Carré titre







Jalons

     
  • Troubles de la personnalité et dysthymie : données récentes (Fabienne Houdas)
  • Sexualité, dépression et antidépresseurs (Patrick Delbrouck)










  • TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ ET DYSTHYMIE : DONNÉES RÉCENTES
    Fabienne Houdas
     
     
    INTRODUCTION
     
    La question des liens entre les troubles affectifs et les troubles de la personnalité a fait l’objet de nombreuses études.
    Parmi celles-ci, les études concernant les relations entre la dysthymie et les troubles de la personnalité sont sans doute celles qui soulèvent le plus de questions étant donné les fortes intrications entre ces deux entités.
    De nombreux auteurs se sont interrogés sur la nature même du trouble dysthymique, élément central à préciser avant de s’interroger sur une quelconque association.
    Le statut nosologique de la dysthymie peut encore susciter des questions, même si le DSM-III, après avoir introduit ce terme pour remplacer celui de dépression névrotique, a résolu le problème en le classant parmi les troubles de l’humeur, ce qui a été reconduit dans le DSM-III-R et le DSM-IV. Cependant il y a des auteurs pour lesquels la dysthymie relèverait davantage des troubles de la personnalité que des troubles de l’humeur.
    Sur le plan historique, repris dans l’article de Kocsis et Frances en 1987, les états dépressifs chroniques d’intensité moyenne ont d’abord été considérés comme des formes atténuées de la maladie maniaco-dépressive typique (le “tempérament dépressif” de Kraepelin). Dans le DSM-II, ils ont été considérés comme appartenant soit aux dépressions névrotiques, soit aux troubles de la personnalité (personnalité cyclothymique).
    De même, en 1983, Akiskal classe les dysthymies de survenue précoce (“early-onset characterologic depressions”) en deux types :
    - un type subaffectif (“subaffective dysthymic disorder”), caractérisé par une réponse positive au traitement médicamenteux par antidépresseur tricyclique et/ou lithium, et le plus souvent des antécédents familiaux unipolaires ou bipolaires ainsi qu’une latence REM courte (comme dans les états dépressifs typiques), et
    - un type lié aux troubles du caractère (“character-spectrum disorders”), caractérisé par son absence de réponse aux traitements médicamenteux des troubles affectifs, ainsi que par des antécédents familiaux sans trouble affectif typique et une latence REM normale.
    D’autre part le DSM-III, bien qu’athéorique dans son principe, soutient malgré lui l’hypothèse que la dysthymie appartient aux troubles affectifs en l’incluant dans cette catégorie, tout en expliquant qu’elle serait particulièrement associée à certains troubles de la personnalité (borderline, histrionique et dépendant).
    En fait, les caractéristiques mêmes de la dysthymie telle qu’elle est définie dans le DSM-IV la rapprochent à la fois des troubles de l’humeur et des troubles de la personnalité. En effet, de même que les troubles de l’humeur, elle est définie par :
    - une “humeur dépressive” (DSM-IV),
    - “au moins deux des symptômes suivants : perte d’appétit ou hyperphagie, insomnie ou hypersomnie, baisse d’énergie ou fatigue, faible estime de soi, difficultés de concentration ou difficultés à prendre des décisions, sentiment de perte d’espoir” (DSM-IV), qui sont des symptômes dépressifs classiques.
    Il y a également une survenue fréquente d’épisodes dépressifs majeurs surajoutés au décours de l’évolution d’un état dysthymique et les patients dysthymiques ont souvent une réponse thérapeutique favorable sous traitement antidépresseur.
    Cependant, à l’instar des troubles de la personnalité, la dysthymie se définit également par un état chronique, car l’humeur dépressive doit être présente “pratiquement toute la journée, plus d’un jour sur deux pendant au moins deux ans” avec au cours de ces deux ans absence de “périodes de plus de deux mois consécutifs” sans les symptômes cités ci-dessus (DSM-IV).
    L’évolution est le plus souvent insidieuse (“aucun épisode dépressif majeur présent au cours des deux premières années de la perturbation thymique” (DSM-IV) et la survenue le plus souvent précoce, c’est-à-dire avant l’âge de vingt-et-un ans selon la définition du DSM-IV.
    Les études présentées dans cet article se basent sur les classifications du DSM-III, DSM-III-R ou du DSM-IV, c’est-à-dire classent la dysthymie parmi les troubles de l’humeur (Axe I) et les troubles de la personnalité sur un axe différent (Axe II).
     
    COMORBIDITÉ : DONNÉES EPIDÉMIOLOGIQUES
     
    Les quatorze études antérieures à 1995 publiées à ce sujet ont fourni des résultats contradictoires. Dans huit de ces études, on a retrouvé des taux de troubles de la personnalité plus élevés chez les dysthymiques. Par contre, dans six autres, il n’a été trouvé aucune différence entre les taux des troubles de la personnalité chez les sujets dysthymiques et les sujets normaux. Ces études ont fourni des taux globaux de troubles de la personnalité très variables chez les sujets dysthymiques, avec des résultats allant de 15 à 85 %. Le type de trouble de la personnalité le plus fréquemment retrouvé chez les patients dysthymiques était également variable d’une étude à l’autre. Cependant, ces études comportaient des limitations méthodologiques qui en altèrent la fiabilité et les comparaisons entre elles sont difficiles, à la fois suite à des effectifs et à des groupes de comparaison différents : ainsi, dans l’étude de Roy et coll., on retrouve seulement onze sujets dysthymiques qui sont comparés à des sujets contrôles dits normaux, alors que dans l’étude de Marin et coll. les 49 sujets dysthymiques sont comparés à des sujets présentant un épisode dépressif majeur.
    L’une des études les plus récentes concernant la comorbidité entre dysthymie et troubles de la personnalité est celle de Pepper et coll., datant de février 1995. Dans cette étude, les auteurs se sont attachés à diminuer de façon rigoureuse les biais méthodologiques en utilisant une double source de données et différents types de données (certaines catégorielles et d’autres dimensionnelles).
    Pour cela, les auteurs ont comparé deux groupes de patients :
    - un groupe de 97 patients non hospitalisés présentant une dysthymie primaire d’apparition précoce,
    - un groupe de 45 patients non hospitalisés souffrant d’un épisode dépressif majeur.
    L’étude s’est limitée aux dysthymies à la fois primaires et d’apparition précoce, parce qu’elles sont considérées comme la forme la plus caractéristique de la dysthymie. D’autre part, devant le problème rencontré dans les études antérieures au sujet des patients avec “dépression double” (c’est-à-dire à la fois dysthymie et épisode dépressif majeur), les auteurs ont été conduits à mener les analyses d’une part en étudiant le groupe dysthymique total, d’autre part en individualisant les patients avec dysthymie “pure” (n=41) et “dépression double” (n=56) séparément. Ils ont également été amenés à faire la même comparaison avec une définition de la “dépression double” tenant compte également des épisodes dépressifs majeurs passés (ce qui conduira à des résultats identiques).
    Les instruments de mesure utilisés ont été le SCID pour diagnostiquer les troubles de l’axe I et la version révisée du Personality Disorder Examination pour les troubles de l’axe II, ce dernier instrument étant utilisé à distance de l’épisode dépressif pour éviter le possible retentissement d’un épisode dépressif sur l’évaluation de la personnalité. En effet, il a été mis clairement en évidence par Lecic-Tosevski et Divac-Jovanovic l’influence significative d’un état dysthymique actuel sur l’évaluation de la personnalité ; la réduction ultérieure des affects dépressifs conduisant chez plus de la moitié des patients étudiés à :
    - une diminution des traits de personnalité évitante, passive-agressive, schizotypique et surtout borderline, suggérant un fonctionnement borderline de ces patients seulement lors des périodes dépressives,
    - une augmentation de la dimension narcissique, reflétant l’amélioration de l’estime de soi, et des échelles histrionique et antisociale traduisant un changement positif de la sociabilité et de l’efficacité personnelle.
    Pepper et coll. ont également utilisé des informateurs extérieurs à la famille pour avoir une autre voie d’évaluation des troubles de la personnalité des sujets.
    Les résultats de cette étude ont montré une proportion significativement plus élevée de troubles de la personnalité chez les sujets dysthymiques par rapport aux sujets souffrant d’un épisode dépressif majeur (60 % versus 18 %). Quand on les classe selon les groupes A, B ou C de l’axe II, cette proportion reste significativement plus élevée pour les troubles de la personnalité du groupe B (29 % versus 0 %) et pour ceux du groupe C (26 % versus 7 %) alors qu’elle est non-significative pour ceux du groupe A. Les résultats significatifs en terme de troubles de la personnalité spécifiques montrent des troubles de la personnalité plus élevés chez les dysthymiques par rapport aux sujets souffrant d’un épisode dépressif majeur pour les personnalités borderline, histrionique, évitante, et à conduite d’échec. Ces valeurs étaient non-significatives pour les personnalités paranoïaque, dépendante, et pas autrement spécifiée. Les autres troubles de la personnalité n’ont pas fait l’objet d’analyses statistiques étant donné que le nombre de sujets n’atteignait pas la valeur de six que les auteurs s’étaient fixés pour poursuivre l’étude.
    Ces analyses ont été menées en considérant le diagnostic de trouble de la personnalité positif uniquement quand tous les critères du DSM-III-R étaient présents. Des analyses menées en considérant ce diagnostic positif quand un critère de plus que le nombre limite était atteint conduisaient à un pourcentage également plus élevé pour la personnalité de type paranoïaque chez les sujets dysthymiques.
    Des analyses de scores dimensionnels et non plus catégoriels des troubles de la personnalité ont montré des scores plus élevés de façon significative pour les treize troubles de la personnalités étudiés (à savoir personnalités paranoïaque, schizoïde, schizotypique, antisociale, borderline, histrionique, narcissique, évitante, dépendante, obsessionnelle-compulsive, passive-agressive, à conduite d’échec, et trouble de la personnalité pas autrement spécifié) chez les sujets dysthymiques et donc une perturbation de la personnalité plus élevée dans son ensemble.
    Les résultats restaient inchangés en menant des analyses de régression logistique contrôlant l’intensité de la dépression actuelle mesurée par l’échelle de Hamilton et contrôlant la durée de la dépression.
    Les études menées en évaluant le trouble de la personnalité du sujet d’après des informateurs familiaux ont retrouvé une proportion significativement plus élevée de troubles de la personnalité dans leur ensemble chez les sujets dysthymiques, des troubles de la personnalité du groupe C et du trouble de la personnalité borderline, et des valeurs non significatives dans les autres cas.
    Les études menées en comparant les troubles de la personnalité chez les patients avec dysthymie “pure” et “dépression double” n’ont pas montré de différence majeure entre ces deux groupes. Par contre, les deux groupes montraient une comorbidité à l’axe II plus élevée de façon significative par rapport au groupe des sujets souffrant d’un épisode dépressif majeur. Les découvertes obtenues à partir des informateurs, bien que rarement significatives, allaient cependant dans la même direction.
    En conclusion, cette étude montre que la dysthymie, au moins dans sa forme de survenue précoce, est associée avec une comorbidité significativement plus élevée sur l’axe II que les épisodes dépressifs majeurs. Soixante pour cent des patients avec dysthymie d’apparition précoce avaient au moins un trouble de la personnalité sur la base des entretiens directs. Par rapport aux études antérieures, cela correspondait à l’étalement des valeurs précédemment citées et également au fait que des taux élevés de dysthymie sont rapportés dans beaucoup d’études concernant les patients avec un trouble de la personnalité, et particulièrement les patients borderline. Il est à noter que dans cette étude il y a peu de probabilité pour que les résultats en terme de troubles de la personnalité soient dûs aux effets de l’état d’humeur actuel, car ils ont été confirmés par les évaluateurs indépendants, et ces études ont trouvé des résultats identiques après avoir contrôlé le niveau de dépression.
    De la même manière, l’analyse de données retrouve des résultats identiques en éliminant les critères de troubles de la personnalité qui auraient pu par erreur être considérés comme présents si le patient est dysthymique (par exemple, pour la personnalité de type borderline, les critères : “sentiment chronique de vide”, “répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires”, “instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur” (DSM-IV).
     
     
    MODELES EXPLICATIFS : DONNÉES FAMILIALES
     
    Les données épidémiologiques à partir desquelles les auteurs ont tenté d’apporter une réponse étiopathogénique à l’importance de la comorbidité entre dysthymie et troubles de la personnalité reposent essentiellement sur le modèle des études familiales.
    L’étude la plus récente dans ce domaine est celle de Klein et coll., parue en Juin 1995. Elle a été précédée de quatre études aux résultats peu consistants et qui présentaient plusieurs biais méthodologiques. En particulier ces études ne menaient pas d’entretien personnel avec les membres de la famille et s’appuyaient généralement sur le patient lui-même pour préciser les antécédents familiaux, elles n’utilisaient pas de modèles d’entretien fiables pour rechercher les pathologies des membres de la famille, comportaient des échantillons de patients de faible effectif. Pour cette raison, elles apportaient peu de données fiables concernant la relation familiale entre la dysthymie et les troubles de la personnalité.
    L’étude de Klein et coll. a essayé de diminuer le plus possible ces biais méthodologiques, en étudiant un nombre important de patients, en s’efforçant de faire préciser les antécédents familiaux directement par les membres de la famille au cours d’entretiens directs, et en utilisant des questionnaires validés pour rechercher les antécédents familiaux. D’autre part, les chercheurs faisant passer les questionnaires aux membres de la famille n’étaient pas informés des résultats concernant le patient et se sont efforcés d’obtenir des sources d’information multiples.
    Cette étude a inclus 97 patients non hospitalisés avec diagnostic de dysthymie primaire d’apparition précoce et 45 sujets contrôles. Il a été possible d’inclure dans la recherche 446 membres de la famille des sujets dysthymiques et 229 membres de la famille des sujets contrôles. Comme dans beaucoup d’études dans ce domaine, les auteurs se sont à nouveau limités aux dysthymies d’apparition précoce.
    Il est à noter qu’un autre groupe de patients a été inclus dans l’étude. Il s’agissait de patients souffrant d’un épisode dépressif majeur pour lesquels la comparaison avec les patients dysthymiques en terme de comorbidité a fourni des résultats comparables à ceux présentés au paragraphe précédent. Une étude familiale incluant les proches de ces patients souffrant d’un épisode dépressif majeur a également été réalisée, dont les résultats n’intéressent pas cet article.
    Les buts principaux des études familiales sont d’examiner les modèles d’aggrégation familiale afin de valider des constructions nosologiques et d’établir des modèles familiaux de comorbidité. En particulier, l’étude familiale présentée ici devait rechercher s’il y avait une augmentation des taux de troubles de la personnalité chez les membres de la famille des sujets dysthymiques comparés aux membres de la famille des sujets normaux et secondairement aux membres de la famille des sujets présentant un épisode dépressif majeur.
    On a retrouvé dans cette étude une aggrégation familiale de la dysthymie parce que les membres de la famille des sujets dysthymiques avaient des taux significativement plus élevés de dysthymie que les membres de la famille des sujets avec épisode dépressif majeur et des sujets normaux.
    Les résultats concernant les membres de la famille des dysthymiques en terme de fréquence des troubles de la personnalité montraient les éléments suivants :
    Comparés aux membres de la famille des sujets normaux, ils avaient des taux de troubles de la personnalité plus élevés globalement, des taux plus élevés pour chacun des groupes A, B et C du DSM-III-R, et des taux plus élevés pour les dix troubles de la personnalité spécifiques qui ont été étudiés (personnalité paranoïaque, schizoïde, antisociale, borderline, histrionique, narcissique, évitante, dépendante, obsesssionnelle-compulsive, passive-agressive). Il est à noter que le nombre de sujets avec personnalité schizotypique était trop bas pour être inclus dans les analyses.
    Comparés aux membres de la famille des sujets avec épisode dépressif majeur, les membres de la famille des sujets dysthymiques avaient des taux de troubles de la personnalité globalement plus élevés, des taux plus élevés pour les troubles de la personnalité du groupe B dans leur ensemble, des taux plus élevés pour la personnalité de type passive-agressive et une tendance à avoir un taux plus élevé pour la personnalité borderline.
    Ces analyses ont été menées après avoir contrôlé le type d’entretien, le sexe et la cohorte de naissance des membres de la famille et sont restées significatives en ce qui concerne les différences entre les membres de la famille des sujets dysthymiques et des contrôles normaux après qu’on ait contrôlé la comorbidité à l’axe II chez les sujets. Les analyses ont été répétées en utilisant seulement les renseignements au sujet des membres de la famille obtenus par entretien direct et elles ont conduit aux mêmes résultats.
    Les auteurs ont ensuite poursuivi l’étude après avoir divisé le groupe des sujets dysthymiques en deux, selon que ces sujets avaient ou non un antécédent de dépression majeure. Les membres de la famille des sujets dysthymiques avec et sans antécédents de dépression majeure ne différaient sur aucun des troubles de la personnalité ni sur les troubles de l’humeur. De même que pour le groupe dysthymique dans son ensemble, à la fois les membres de la famille des sujets avec et ceux des sujets dysthymiques sans antécédent de dépression majeure avaient des taux significativement plus élevés des trois groupes de troubles de la personnalité par rapport aux membres de la famille des sujets normaux. Comparés aux membres de la famille des sujets avec épisode dépressif majeur, les membres de la famille des sujets des deux sous-groupes dysthymiques avaient des taux plus élevés, que ce soit de façon significative ou non, de troubles de la personnalité en général et de troubles de la personnalité du groupe B.
    La conclusion de cette étude est qu’il y a une aggrégation spécifique de la dysthymie dans les familles de sujets dysthymiques alors qu’on ne retrouve pas cette aggrégation chez les membres de la famille des sujets souffrant d’un épisode dépressif majeur, ce qui confirme la spécificité nosologique de la dysthymie.
    L’existence d’un taux plus élevé de troubles de la personnalité chez les membres de la famille des sujets avec épisode dépressif majeur par rapport aux membres de la famille des sujets normaux suggère que les processus sous-jacents à l’association entre personnalité et trouble de l’humeur ne sont pas spécifiques de la dysthymie, mais valent également pour l’association entre trouble de la personnalité et épisode dépressif majeur.
    L’existence ou non d’un antécédent de dépression majeure surajoutée chez les patients dysthymiques ne jouait pas sur la présence ou non d’un trouble de la personnalité.
     
     
    COMORBIDITÉ : LES MODELES EN PRÉSENCE
     
    L’étude présentée au paragraphe précédent a été reprise par Riso et coll. en Juillet 1996 dans le but d’examiner de façon plus rapprochée la nature de la comorbidité entre dysthymie d’apparition précoce et trouble de la personnalité afin de préciser les processus étiologique sous-jacents.
    Les auteurs se sont limités à considérer les troubles de la personnalité du groupe B pour faire cette étude, parce que d’après l’étude précédente ces troubles de l’axe II sont ceux qui distinguent le mieux les sujets dysthymiques des sujets avec épisode dépressif majeur. Une autre raison du choix de la limitation aux troubles de la personnalité du groupe B dans cette étude est liée au fait que ces troubles de la personnalité se rapprochent des traits que Akiskal a qualifiés d’instables (traits histrioniques, antisociaux, borderline et passifs-dépendants) et suggérés importants dans le sous-type caractérologique de la dysthymie.
    Les sujets dysthymiques (n = 97) ont été stratifiés par la présence (n = 28) ou l’absence d’un trouble de la personnalité du groupe B.
    Les trois groupes de sujets considérés (dysthymique avec trouble de la personnalité, dysthymiques sans trouble de la personnalité et sujets contrôles normaux) ont alors été comparés sur les taux de dysthymie avec un trouble de la personnalité du groupe B (dysthymie comorbide), dysthymie sans trouble de la personnalité du groupe B (dysthymie “pure”), et troubles de la personnalité du groupe B sans dysthymie (troubles “purs” de la personnalité du groupe B) chez les membres de leur famille.
    Les auteurs ont ensuite précisé les cinq modèles de comorbidité à tester dans l’étude :
    - 1er modèle : les processus sont indépendants. Ce modèle soutient que la dysthymie et les troubles de la personnalité du groupe B ne sont pas liés sur le plan étiologique.
    - 2ème modèle : les troubles de la personnalité du groupe B sont secondaires à la dysthymie, c’est-à-dire qu’une dépression chronique d’apparition précoce pourrait perturber le développement social et émotionnel normal et conduire au développement d’un trouble de la personnalité secondaire.
    - 3ème modèle : la dysthymie est secondaire aux troubles de la personnalité du groupe B, c’est-à-dire qu’un trouble de la personnalité du groupe B conduirait à des circonstances de vie instables et à un stress chronique qui provoqueraient une dépression chronique secondaire.
    - 4ème modèle : modèle de l’hétérogénéité. Ce modèle considère la dysthymie comme un trouble hétérogène, c’est-à-dire que les sujets avec dysthymie comorbide représenteraient un sous-type lié aux troubles de la personnalité du groupe B, tandis que les sujets avec dysthymie “pure” représenteraient un sous-type distinct non lié aux troubles de la personnalité du groupe B.
    - 5ème modèle : Modèle des facteurs étiologiques recouvrants. Selon ce modèle, il y aurait un ensemble de facteurs qui placeraient les individus à risque pour à la fois la dysthymie et les troubles de la personnalité du groupe B, augmentant la probabilité de co-occurence de ces deux troubles.
    La démarche méthodologique a déjà été décrite au paragraphe précédent. Il a été possible d’obtenir des renseignements sur 115 membres de la famille des sujets dysthymiques avec un trouble de la personnalité du groupe B, 331 membres de la famille des sujets dysthymique sans trouble de la personnalité du groupe B, et 229 membres de la famille des sujets jamais malades.
    Les auteurs ont alors modélisé les prédictions des fréquences relatives de la dysthymie et des troubles de la personnalité du groupe B chez les membres de la famille des sujets étudiés pour les cinq modèles de comorbidité en compétition.
    Le même type de prédiction statistique a été réalisé pour chaque modèle proposé.
    L’analyse des résultats a montré les faits suivants : pour les sujets avec dysthymie comorbide, les troubles de la personnalité du groupe B les plus fréquents étaient les troubles borderline (82 %), puis histrionique (50 %), puis antisocial et narcissique.
    En ce qui concerne les différents taux de pathologies chez les membres de la famille, Riso et coll. ont trouvé des taux plus élevés de dysthymie “pure” chez les membres de la famille des sujets avec dysthymie pure et dysthymie comorbide que chez les membres de la famille des sujets jamais malades, mais les sous-groupes de sujets dysthymiques ne différaient pas les uns des autres. Il y avait également des taux plus élevés de troubles de la personnalité “purs” du groupe B chez les membres de la famille des sujets avec dysthymie pure et comorbide que chez les membres de la famille des sujets jamais malades. De plus, il y avait des taux plus élevés de troubles de la personnalité “purs” du groupe B chez les membres de la famille des sujets avec dysthymie comorbide que chez les membres de la famille des sujets avec dysthymie “pure”.
    Les auteurs ont comparé ces résultats avec les prédictions des fréquences relatives des troubles qu’ils avaient estimées pour chacun des modèles cités. Cette comparaison leur a permis d’éliminer successivement les premier, deuxième, troisième et quatrième modèles pour retenir le cinquième, c’est-à-dire le modèle d’un recouvrement de facteurs étiologiques. Il est à noter le fait que les membres de la famille des sujets dysthymiques sans troubles de la personnalité du groupe B avaient des taux plus élevés de troubles de la personnalité “purs” du groupe B, ce qui réalise un cas dit de “cross-transmission” et est particulièrement en faveur de ce modèle.
    D’autre part, le fait que les membres de la famille des sujets dysthymiques comorbides avaient des taux significativement plus élevés de troubles de la personnalité “purs” du groupe B que les membres de la famille des sujets dysthymiques “purs” suggère que les processus étiologiques sous-jacents à la dysthymie et aux troubles de la personnalité du groupe B sont seulement partiellement recouvrants.
    Ces données ont été réanalysées en remplaçant les troubles de la personnalité du groupe B par le trouble de la personnalité borderline (qui représentait d’ailleurs 82 % des troubles de la personnalité du groupe d’étude). Les résultats sont restés les mêmes et ont gardé leur caractère significatif, ce qui suggère que le modèle étiologique recouvrant a valeur non seulement pour la dysthymie et les troubles de la personnalité du groupe B en général, mais aussi pour la dysthymie et le trouble de la personnalité borderline.
    Riso et coll. ont soulevé un problème lié au fait que certaines informations sur les membres de la famille ont été obtenues à partir de données indirectes. Pour éliminer ce biais, ils ont réanalysé les données en utilisant seulement les entretiens directs et les résultats n’ont pas été modifiés dans leur ensemble, même si les valeurs significatives étaient moins nombreuses en raison de la diminution du nombre de sujets dans l’échantillon.
     
     
    CONCLUSION :
     
    Les études récentes sur la comorbidité entre la dysthymie et les troubles de la personnalité ont conclu à une fréquence plus élevée de troubles de la personnalité chez les sujets dysthymiques par rapport aux sujets souffrant d’un épisode dépressif majeur. L’association semble plus importante pour les troubles de la personnalité du groupe B du DSM-IV. Les études familiales soutiennent le modèle de facteurs étiologiques partiellement recouvrants à l’origine de l’association entre dysthymie et troubles de la personnalité du groupe B.
    Il serait intéressant d’élargir les études des modèles de comorbidité aux personnalités du groupe C (et en particulier aux personnalités évitante et dépendante qui sont également retrouvées de façon fréquente chez les dysthymiques).
    Les bases neurobiologiques de l’association entre trouble dysthymique et troubles de la personnalité sont encore à établir, les études réalisées dans ce domaine restant peu approfondies et anciennes (étude de Roy et coll. en 1985, par exemple, qui s’étaient intéressés aux résultat du test de suppression à la dexaméthasone et du test à la TRH de dysthymiques chez lesquels ils recherchaient des troubles de la personnalité). Il faudrait également étudier l’éventualité de facteurs génétiques à l’origine de l’association.
    La valeur pronostique de l’association entre une dysthymie et un trouble de la personnalité reste également à préciser. Les études réalisées jusqu’ici, comme celle de Garyfallos et coll., concernent généralement les états dépressifs dans leur ensemble et pas seulement les dysthymies. Elles vont dans le sens d’une aggravation du pronostic (réponse moins favorable aux médicaments et à la psychothérapie) lorsqu’un trouble de la personnalité est associé au trouble dépressif ainsi que d’une psychopathologie plus sévère de l’association par rapport à chacun des deux troubles pris isolément. Ces faits seraient à confirmer lors d’études concernant des sujets dysthymiques pris isolément.
     
     
    RÉFÉRENCES :
     
    Akiskal HS : Dysthymic disorder : psychopathology of proposed chronic depressive subtypes.
    Am J Psychiatry 1983 ; 140 : 11-20,
     
    American Psychiatric Association (1968) : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Second edition (DSM-II) Washington, DC : APA Press, 1968.
     
    American Psychiatric Association (1980) : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Third edition (DSM-III). Washington, DC : APA Press, 1980.
     
    American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Third edition revised (DSM-III-R), Washington, DC : APA Press, 1987.
     
    Garyfallos G, Adamopoulou A, Voikli M, Saitis M, Kirtsos P, Moutzoukis C : DSM-III-R personality disorders among patients with depressive and/or anxiety disorders.
    Journal of Personality Disorders, 1994, 320-332,
     
    Klein DN, Riso LP, Donaldson SK, Schwartz JE, Anderson RL, Ouimette PC, Lizardi H, Aronson TA : Family study of early-onset dysthymia. Mood and personality disorders in relatives of outpatients with dysthymia and episodic major depression and normal controls.
    Arch Gen Psychiatry. 1995 ; 52 : 487-496.
     
    Kocsis JH et Frances AJ : A critical discussion of DSM-III dysthymic disorder.
    Am J Psychiatry 1987 ; 144 : 1534-42
     
    Lecic-Tosevski D, Divac-Jovanovic M : Effects of dysthymia on personality assessment.
    Eur Psychiatry 1996 ; 11 : 244-248
     
    Marin DB, Kocsis JH, Frances AJ, Klerman GL : Personality disorders in dysthymia.
    Journal of Personality Disorders, 1993 ; 7, 223-231.
     
    Pepper CM, Klein DN, Anderson RL, Riso LP, Ouimette PC, Lizardi H : DSM-III-R axis II comorbidity in dysthymia and major depression.
    Am J Psychiatry 1995 ; 152 : 239-47
    Riso LP, Klein DN, Ferro T, Kasch KL, Pepper CM, Schwartz JE, Aronson TA : Understanding the comorbidity between early-onset dysthymia and cluster B personality disorders : a family study.
    Am J Psychiatry 1996, 153 : 900-906
     
    Roy A, Sutton M, Pickar D : Neuroendocrine and personality variables in dysthymic disorder.
    Am J Psychiatry 1985, 142 : 94-97
     

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    SEXUALITÉ, DÉPRESSION ET ANTIDÉPRESSEURS
    Patrick Delbrouck
     
    La sexualité fait partie des comportements physiologiques de tout individu. Ses perturbations sont le reflet de troubles spécifiques ou bien sont secondaires à d’autres pathologies ou encore sont réactionnelles à la prise de médicaments. Les maladies psychiatriques influent considérablement sur le comportement sexuel. Derrière toute relation sexuelle il existe une relation tout court qui est fréquemment perturbée par la maladie mentale. Nous en étudierons un cas particulier au travers des perturbations induites par la dépression et par les traitements antidépresseurs, thymorégulateurs et anxiolytiques.
     
     
    SEXUALITÉ NORMALE ET PATHOLOGIQUE
     
    Avant d’aborder les différents aspects pathologiques de la sexualité dépressive, il faut revenir un instant sur les notions de sexualité normale. La question est loin d’être anecdotique et l’analyse de la fonction sexuelle est à la fois physiologiquement bien connue et épidémiologiquement sous-évaluée.
    D’un point de vue physiologique, on décrit classiquement quatre stades à l’acte sexuel (1) :
    - une période de désir, caractérisée par l’apparition de fantaisies imaginatives à thème sexuel, et d’un désir d’accomplissement de l’acte ;
    - vient ensuite une période d’excitation correspondant à une sensation de plaisir accompagnée de modifications physiologiques. Chez l’homme on constate une intumescence pénienne et une érection, chez la femme, une congestion vasomotrice du pelvis, un élargissement vaginal avec lubrification et une intumescence des organes génitaux externes ;
    - suit la période de l’orgasme qui consiste en un acmé de plaisir sexuel, accompagné de relâchement de la tension sexuelle. Chez l’homme s’y ajoute une éjaculation irrépressible suivi de l’émission de sperme, chez la femme des contractions de la paroi du tiers externe du vagin ;
    - enfin, l’acte se termine par une période de résolution avec sensation de bien-être général et de détente musculaire, associée chez l’homme à une période réfractaire.
    Si un dysfonctionnement sexuel peut toucher chacune de ces étapes, il est évident que bien souvent, la perturbation isolée d’une période retentit rapidement sur la totalité de l’acte. Par ailleurs, si l’acte est relativement standardisé, sa mise en situation dépend de nombreux critères dont l’état de santé, l’âge ou le sexe. Ainsi, si l’on sait analyser simplement les perturbations de l’acte sexuel, les troubles du comportement sexuel sont beaucoup plus mal connus. Ainsi la prévalence de l’impuissance varie de 1 à 50 % selon les études ! De même, l’anorgasmie affecterait de 7 à 46 % des femmes (2)... La notion de fréquence reste individuelle et tout jugement clinique doit prendre en compte le contexte ethnique, culturel et social qui peut avoir une influence tant sur le désir que sur les anticipations et les attitudes relatives à l’accomplissement de l’acte sexuel. On conçoit dès lors la difficulté de définir une sexualité normale, élément pourtant indispensable à la qualification d’une sexualité pathologique.
     
     
    SEXUALITÉ ET DÉPRESSION
     
    La dépression est caractérisée par un certain nombre de symptômes dont un dysfonctionnement sexuel. Pourtant, on sait peu de choses sur l’incidence réelle de ces troubles et sur leur physiopathologie. Ainsi, selon les études, de 50 à 90 % des déprimés souffriraient d’une perte d’intérêt pour les activités sexuelles, et un tiers seraient atteint de retard à l’éjaculation, d’anorgasmie ou d’impuissance (3).
    En fait, si l’on reprend les quatre stades, les troubles sexuels dépressifs touchent avant tout le premier, et l’absence de désir, généralisée à d’autres activités, retentit inévitablement sur les périodes ultérieures. Cette anhédonie dépressive rend difficile la survenue d’une excitation et compromet largement la survenue d’un orgasme. Par ailleurs, il faut bien évidemment rapporter ces troubles à la sexualité antérieure du patient dont la plupart des travaux ne parlent pas. En règle générale, cette baisse du désir sexuel se caractérise par l’absence de fantaisies imaginatives aggravant les difficultés relationnelles du déprimé avec son entourage. Il s’agit d’une baisse globale, non limitée à un partenaire ou à une activité spécifique. Le patient est peu motivé dans la recherche de stimulus et éprouve peu de frustration quand il est privé de la possibilité d’une activité sexuelle. La fréquence des rapports est habituellement diminuée, mais là encore, le jugement clinique doit tenir compte des caractéristiques personnelles (âge, sexe, culture) et interpersonnelles (partenaire (s), situation sociale...).
    Les troubles de l’excitation et de l’érection, caractérisés par une incapacité à atteindre ou à maintenir l’excitation sexuelle jusqu’à l’accomplissement de l’acte, sont moins bien précisés et souvent secondaires à l’absence de désir. De même une impuissance peut renforcer le sentiment d’échec du déprimé et par là même diminuer encore le désir.
    Les troubles de l’orgasme se définissent comme l’incapacité de parvenir à l’acmé de l’acte sexuel, malgré une stimulation normale. Ce dysfonctionnement est souvent secondaire à la disparition du désir provoquée par la dépression.
    En résumé, les troubles sexuels induits par un trouble dépressif apparaissent fréquents et souvent sous-évalués cliniquement. Ils sont rarement rapportés spontanément par les patients et peu explorés par les médecins. Ces troubles s’apparentent avant tout à une baisse du désir secondairement associée à des troubles de l’excitation et de l’orgasme.
     
     
    SEXUALITÉ ET ANTIDÉPRESSEURS
     
    Face à un trouble sexuel survenant chez un malade psychiatrique traité, l’étiologie du dysfonctionnement peut être particulièrement difficile à préciser. Celui-ci peut être dû à la maladie, au traitement psychotrope, à une cause organique associée ou à un traitement non psychotrope associé.
    L’incidence des troubles sexuels secondaires à la prise d’antidépresseurs est peu connue, en raison de l’absence d’études contrôlées sur le sujet. La plupart des protocoles d’essai thérapeutique comportent bien une évaluation d’effets secondaires sexuels, mais sans grande précision et sans référence au comportement sexuel antérieur du patient. Aussi, seule la publication de cas cliniques permet d’évaluer la nature et l’incidence de ces troubles, avec les limites méthodologiques associées à ces recueils.
     
    Sexualité et antidépresseurs IMAO
    Ces antidépresseurs étant peu utilisés compte-tenu de leurs effets secondaires cardio-vasculaires, les données concernant les répercutions sur la fonction sexuelle sont rares. Ainsi quelques auteurs (4) rapportent de troubles de l’érection, mais d’autres retrouvent un effet positif sur l’éjaculation précoce (5). En ce qui concerne les IMAO partiels, des publications ont fait état d’une amélioration de troubles sexuels antérieurs.
     
    Sexualité et antidépresseurs tricycliques
    Les publications concernant les antidépresseurs dit “tricycliques” sont plus nombreuses. La plupart des effets rapportés sont liés soit à leur activité nora-drénergique ou cholinergique. Chez l’animal, les agonistes noradrénergiques stimulent l’activité sexuelle au niveau central, mais au niveau périphérique, les régulations alpha et bêta interagissent de façon complexe sur l’érection et l’éjaculation. En ce qui concerne l’acétylcholine, la stimulation des récepteurs muscariniques ou nicotiniques centraux favorisent l’activité sexuelle, alors qu’en périphérie, l’administration d’antagonistes de type atropinique inhibe le comportement sexuel. Ces données concernent essentiellement l’expérimentation animale et il faut se garder d’extrapolations rapides à l’homme. Ainsi, une substance peut déprimer le comportement sexuel d’une espèce et ne pas avoir d’effet sur une autre.
    Pour en revenir aux conséquences de l’utilisation des imipraminiques chez l’homme, des troubles sexuels secondaires surviendraient dans 5 à 10 % des cas. Il s’agirait d’une baisse du désir dans 3 % des cas et de troubles de l’éjaculation pour 2 % des patients déprimés (6). Avec l’amitriptyline, on constate un retard à l’éjaculation et une anorgasmie dans près de 70 % des cas. La survenue des troubles se fait deux à trois jours après la mise en route du traitement, et ils disparaissent dans les mêmes délais après l’arrêt de l’antidépresseur.
     
    Sexualité et sérotoninergiques
    Le rôle de la sérotonine dans le comportement sexuel est en opposition avec celui de la dopamine. Tout ce qui favorise le fonctionnement sérotoninergique va dans le sens d’une inhibition du comportement sexuel. Ainsi, l’administration de 5HTP (5-hydroxytryptophane) ou d’agonistes sérotoninergiques perturbe les différentes phases de la copulation animale. La sérotonine aurait un rôle de modulation centrale des informations sensorielles en provenance de la périphérie.
    On comprend dès lors l’importance des troubles sexuels, estimés entre 10 et 30 %, avec les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Il s’agit principalement de trouble de l’excitation à type de retard ou d’absence d’éjaculation, de baisse du désir ou d’anorgasmie (7). Là encore, l’apparition se fait en début de traitement, sauf avec la fluoxétine. Avec cette molécule à demi-vie longue, les effets secondaires apparaissent deux à trois mois après l’instauration du traitement et cèdent dans les mêmes délais à l’arrêt.
    La réduction des posologies, le changement de classe pharmacologique permettent de réduire ces effets. L’association de “correcteurs” est également possible. La cyproheptadine et la yohimbine sont les deux produits les plus utilisés. Ils ne sont malheureusement pas dépourvus d’effets secondaires et limiteraient l’action antidépressive des sérotoninergiques.
    Enfin, il faut aussi mentionner des effets paradoxaux rapportés avec ces molécules, et notamment la survenue d’orgasmes spontanés à l’occasion de bâillement ou d’éternuement.
     
    Sexualité et autres antidépresseurs
    Les données concernant les autres antidépresseurs sont plus éparses. Ainsi, la trazodone et la viloxazine auraient un effet stimulant sur l’acte sexuel avec un risque bien documenté de priapisme, 1/1000 surtout en début de traitement avec la trazodone (qui n’est plus commercialisée en France). Le bupropion n’aurait quand à lui aucun effet sur l’acte sexuel.
     
     
    SEXUALITÉ ET THYMORÉGULATEURS
     
    Les thymorégulateurs semblent sexuellement bien tolérés. Le lithium et le valpromide paraissent dépourvus d’effets secondaires de ce type. La carbamazépine, inducteur enzymatique puissant, entraînerait une baisse de la libido par accélération du métabolisme des hormones sexuelles.
     
     
    SEXUALITÉ ET ANXIOLYTIQUES
     
    Les benzodiazépines induiraient une baisse de la libido, des troubles de l’érection et une anorgasmie en raison de leur effet sédatif et d’une trop grande myorelaxation périphérique. Là encore, le recours aux posologies les plus faibles possibles est une approche souhaitable.
     
     
    CONCLUSION
     
    Comme on l’a vu, la dépression et son traitement sont rarement l’occasion d’un épanouissement sexuel. Aux troubles induits par la maladie et portant principalement sur le désir, se surajoutent fréquemment des dysfonctionnements affectant les phases d’excitation et d’orgasme, notamment avec les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Ces manifestations sont sous-évaluées en raison d’un sentiment de culpabilité des patients et d’une pudeur des thérapeutes. Pourtant ils constituent une souffrance authentique qui est parfois l’occasion d’une non observance thérapeutique débouchant sur des récidives “inexpliquées”. La détection systématique des troubles sexuels est impossible si l’on n’interroge pas de manière complète les patients sur leurs antécédents sexuels. L’analyse sémiologique précise du trouble permet souvent de le rattacher à une origine physiopathologique et d’en proposer une prise en charge spécifique. Enfin, des études plus précises sur les perturbations sexuelles de la dépression et sur celles secondaires à la prescription d’antidépresseurs apparaissent souhaitables.
     
     
    (1) American Psychiatric Association - DSM-IV : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
    Masson Editeur, Paris 1996.
     
    (2) Galinowski A. ; Hartmann F.
    Troubles sexuels
    Séminaire de psychiatrie biologique. 1991, 18 : 291-317
    Pharmuka, Rhône-Poulenc Rorer Editeurs
     
    (3) Casper R.C. ; Redmond D.E. et coll.
    Somatic symptoms in primary affective disorders. Presence and relationship to the classification of depression.
    Arch. Gen. Psychiatry 1985, 42 : 1098-1104
     
    (4) Decastro R.M.
    Reversal of MAO-induced anorgasmia with cyproheptadine.
    Am. J. Psychiatry 1985, 142 : 783
     
    (5) Bennet D.
    Treatment of ejaculatio praecox with monoamine oxidase inhibitors.
    Lancet 1961, 2 : 1309
     
    (6) Dunbar G.C. ; Cohn J.B. et coll.
    A comparaison of paroxetine, imipramine and placebo in depressed outpatients.
    Br. J. Psychiatry 1991, 159 : 394-398
     
    (7) Gitlin M.J.
    Psychotropic medications and their effects on sexual function : diagnosis, biology, and treatment approaches.
    J. Clin. Psychiatry 1994, 55 : 406-413
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    DÉPRESSION N°7 Mai/Juin 1997