suicide et l’idéation suicidaire. Les limites de cette étude sont celles de la Chesnut Lodge Study, à savoir la méthode rétrospective de quantification de la symptomatologie positive et négative et des diagnostics, et le biais de sélection de ce centre, qui accueillait préférentiellement les sujets issus d’un milieu socio-économique favorisé. Quoi qu’il en soit, l’association négative entre déficit et suicide chez les schizophrènes n’est probablement pas artéfactuelle. Les auteurs privilégient une interprétation “psychologique” de ce résultat, en soulignant que les symptômes négatifs protégeraient les patients contre la perte de l’estime de soi, le désespoir et la douleur liés à la prise de conscience de la maladie, tandis que les formes plus productives seraient plus exposés à cette prise de conscience douloureuse. On peut reprocher aux auteurs de ne pas évaluer le rôle d’un probable facteur de confusion qui est l’existence d’un syndrome dépressif, ce qui, il faut le reconnaître, n’est pas méthodologiquement évident dans cette étude. En d’autres termes, l’association mise en évidence n’est-elle pas liée à un tiers facteur, qui est l’existence de troubles thymiques plus fréquents dans les formes non-déficitaires ? Ce qui ne serait pas sans rappeler l’hypothèse proposée par Murray, selon laquelle les schizophrénies paranoïdes “avec un bon fonctionnement prémorbide, un âge de début tardif, une préservation des affects et des capacités cognitives, et une évolution intermittente”, pour reprendre les termes de Fenton et McGlashan, font très probablement partie du spectre des troubles de l’humeur. Il ne s’agit pas de tomber dans l’excès, et de conclure que tout schizophrène qui se suicide est un patient souffrant d’un trouble thymique méconnu. Mais il paraît tout aussi caricatural de conclure à un effet “protecteur” de la symptomatologie négative sur le risque de passage à l’acte suicidaire chez les schizophrènes.
     
    Fenton WS, McGlashan TH, Victor BJ, Blyler CR. Symptoms, subtype, and suicidality in patients with schizophrenia spectrum disorders. Am J Psychiatry 1997, 154 : 199-204.
     
    Murray R.M., O’Callaghan E., Castle D.J., Lewis S.W. A neurodevelopmental approach to the classification of schizophrenia. Schizo. Bull., 1992, 18, 319-332.
     
     
     
     
     
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    ANXIO-DÉPRESSION : LE RETOUR
    Françoise Chastang
     
    Travaillant dans une unité de soins spécialisée dans la prise en charge des troubles thymiques, Parker et coll (1) ont cliniquement constaté que les patients présentant un état dépressif à début précoce, c’est-à-dire survenant entre l’adolescence et le début de l’âge adulte, ont un devenir marqué par une récurrence accrue d’épisodes dépressifs par ailleurs plus longs. Les carences affectives précoces et la comorbidité psychique sont également plus fréquentes. Ces auteurs ont essayé, par une étude longitudinale, de caractériser les états dépressifs à début précoce et de rechercher les facteurs prédictifs de la récurrence. C’est ainsi qu’une cohorte de 114 femmes et de 56 hommes futurs enseignants a été suivie et évaluée tous les 5 ans depuis 1978 par un entretien semi-structuré (section des troubles thymiques et anxieux du Composite International Diagnostic Interview), l’état dépressif étant défini dans cette étude non seulement par le CIDI mais également par les critères RDC et une durée d’au moins 2 semaines. Pour chaque sujet, étaient déterminés le nombre total d’épisodes dépressifs sur la durée de l’étude, la durée cumulée des épisodes, ainsi que l’intensité de la symptomatologie, en distinguant les états dépressifs majeurs (présence d’au moins 5 critères) et les états dépressifs non caractérisés (présence de 3 ou 4 critères).
    En 1993, 104 femmes et 52 hommes ont pu être réévalués ; 89, soit 57 % de l’échantillon avaient présenté un état dépressif, qu’il soit majeur ou non caractérisés ; 54 (35 %) avaient souffert d’un état dépressif majeur et 33 (21 %) d’un état dépressif majeur ou non ; la prévalence des troubles anxieux était importante : 7 % d’agoraphobie, 13 % d’anxiété généralisée, 12 % de trouble panique, 18 % de phobie sociale et 16 % de phobies simples. En différenciant les troubles dépressifs à début précoce (avant 25 ans) des troubles dépressifs à début tardif (après 25 ans), les auteurs ont mis en évidence, et c’est leur principal résultat, qu’un état dépressif à début précoce était fortement associé à la présence de troubles anxieux, et plus particulièrement d’anxiété généralisée.
    Ces résultats ne sont pas extrapolables à la population générale. En effet, la cohorte est composée d’enseignants, qui constitue un sous-groupe bien particulier, à traditionnelle forte demande d’aide psychologique, ce qui peut en partie expliquer à la fois le faible nombre de perdus de vue et la haute prévalence des troubles anxieux et dépressifs, nettement supérieure à ce qui est retrouvé dans les études en population générale, comme par exemple dans l’enquête ECA. De même, la limite d’âge considérée pour différencier les dépressions d’apparition précoce des dépressions d’apparition tardive est arbitraire, bien que cliniquement compréhensible.
    Ils ont cependant l’indéniable mérite de relancer (une nouvelle fois) le débat souvent passionné sur les rapports étroits de la dépression et de l’anxiété, et plus particulièrement de la dépression et de l’anxiété généralisée. Est-ce une comorbidité, c’est-à-dire une coexistence de deux troubles sans a priori de relation causale ? L’anxiété est-elle à considérer comme un facteur de risque de la dépression à début précoce ? Existe-t-il une interconnexion symptomatique ? Ou bien peut-on retenir l’hypothèse d’un même trouble, d’un spectre anxio-dépressif qui s’exprimerait de façon variable dans le temps ?
    La prise en compte de ces éléments apparaît à terme particulièrement importante pour une meilleure compréhension des dépressions récurrentes et des doubles dépressions, qui se caractérisent très souvent par un début précoce et une association importante avec les troubles anxieux.
    (1) Parker G, Wilhem K, Asghari A. Early onset depression : The relevance of anxiety. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 1997 ; 32 : 30-37.
     
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    ACCÈS AUX SOINS ET PRÉVENTION DU SUICIDE
    Françoise Chastang
     
    A partir du fait actuellement bien connu que les suicidants consultent fréquemment leur médecin généralistes dans les semaines précédant leurs gestes suicidaire, Michel et coll (1) proposent une étude très actuelle sur la possible influence de la nature du système de soins sur la demande d’aide des patients traversant une crise suicidaire, en comparant les modes de consultation de deux pays aux systèmes de soins différents, à savoir la Suisse (Berne) et la Suède (Stockholm). La médecine libérale domine largement en Suisse ; elle est basée sur le libre choix et le libre accès au médecin, généraliste ou spécialiste, sans contrôle du nombre de consultations. Les médecins généralistes, les psychiatres et les structures hospitalières sont facilement accessibles. Le système de soins suédois est différent, organisé autour d’une médecine de quartier, tant pour les consultations que pour les hospitalisations. Les médecins généralistes sont plus nombreux en Suisse, où la clientèle est de l’ordre de 710 clients de plus de 15 ans par médecin généraliste à Berne, alors qu’elle est de l’ordre de 1374 patients par généraliste à Stockholm.
    Soixante-six suicidants admis à l’hôpital général de Berne au décours de leur geste (soit 20 % des suicidants répertoriés en 1990 dans cette ville) ont été comparés à 202 suicidants admis à l’hôpital de Stockholm (soit 44 % des suicidants répertoriés à la même époque), grâce à un instrument semi-structuré (European Parasuicide Study Interview Schedule) spécialement élaboré pour l’enquête européenne multicentrique portant sur l’analyse du phénomène suicidaire (2).
    Ces deux groupes apparaissent globalement similaires, sauf pour le statut professionnel, très variable d’un pays à l’autre en fonction des contextes socio-économiques
    Les résultats issus de cette comparaison donnent à penser. Quarante deux pour cent des suicidants suisses et 4 % des suicidants suédois ont consulté leur médecin généraliste plus de 4 fois dans l’année écoulée ; 13 % des suisses et 30 % des suédois n’ont pas vu de médecin traitant sur cette même période. La classique augmentation des consultations dans la semaine précédant le geste suicidaire est notée dans les 2 villes, mais s’avère être beaucoup plus importante à Stockholm (+ 32 %) qu’à Berne (+ 18 %). Parmi les patients ayant des idées suicidaires, 82 % des suisses et seulement 35 % des suédois les ont exprimées au médecin. La réponse fut plus souvent médicamenteuse en Suède, où un patient sur deux a par la suite utilisé ces produits comme moyen autolytique.
    Tout en se gardant de conclusions hâtives et trop générales, ces données, rapportées par des auteurs suédois et non pas suisses, tendent à montrer que la nature du système de soins est loin d’être anodine et qu’elle peut conditionner la qualité des soins prodigués, du moins ici pour les suicidants. Des consultations régulières voire fréquentes, et surtout la disponibilité des médecins généralistes favorisent une relation médecin-patient plus personnalisée, et probablement plus empathique, permettant une meilleure verbalisation des idées suicidaires. Notons cependant que la qualité de la relation médecin-malade n’est pas évaluée.
    De quoi susciter quelques réflexions sur la modification du système de santé actuellement en cours dans notre pays...
     
    (1) Michel K, Runeson B, Wasserman D. Contacts of suicide attempters with GPs prior the event : a comparison between Stockholm and Bern. Acta Psychiatr Scand 1997 ; 95 : 94-99.
     
    (2) Bille-Brahe U, Kerkhof A, De Leo D, Schmidtke A, Crepet P, Lönnquist J et coll. A repetition-prediction study of European parasuicide populations : a summary of the first report from Part II of the WHO/EURO Multicentre Study on Parasuicide in co-operation with the EC Concerted Action on Attempted Suicide. Acta Psychiatr Scand 1997 ; 95 : 81-86.
     
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    ECT ET THÉOPHYLLINE
    Patrick Delbrouck
    La réalisation d’électrochocs dépend en grande partie du seuil épileptogène du patient, c’est à dire de la quantité d’énergie à fournir pour déclencher une crise d’épilepsie généralisée d’une durée suffisante (plus de 25 secondes). Celui-ci dépend de nombreux facteurs dont l’âge, le sexe, les traitements médicamenteux associés, et surtout le nombre de chocs antérieurs. En effet, ce seuil augmente au fur et à mesure des séances, et il arrive qu’avec l’énergie maximale de l’appareil on n’arrive plus à provoquer de crises satisfaisantes. Le mécanisme de cette augmentation du seuil, qui peut d’ailleurs présenter un intérêt dans le traitement des crises d’épilepsie rebelles, reposerait sur une augmentation de l’activité des récepteurs A1 (adénosine).
    Dans ces cas, plusieurs solutions sont disponibles pour abaisser ce seuil. La plus simple est de faire respirer au sujet de l’oxygène pur deux à trois minutes avant le choc. On peut également administrer un antagoniste des récepteurs à l’adénosine, une base xanthique par exemple. La plus utilisée est la caféine, à la posologie d’une à deux ampoules par voie intraveineuse quelques minutes avant la stimulation. L’administration par voie orale présente moins d’intérêt et comporte des délais d’action aléatoires. Cette injection de caféine n’est pas dénuée d’effets secondaires, notamment à type de troubles du rythme cardiaque.
    Une autre alternative est le recours à la théophylline. F.G. Leenjens et coll. rapportent leur expérience au travers de dix patients (soit 55 chocs) qui ont nécessité l’utilisation de ce type de traitement adjuvant. Pour chaque cas, la situation est assez caractéristique. Après une période de réponses satisfaisantes, la réalisation d’une crise généralisée devient impossible ou trop brève, malgré l’association d’oxygène. Ne disposant pas de caféine injectable dans leur pays (Pays-Bas), les auteurs ont utilisé de la théophylline à la posologie de 100 à 200 mg en perfusion intraveineuse lente, 30 minutes avant le choc. Les résultats ont été favorables puisque tous les patients ont de nouveau présenté des crises généralisées d’une durée satisfaisante, avec des quantités d’énergie plus faibles qu’au début des séances. A noter cependant la survenue d’une crise prolongée (220 secondes) pour l’un des patients, sans conséquences sur les chocs ultérieurs. A noter également un patient ayant répondu favorablement dans un premier temps à 100 mg de théophylline, puis ayant nécessité trois chocs plus tard le recours à 200 mg dont l’effet s’est épuisé également au bout de trois chocs. Les auteurs durent alors appliquer deux stimulations successives à l’intensité maximale pour obtenir des crises comprises entre 25 et 35 secondes.
    Ils en concluent que la théophylline constitue une alternative intéressante pour augmenter le seuil épileptogène des patients devenus réfractaires aux ECT. Ils ne dénombrent aucune complication cardio-vasculaire, mais restent prudents sur les risques épileptiques. En effet, plusieurs auteurs ont rapporté des cas de crises prolongées sous théophylline et certains même des cas de maladie épileptique. Dans ces conditions, la réalisation d’ECT sous théophylline, dans un but de diminution du seuil épileptogène ou bien en raison d’une pathologie respiratoire sous-jacente, doit être réservée à des cas particuliers et sous surveillance renforcée.
     
    Leentjens A. F. G., van den Broek W. W., Kusuma A., Bruijn J. A.
    Facilitation of ECT by intravenous administration of theophylline.
    Convulsive Therapy 1996, 12 : 232-237
     
     
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    LE BDNF EST-IL UN ANTIDÉPRESSEUR ENDOGÈNE ?
    Renaud de Beaurepaire
     
    Il semble acquis aujourd’hui qu’il existe dans la dépression une insuffisance de sécrétion centrale en sérotonine, probablement aussi en noradrénaline, et peut-être dans certains cas en dopamine. Parmi les voies actuelles de recherche sur les antidépresseurs, il en est qui s’attachent à mettre en évidence l’existence de molécules endogènes qui seraient susceptibles de faire ce que font les antidépresseurs, c’est-à-dire augmenter la sécrétion de ces neurotransmetteurs. On imagine ainsi de nouvelles classes d’antidépresseurs qui seraient des analogues de molécule naturelles endogènes, capables de “renforcer” des mécanismes naturels de défense de l’organisme contre la dépression. Il existe une molécule qui remplit apparemment de nombreux critères pour être un antidépresseur endogène, c’est le BDNF (brain derived neurotrophic factor). Nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion, dans Dépression, de citer les travaux d’un chercheur anglais, RS Duman, qui a montré que tous les antidépresseurs, de même que les électrochocs et le lithium, ont en commun d’augmenter la sécrétion de BDNF dans des structures cérébrales supposées impliquées dans la dépression, telles que l’hippocampe et le cortex frontal. A côté de cela, plusieurs études, ces dernières années, ont montré que le BDNF interagit avec les neurotransmetteurs. Les premiers effets du BDNF sur les neurotransmetteurs à avoir été mis en évidence, l’ont été sur les systèmes dopaminergiques. Il avait été montré que le BDNF augmente l’activité locomotrice, ainsi que le turnover de la dopamine dans le système nigro-strié (Altar et coll 1992). C’était l’époque où l’on pensait que le BDNF pourrait être utilisé comme antiparkinsonien. Par la suite, on s’est aperçu que le BDNF a des effets sur d’autres systèmes de neurotransmetteurs et sur certains peptides cérébraux, en particulier ceux qui sont impliqués dans la régulation de la prise alimentaire et de la nociception (Pelleymounter et coll 1995 ; Siuciak et coll 1995). Siuciak et coll, en 1996, ont montré que l’injection centrale de BDNF, directement dans les noyaux des raphé dorsal et médian, active la sécrétion de neurotransmetteurs dans le cortex, l’hippocampe, le striatum et le noyau accumbens. Cette activation concernait les trois principaux neurotransmetteurs, mais l’activation des systèmes sérotoninergiques était beaucoup plus importante que celle des systèmes dopaminergiques et noradrénergiques. Étant donné que ces neurotransmetteurs sont tous supposés être plus ou moins impliqués dans la dépression, surtout la sérotonine, et que les noyaux du raphé ont un rôle central dans le mode d’action des antidépresseurs, les auteurs ont voulu tester les effets du BDNF sur divers modèles de dépression (Siuciak et coll 1997). Ils ont utilisé deux modèles de dépression chez le rat, celui des chocs inévitables (un modèle de learned helplessness, ou désespoir acquis) et le test de suspension par la queue (un modèle de screening simple et rapide des antidépresseurs). Ils trouvent que le BDNF est actif, c’est-à-dire a des propriétés antidépressives, dans les deux modèles. Ils montrent aussi que, dans leur protocole d’expérimentation, le BDNF n’a pas d’action sur l’activité locomotrice, si bien que l’effet “antidépresseur” qu’ils observent ne peut pas être lié à une action psychostimulante. La critique que l’on pourrait faire à ces expériences est la quantité de BDNF qu’ils injectent (24 µg par jour pendant 1 semaine), ce qui est énorme comparativement au BDNF naturellement présent dans le cerveau, de telle sorte que l’on peut se demander si les effets obtenus sont bien physiologiques. Quoi qu’il en soit, les auteurs attribuent les effets qu’ils observent à une action stimulante du BDNF sur les neurotransmetteurs, en particulier sur les systèmes sérotoninergiques. Dans le cas du modèle de learned helplessness, le BDNF compenserait les effets de chocs électriques (qui déplètent le cerveau en monoamines parallèlement à la survenue de l’état de désespoir). Les auteurs évoquent aussi l’éventualité d’une interaction entre le BDNF et divers peptides cérébraux comme le neuropeptide Y et la ß-endorphine. Mais le rôle de ces peptides n’est toujours pas très bien établi dans la dépression. Même si le mécanisme d’action du BDNF n’est toujours pas parfaitement compris (or rappelle que des auteurs tels que Duman ou Post pensent que le BDNF agit par un mécanisme purement neurotrophique), ces recherches montrent que le BDNF a des propriétés potentielles d’antidépresseur endogène dont on n’a certainement pas fini d’entendre parler.
     
     
    Altar CA et coll. Brain-derived neurotrophic factor augments rotational behavior and nigrostriatal dopamine turnover in vivo. PNAS 1992 ; 89 : 13147-11351. Dépression, 1996, Spécial Melbourne, pp : 25-26, et Dépression, 1997 ; 6 : 37-43
    Pelleymounter MA et coll. Characteristics of BDNF-induced weight loss. Exp Neurol 1995 ; 131 : 229-238
    Siuciak JA et coll. BDNF produces analgesia in the formalin test and modifies neuropeptide levels in rat brain and spinal cord areas associated with nociception. Eur J Neurosci 1995 ; 7 : 663-670
    Siuciak JA et coll. BDNF increases monoaminergic activity in rat brain following intracerebroventricular or intraparenchymal administration. Brain Res 1996 ; 710 : 11-20
    Siuciak JA et coll. Antidepressant-like effect of brain-derived neurotrophic factor (BDNF). Pharmacol Biochem Behav 1997 : 56 : 131-137

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    DÉPRESSION N°7 Mai/Juin 1997