Carré titre









FOCUS

     
  • Smoking, no smoking (Françoise Chastang)
  • ECT et sommeil (Patrick Delbrouck)
  • ECT et sommeil, bis (Patrick Delbrouck)
  • Opinions sur les causes de la dépression (Françoise Chastang)
  • Sevrage du lithium (Hélène Verdoux)
  • Méta-analyse du risque suicidaire (Françoise Chastang)
  • ECT : Comment prédire la réponse (Patrick Delbrouck)
  • Folates, vitamines B 12, homocystéine et dépression (Patrick Delbrouck)
  • La carbamazépine dans le trouble bipolaire (Hélène Verdoux)









  • SMOKING, NO SMOKING

    Françoise Chastang

     
    Les fumeurs sont à l’honneur. Pas moins de quatre articles (1, 2, 3, 5), dont deux de la même équipe (2, 5) ont été récemment publiés dans la littérature internationale sur l’association tabagisme-dépression, dont les relations complexes se situent à différents niveaux.

    1- LA COMORBIDITÉ

    Il existe une indiscutable comorbidité entre la dépendance à la nicotine et les troubles dépressifs. Il est actuellement bien établi que les scores d’anxiété et de dépression sont supérieurs chez les fumeurs. L’enquête ECA montre notamment que les états dépressifs sont deux fois plus fréquents chez eux. Cette comorbidité tabagisme-dépression existe en fait dès l’adolescence. En effet, pour Fergusson (3), les adolescents de 16 ans présentant une pathologie dépressive ont deux fois plus de risque de présenter une dépendance à la nicotine que ceux sans état dépressif après ajustement sur les facteurs de risque liés, notamment sociaux et familiaux.
    Cette comorbidité peut donc en partie s’expliquer par l’existence de facteurs de risque communs tant sociaux, familiaux que personnels s’exprimant dès l’adolescence. Par exemple, une faible estime de soi est retrouvée à la fois chez les sujets dépressifs et ceux présentant une dépendance à la nicotine, en étant chez ces derniers en relation avec l’effet anxiolytique voire antidépresseur attribué par certaines personnes au tabac.

    2 - LE SYNDROME DE SEVRAGE

    Les fumeurs aux antécédents dépressifs arrêtent moins facilement le tabac que leurs homologues sans antécédents. Dans un article récent, Stage et coll (5), rapportent des cas cliniques montrant particulièrement bien la variabilité du mode de début et du devenir des symptômes dépressifs après une phase de sevrage en nicotine, et met en évidence l’existence d’une période dite de “vulnérabilité”, de durée variable après l’arrêt du tabac, de quelques jours à quelques semaines pendant laquelle peut apparaître un syndrome dépressif.
    Les symptômes dépressifs ne sont pas des éléments constitutifs du syndrome de manque à la nicotine selon les classifications américaines (DSM III R et DSM IV). Cependant, Glassman (4) note que 75% des fumeurs ayant des antécédents dépressifs ont présenté un état dépressif dans la première semaine du sevrage, contre 30% chez les fumeurs sans antécédents. Leur syndrome de sevrage était plus intense. De plus, l’émergence de symptômes dépressifs pendant le sevrage semble corrélée à un échec plus fréquent. Certaines vignettes cliniques rapportées par Stage (5), notent l’apparition de symptômes dépressifs dans les deux jours après l’arrêt de la nicotine et leur disparition dès la reprise du tabac. Les symptômes dépressifs semblent donc pouvoir, ainsi que l’ICD 10 le prévoit, faire partie du syndrome de manque à la nicotine, et ce d’autant plus facilement que le sujet a des antécédents de troubles thymiques.

    3 - LA DÉPRESSION POST-SEVRAGE

    La même équipe a évalué sur 3 mois 126 fumeurs ayant suivi avec succès un programme d’arrêt du tabac et ne présentant au moment de l’inclusion dans l’étude aucun trouble psychique (2). 72% d’entre eux n’ont pas d’antécédents dépressifs, 2% ont présenté un état dépressif unique et 8% des états dépressifs récurrents. Pendant les 3 mois de l’étude, 7% ont souffert d’un état dépressif, mais de façon tout à fait variable en fonction des antécédents : l’incidence d’un nouvel état dépressif est de 2% en absence d’antécédents d’état dépressif majeur, de 17% en cas de notion d’état dépressif unique et de 30% en cas de récurrence dépressive. En d’autres termes, l’existence d’un état dépressif majeur unique multiplie par 6 le risque de survenue d’un nouvel état dépressif dans les semaines suivant l’arrêt du tabac. L’existence d’un trouble dépressif récurrent multiplie ce risque par 8, et la persistance de symptômes de sevrage par 9.
    La dépression au décours du sevrage en nicotine est donc d’autant plus fréquente qu’existent des antécédents personnels de troubles thymiques ou la notion d’un sevrage difficile (1, 2, 4). Cette dimension est à prendre en compte dans les programmes d’arrêt du tabac. Des études ultérieures sur le rôle respectif des facteurs psychodynamiques et familiaux pourraient être intéressantes.

     
    (1) Borelli B, Niaura R, Keuthen NJ, Golstein MG, De Pue JD, Murphy C, Abrams DB. Development of major depressive disorder during smoking-cessation treatment. J Clin Psychiatr 1996 ; 57 : 534-538.
     
    (2) Covey LS, Glassman AH, Stetner F. Major depression following smoking cessation. Am J Psychiatr 1997 ; 154 : 263-265.
     
    (3) Fergusson DM, Lynskey MT, Horwood J. Comorbidity between depressive disorders and nicotine dependence in a cohort of 16-year-olds. Arch Gen Psychiatry 1996 ; 53 : 1043-47.
     
    (4) Glassman AH. Cigarette smoking : implications for psychiatric illness. Am J Psychiatr 1993 ; 150 : 546-553.
     
    (5) Stage KB, Glassman AH, Covey LS.
    Depression after smoking cessation : cases reports. J Clin Psychiatr 1996 ; 57 : 467-469.

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    ECT ET SOMMEIL

    Patrick Delbrouck

    Les troubles dépressifs s’accompagnent constamment de troubles du sommeil à type d’insomnie avec réveil précoce. Ces anomalies s’accompagnent également de perturbations qualitatives et quantitatives lors des enregistrements polygraphiques de sommeil : diminution de la latence d’apparition du sommeil paradoxal, diminution des stades de sommeil lent profond, augmentation de l’activité et de la densité de REM, augmentation de la fragmentation du sommeil... Ces modifications, dont la mise en évidence reste lourde, ont à la fois un intérêt diagnostique, et prédictif de la réponse au traitement antidépresseur. C’est dans cette perspective que Leon Grunhaus et coll. ont testé la valeur prédictive des enregistrements de sommeil dans les traitements par ECT (1).
    Ces auteurs ont constitué un échantillon de 41 patients (10 hommes et 31 femmes) répondant aux critères RDC de trouble dépressif majeur. 31 répondaient également aux critères du type endogène et 16 avaient des symptômes psychotiques. L’âge moyen était de 65 ans et le score moyen à l’Hamilton Rating Scale for Depression (HRSD) à 17 items était de 27. L’évaluation était effectuée une semaine avant le début des chocs et une semaine après la dernière séance.
    Avant le premier choc, les patients subissaient un enregistrement polygraphique de sommeil de deux nuits consécutives (après deux nuits d’adaptation et 10 jours de sevrage médicamenteux). L’interprétation s’effectuait manuellement selon les critères de Rechtschaffen et Kales, et les principales variables habituelles étaient calculées : latence et durée des différents stades, activité et densité de REM, indice de fragmentation...
    Les chocs s’effectuaient de façon classique, sous anesthésie générale et curarisation. 21 patients furent traités en unilatéral et 19 en bilatéral. La durée de l’étude s’étant étalée sur huit ans, les conditions de réalisation des chocs ne furent, malheureusement, pas homogènes : courant sinusoïdal au début puis courant à onde brève pulsée par la suite. La durée cumulée des crises ainsi que leur durée moyenne et le nombre de séances furent comptabilisés.
    Enfin, l’analyse statistique sépara le groupe en deux : l’un composé de 30 sujets répondeurs (HRSD inférieure ou égale à 10 après les chocs) et l’autre de 11 sujets résistants (HRSD supérieure ou égale à 11). La prise en compte de l’âge (plus ou moins de 65 ans) fut également effectuée.
    Les résultats de cette lourde étude sont quelque peu décevants. Les auteurs enfoncent une série impressionnante de portes ouvertes : les personnes âgées (> 65 ans) dorment moins bien que les plus jeunes et présentent plus d’anomalies aux enregistrements polysomnographiques. Elles ont un âge de début des troubles plus élevé. Les sujets résistants ont bénéficié de plus de chocs que les répondeurs et ont donc une durée cumulée en crise plus élevée. A noter cependant que la durée moyenne des crises était comparable dans les deux groupes (43 s vs 46 s).
    De même, aucun paramètre polygraphique ne permet de différencier répondeur et non répondeur. Latence et durée des différents stades, activité et densité de REM sont statistiquement comparables dans les deux populations. Paradoxalement, les sujets résistants présentent même une tendance à avoir une latence d’apparition du sommeil paradoxal augmentée et moins de périodes de REM (sans pour autant atteindre le seuil de significativité statistique)...
    Les auteurs en concluent que les patients déprimés traités par ECT sont gravement atteints et présentent d’importantes perturbations polysomnographiques, surtout s’ils ont plus de 65 ans, mais ce n’était pas la question de départ...
    Compte-tenu de la lourdeur du protocole, la présence d’un groupe contrôle et surtout la réalisation d’un nouvel enregistrement au cours de la série d’ECT aurait peut-être permis la mise en évidence de modification des anomalies initiales, mais il s’agit là probablement d’une future publication... A suivre donc.

    delbrouc@micronet.fr
     
    Grunhaus L., Shipley J. E., Eiser A., Pande A. C., Tandon R., Remen A., Greden J. F.
    Polysomnographic studies in patients referred for ECT : pre-ECT studies.
    Convulsive Therapy 1996, 12 : 224-231

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    ECT ET SOMMEIL, BIS

    Patrick Delbrouck

    Si l’insomnie est l’un des symptômes principaux de la dépression, elle constitue également l’une des plaintes principales des patients. L’efficacité des antidépresseurs sur cette insomnie est en général bonne mais survient souvent après un délai d’attente vécu comme insupportable par les sujets déprimés. Aussi, la prescription d’hypnotique n’est-elle pas exceptionnelle, surtout lorsque les antidépresseurs se montrent d’efficacité médiocre. Le recours alors à des électrochocs peut s’avérer délicat, en raison des propriétés anti-épileptiques de la plupart des hypnotiques. Plusieurs travaux ont en effet été publiés qui démontrent clairement que la prise d’un hypnotique benzodiazépinique le soir au coucher, élève le seuil épileptogène et peut induire une résistance aux ECT.
    Partant du fait que la plupart de ces études portaient sur des molécules à demi-vie longue, S. K. Guthrie et coll ont testé l’utilisation de substances à demi-vie brève.
    Ils ont réuni un échantillon de 19 patients déprimés (12 âgés de plus de 65 ans et 7 âgés de moins de 65 ans) soumis à un traitement par ECT. Chaque sujet recevait, la veille du deuxième, troisième et quatrième choc, 250 mg de triazolam (125 mg pour les plus de 65 ans), ou 50 mg de diphenhydramine ou un placebo. L’ordre d’administration était effectué après randomisation. La durée de totale de sommeil, le nombre d’éveils nocturnes et la durée de la crise EEG étaient les principaux facteurs analysés.
    L’analyse statistique montre un effet de l’âge sur la durée des crises, celles-ci étant plus brèves chez les patients de plus de 65 ans par rapport au sujets plus jeunes. Par contre, il n’existe aucune différence statistiquement significative entre les trois traitements. A noter également qu’il n’existe pas non plus de différence en terme de durée de sommeil et de nombre d’éveils quelle que soit la molécule utilisée.
    Les auteurs en concluent que l’administration d’un hypnotique à demi-vie brève est sans conséquence sur la réalisation d’ECT le lendemain matin.
    On pourrait ajouter que cette prise médicamenteuse semble être également sans effet sur le sommeil des patients et l’on peut alors s’interroger sur son utilisation... D’une façon plus générale, le recours à une molécule benzodiazépinique apparaît comme peu souhaitable avant la réalisation d’une série d’ECT (quelque soit la demi-vie) et le traitement des insomnies dépressives repose avant tout sur celui de la dépression.
    delbrouc@micronet.fr

     
    Guthrie S. K., Chit-Yee Sung J., Goodson J., Grunhaus L., Tandon R.
    Triazolam and diphenhydramine effects on seizure duration in depressed patients receiving ECT.
    Convulsive Therapy 1996, 12 : 261-264

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    OPINIONS SUR LES CAUSES DE LA DÉPRESSION

    Françoise Chastang

    Les enquêtes d’opinion sont décidément à la mode ; elles peuvent concerner l’évaluation de la satisfaction des patients et de leurs proches à l’issue d’une prise en charge ou bien évaluer les croyances, voire les idées reçues véhiculées au sein de la population à propos d’une pathologie donnée.
    Partant du principe que chaque personne possède à l’heure actuelle, grâce aux moyens d’information disponibles du moins dans les pays industrialisés, un minimum de connaissances sur les troubles mentaux, Jorm et coll ont mené une enquête auprès de plus de 2000 ménages australiens représentatifs, en leur présentant une vignette clinique tirée au sort (dépression ou schizophrénie) mettant en scène tantôt un homme tantôt une femme. Il était demandé à chaque répondant ce qu’il pensait de l’état de santé de la personne présentée, et comment le patient pourrait être aidé au mieux. Ces questions ouvertes étaient suivies de questions plus ciblées sur les causes vraisemblables de la maladie (problèmes quotidiens, allergie, virus, facteurs génétiques, problématique de l’enfance, traumatismes, manque de caractère...), et sur de potentiels facteurs de risque (chômage, âge, sexe, séparations ou divorce....).
    Pour une grande majorité des personnes interrogées, les causes les plus vraisemblables de dépression sont les problèmes quotidiens, les traumatismes, les deuils récents et les problématiques liées à l’enfance. Ces réponses sont d’autant plus fréquentes que les personnes ont fait le diagnostic de dépression lors de la présentation de la vignette clinique. Cependant quasiment la moitié des sujets considéraient que la dépression est en rapport avec une faiblesse de caractère, une affection infectieuse ou virale, ou d’origine génétique. Plus de 50% des répondants estiment que les démunis, les chômeurs, les divorcés ou séparés ont plus de risques de présenter un état dépressif, et que le risque dépressogène est moindre chez les personnes âgées. Quarante et un % des personnes auxquelles le cas clinique de dépression chez une jeune femme a été présenté considèrent que les femmes souffrent plus souvent de dépression que les hommes contre 23% chez les personnes auxquelles la vignette clinique mettant en scène un homme dépressif a été soumise.
    La perception d’un trouble psychique par l’opinion publique peut être considérée à plusieurs niveaux. Si les résultats présentés montrent la part attribuée en général aux facteurs environnementaux, ils soulignent également certaines idées reçues comme le manque de caractère considéré comme point de départ d’un état dépressif. De tels éléments ont un rôle non négligeable dans la reconnaissance de la souffrance et de la maladie tant pour soi que pour les proches, et peuvent influer sur l’accès aux soins et sur la qualité de l’alliance thérapeutique.
     

    Jorm AF, Korten AE, Jacomb PA, Christensen H, Rodgers B, Pollitt P. Public beliefs about causes and risk factors for depression and schizophrenia. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 1997 ; 32 : 143-148.

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    SEVRAGE DU LITHIUM : PAS DE PERTE ULTÉRIEURE D’EFFICACITÉ, MAIS PRUDENCE.

    Hélène Verdoux

    Il a été suggéré, en particulier par Post (1) que l’arrêt d’un traitement par lithium pourrait avoir pour conséquence de favoriser l’émergence d’une résistance secondaire, c’est à dire d’entraîner une perte d’efficacité chez des patients jusqu’alors répondeurs à ce traitement. Cette hypothèse a été testée dans une étude conduite dans deux centres de recherche Nord-Américains et un centre de recherche Italien (2). L’impact de l’interruption d’une lithiothérapie sur l’efficacité ultérieure de ce traitement a été évalué chez 86 patients bipolaires (56 bipolaires I et 30 bipolaires II), traités par lithium pendant une première phase durant en moyenne 4 ans et demi (au moins un an), puis ayant interrompu ce traitement en moyenne 2 ans. Après la reprise du traitement, les patients ont été suivi pendant une période identique à la première phase de traitement. L’étude est de type naturaliste, les informations sur l’efficacité du traitement ont été évaluées de manière rétrospective pour la phase précédent l’interruption, et à partir des informations cliniques collectées par les psychiatres traitants des patients pour la phase suivant la réinstauration du traitement. La comparaison des deux phases de lithiothérapie, avant et après l’interruption du traitement, ne permet pas de mettre en évidence de différences tant en termes de nombre d’épisodes maniaques ou dépressifs que de fréquence de réhospitalisation. Dans les deux cas, les épisodes thymiques et hospitalisations ont des fréquences nettement inférieures à celles observées pendant la phase d’interruption du traitement. Ainsi, sous lithium, le nombre d’épisode décroît de 64% avant et après l’interruption du traitement par rapport à la période sans lithium, le nombre d’hospitalisation de 87% et 82%, et la durée des épisodes de 59% et 52%. La morbidité après la réinstauration du traitement n’est pas associée à la durée antérieure de la lithiothérapie, ou à l’intervalle entre les deux phases de traitement, ou au fait que l’arrêt du traitement a été graduel ou abrupt.
     

    La seule différence entre les deux phases de lithiothérapie est une discrète augmentation (+13%) de la prescription d’antidépresseurs ou de neuroleptiques après la réinstauration du lithium par rapport à la période précédant l’arrêt. Ces résultats sont donc plutôt rassurants, en démontrant que la résistance secondaire au lithium induite par l’arrêt de ce traitement n’apparaît pas être une complication fréquente, et qu’un bémol pourrait donc être mis aux cris d’alarme que lance Post depuis quelques années, appuyés sur quelques dossiers de patients, et surtout sur une conviction inébranlable en la validité du modèle du kindling comme substratum physiopathologique des troubles de l’humeur.

     
    A noter qu’une étude parallèle conduite par la même équipe (3) confirme que l’interruption rapide (1-14 jours) de la lithiothérapie est associée à un risque plus élevé de récurrences qu’un arrêt progressif (15-30 jours), avec des récurrences plus fréquentes sur une période de 2 ans (tous les patients ayant arrêté brutalement le lithium rechutent contre “seulement” 2/3 de ceux l’ayant interrompu progressivement). Surtout, ces récurrences surviennent 5 fois plus rapidement en cas d’interruption brutale, avec un pic dans les trois premiers mois suivant l’interruption. Cette nouvelle étude confirme la très probable existence d’un phénomène de rebond à l’interruption de la lithiothérapie, rebond dont la physiopathologie est loin d’être élucidée, mais qui incite dans tous les cas à préconiser un sevrage si possible progressif quand une lithiothérapie est interrompue sous contrôle médical.

    helene.verdoux@ipso.U-bordeaux2.fr
     

    1. Post RM, Leverich GS, Pazzaglia PJ et al (1992) Lithium-discontinuation-induced refractoriness : preliminary observations. Am J Psychiatry 149, 1727-1729.
     
    2. Tondo L, Baldessarini RJ, Floris G, Rudas N. (1997) Effectiveness of restarting lithium treatment after its discontinuation in bipolar I and bipolar II disorders. Am J Psychiatry 154, 548-550.
     
    3. Baldessarini RJ, Tondo L, Floris G, Rudas N (1997) Reduced morbidity after gradual discontinuation of lithium treatment for bipolar I and II disorders : a replication study. Am J Psychiatry 154, 551-553.

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    META-ANALYSE DU RISQUE SUICIDAIRE

    Françoise Chastang

    De fort nombreuses études, utilisant dans la plupart des cas la méthode dite de l’autopsie psychologique, ont bien démontré les rapports étroits entre les maladies mentales et la mortalité par suicide, 90% des sujets décédés de suicide ayant à un moment de leur vie souffert d’un ou plusieurs troubles mentaux.

    L’intérêt essentiel de l’article de Harris et Barraclough réside en la qualité de la méta-analyse, avec détermination du S.M.R. (ou taux standardisé de mortalité) pour chaque grand groupe de pathologie mentale. Le S.M.R. est une méthode de standardisation indirecte qui consiste à comparer la mortalité observée dans une population donnée à la mortalité attendue dans cette population si elle avait une mortalité par âge comparable à celle d’une population de référence.

    La recherche bibliographique, basée sur une recherche Medline de 1966 à 1995 avec comme principaux mots-clé “troubles mentaux”, “mortalité”, “suivi”, puis la lecture des principales revues internationales, a permis de retenir 249 articles répondant à des critères précis, à savoir description des causes de mortalité, suivi supérieur ou égal à 2 ans, moins de 10% de perdus de vue, nombre de suicides attendus et observés, et article publié en langue anglaise dans une revue avec comité de lecture.

    Les estimations moyennes des risques suicidaires en rapport avec la pathologie thymique et les conduites autolytiques sont résumées dans le tableau suivant.

    >

    Pathologies

    Risques suicidaires

    Nombre

    Sujets

    Nombre

    Publications

    (pays d'origine)

    Commentaire

    Troubles thymiques

    • EDM
    • - PMD
    • - Dysthymie
    • - Autres ED

     

    X20

    X15

    X12

    X16

     

    8000

    3700

    50 000

    10 000

     

    23 (USA, Canada, scandinavie)

    14 id+Suisse)

    9 (suède, USA)

    12 (GB, Danemark, USA)

    Risque augmenté chez sujets âgés

    Risque limité si lithium

    Risque augmenté chez sujets âgés

    Troubles

    De l'adaptation

    X14

    400

    2 (USA)

     

    Conduites

    Suicidaires

    • IMV
    • Autres
    • Idées suicidaires et/ou TS

     

    X 4O

    X38

    X47

     

    8000

    2700

    1610

     

    11 (scandinavie, GB)

    9 (USA)

    3 (USA)

    Risque augmenté si

    • existence de TS antérieures
    • - antécédents de dépression ou de schizophrénie
    • facteurs sociaux

    Malgré des estimations quantitatives livrées brutalement, ce qui rend ardue la lecture de l’article, cette méta-analyse a le mérite de prendre en compte les principales études de qualité sur le sujet et de proposer une détermination moyenne du risque de décès par suicide au long terme en fonction des principales pathologies neuropsychiatriques.

    Comme toujours dans les approches épidémiologiques, se pose le problème clinique de la généralisation des résultats présentés. Les sujets considérés dans cette méta-analyse sont généralement des patients hospitalisés, donc porteurs par définition des formes de troubles psychiques les plus graves. Cet aspect est particulièrement important à considérer dans la cadre de la pathologie thymique, nombre de patients dépressifs étant en fait suivis exclusivement en ambulatoire, voire même par leurs médecins généralistes. De plus, le risque de décès par suicide en rapport avec les comorbidités possibles n’est pas considéré. Enfin, et cela concerne toutes les pathologies passées en revue dans cet article, le risque de suicide est plus important au début des prises en charge et mérite donc une nouvelle appréciation à long terme, particulièrement lorsque les études ont porté sur de faibles échantillons et sur une assez courte période.

    Ultime regret : aucun cocorico n’est possible, aucun travail français n’ayant été retenu dans cette méta-analyse faisant la part belle aux travaux scandinaves, américains, britanniques et canadiens.

     
    Harris EC, Barraclough B. Suicide as an outcome for mental disorders. Br J Psychiatry 1997, 170 : 205-228.

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    ECT : COMMENT PRÉDIRE LA RÉPONSE ?

    Patrick Delbrouck

    Si l’ECT est maintenant reconnue comme une thérapeutique efficace des états dépressifs, les critères permettant d’en prédire la réponse restent discutés. On s’est longtemps contenté d’une analyse binaire : crise clinique ou pas, mais depuis quelques années, l’analyse s’est affinée et on dispose désormais d’outils plus précis. Pourtant, comme souvent, la multiplication de ces instruments n’a guère résolu le problème comme le démontrent Charles Kellner et Max Fink (1).

    Jusqu’aux années 80, la durée cumulée des crises était considérée comme un indicateur intéressant, mais les travaux de Maletzky (cité dans 1) démontrèrent le contraire. On s’est ensuite accordé sur la durée individuelle de la crise qui doit être comprise entre 25 et 180 secondes. Cette condition reste nécessaire mais non suffisante. En effet, dans les chocs unilatéraux, des crises d’une durée satisfaisante s’avèrent inefficaces s’ils sont effectués juste au niveau du seuil épileptogène. L’étude des modifications de l’EEG durant la crise est une nouvelle voie d’exploration. Pour Weiner, Kristal et coll. (cités dans 1), l’analyse des bandes à hautes fréquences constituerait un bon facteur prédictif d’une réponse thérapeutique. Pour Abrams et Swartz (cités dans 1) l’analyse de l’EEG se fait au travers d’index informatisés installés sur certains appareils à sismothérapie (Thymatron®). Ainsi, ces auteurs ont-ils développé un index d’énergie qui intègre à la fois la durée et l’amplitude de la crise, un index de suppression qui évalue la brutalité d’arrêt de la crise et un index de concordance qui compare crise EEG et EMG. Ce dernier indice serait le reflet de la généralisation de la crise.

    Après un engouement sans lendemain dans les années 50, l’étude des modifications intercritiques de l’EEG retrouve un nouvel élan. La digitalisation du signal EGG a permis son traitement mathématique, la production de cartes et le calcul de puissance dans différentes bandes. L’apparition, en région préfrontale, d’une activité lente (thêta, delta) durant la deuxième ou troisième semaine de traitement serait prédictive d’une réponse positive au traitement.

    Enfin, il existe également des tests biologiques. Le plus étudié actuellement est l’apparition d’un pic de sécrétion de prolactine survenant 20 à 30 minutes après le choc qui serait corrélé à l’efficacité thérapeutique. De même, pour les patients ayant un test de suppression à la dexaméthasone anormal, sa normalisation sous traitement serait de bon pronostic.

    Comme on le voit, la multiplication des indices n’a pas simplifié le problème. La plupart d’entre eux sont développés par une équipe et ne sont guère étudiés par d’autres. Chacun tente de développer son marqueur qu’il prétend être plus sensible que celui du voisin. Dans ces conditions, il est difficile de se fier à l’un plutôt qu’à l’autre. Les possesseurs d’appareils Thymatron® disposent d’un outil standardisé qui pourrait facilement faire l’objet d’études plus indépendantes (pourquoi pas à travers la création de club d’utilisateurs ?). Pour les autres, le choix d’un indice se fera surtout en fonction des disponibilités locales et des habitudes.

    En conclusion, si la sacro-sainte crise d’au moins 25 secondes a encore de beaux jours devant elle, la mise au point de nouveaux indices reste largement souhaitable, comme l’évaluation de ceux existants.

    delbrouc@micronet.fr

    Kellner C. et Fink M.
    Seizure adequacy : does EEG hold the key ?
    Convulsive Therapy 1996, 12, 203-206

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    FOLATES, VITAMINE B12, HOMOCYSTEINE ET DEPRESSION

    Patrick Delbrouck

    Les troubles métaboliques dans les pathologies dépressives sont nombreux et ont donné lieu à diverses interprétations. Les “historiques” perturbations de la cortisolémie ont largement participé à la naissance de la psychiatrie dite biologique. Si la réalité de ces modifications n’est plus contestée, leur interprétation reste très ouverte en raison d’une spécificité toute relative et de problèmes méthodologiques.

    M. Fava et coll. rapportent une étude portant sur les perturbations métaboliques affectant certains amino- acides. En effet, plusieurs études ont montré l’existence d’anomalies, notamment dans les dépressions des personnes âgées.

    Ces auteurs ont ainsi constitué une population de 213 sujets présentant une dépression majeure. Parmi eux, 51 répondaient aux critères DSM-IV de dépression mélancolique. Ces patients ont bénéficié d’un dosage sanguin d’acide folique, de vitamine B12 et d’homocyctéine avant d’être traités durant huit semaines par fluoxétine (20 mg/j).

    Sur ces 213 déprimés, 76 (36 %) présentaient au moins une anomalie métabolique. 36 (17 %) avaient des taux bas en folate et 5 (2 %) des taux nuls. 25 avaient des dosages abaissés en vitamine B12 et 41 des taux augmentés en homocystéine. A noter que 24 patients (11 %) présentaient deux anomalies et 7 (3 %) trois perturbations.

    D’un point de vue statistique, l’abaissement en folates apparaît lié à la présence d’un trouble dépressif de type mélancolique, et non des autres types. Par contre, les anomalies plasmatiques concernant la vitamine B12 et l’homocystéine ne sont pas liées à un type particulier de dépression.

    Par ailleurs, les sujets présentant des taux bas de folates répondent deux fois moins bien au traitement que ceux ayant des taux normaux. Là encore, il n’existe aucune relation de ce type avec les perturbations affectant le métabolisme de la vitamine B12 ou de l’homocystéine.

    Enfin, il n’existe aucune corrélation entre l’intensité de la dépression, évaluée par l’échelle de Hamilton à 17 items et l’importance des modifications métaboliques.

    Les auteurs se hasardent peu en explications. Ils se contentent prudemment de constater la présence d’anomalies et appellent à la réalisation de futures études pour préciser l’importance du phénomène... Ils proposent également, de façon pragmatique, d’effectuer un dosage d’acide folique chez les patients mélancoliques résistants au traitement et suggèrent judicieusement d’évaluer l’effet d’une correction du déficit en folates sur l’efficacité du traitement antidépresseur.

    A suivre donc...

    delbrouc@micronet.fr

     
    Fava M., Borus B. A., Alpert J. E., Nierenberg A. A., Rosenbaum J. E., Bottiglieri T.
    Folate, vitamin B12 and homocysteine in major depressive disorder.
    Am. J. Psychiatry 1997, 154 : 426-428.
     
     

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    LA CARBAMAZÉPINE DANS LE TROUBLE BIPOLAIRE : FAUT-IL Y CROIRE ?

    Hélène Verdoux

    Un éditorial de Post et coll (1) publié dans le British Journal of Psychiatry a pour objectif de démontrer les bénéfices thérapeutiques de la carbamazépine, ce qui n’est a priori guère surprenant quand on sait que le premier auteur de l’article est depuis près de 20 ans un des plus fervents défenseurs de cette molécule en particulier, et des anticonvulsivants en général. Les auteurs rappellent que l’indication “troubles de l’humeur” a été accordée dans 107 pays à la carbamazépine, bien que pour la Food and Drug Administration américaine, seul le lithium bénéficie de l’indication “traitement prophylactique”, le valproate étant quant à lui uniquement préconisé dans le traitement curatif de l’accès maniaque. Les auteurs présentent 14 études ayant évalué l’efficacité prophylactique de la carbamazépine, et concluent que 63% des patients inclus dans les études contrôlées ou “partiellement contrôlées” (?) ont tiré un bénéfice clinique de cette prescription, et 62% dans les études ouvertes. On pourra utilement se référer à la méta-analyse de Dardennes et al (2) concernant les limites méthodologiques des rares études randomisées en double-aveugle. Les arguments de Post, mettant en avant le bénéfice de ce traitement chez des patients résistants au lithium, qui peuvent effectivement être vérifiés de manière empirique dans la pratique quotidienne, au moins pour l’association lithium-carbamazépine, ne sont pas suffisants pour justifier que le lithium ne reste pas la molécule à privilégier en première intention dans le traitement prophylactique des troubles bipolaires. On ne peut donc qu’être d’accord avec Post quand il conclut sur la nécessité d’études complémentaires sur l’efficacité prophylactique de la carbamazépine, et qu’il estime nécessaire de mieux définir les profils cliniques prédictifs d’une réponse thérapeutique à la carbamazépine. A titre anecdotique, Post rapporte les résultats d’une étude conduite par Ketter et coll, suggérant qu’un pattern d’hypermétabolisme cérébral (temporal) prédirait l’efficacité antidépressive de la carbamazépine. Les applications pratiques de cet indice prédictif paraissent toutefois limitées ! L’efficacité préventive de la carbamazépine dans le trouble bipolaire reste donc encore à démontrer, et les recommandations de la FDA ne peuvent pas se résumer à la tendance quelque peu protectionniste de l’administration Nord-Américaine.

     
    1. Post RM, Denicoff KD, Frye MA, Leverich GS (1997) Re-evaluating carbamazepine prophylaxis in bipolar disorder. Brit J Psychiatry 170, 202-204.

     
    2. Dardennes R, Evens C, Bange F et al (1995) Comparison of carbamazepine and lithium in the prophylaxis of bipolar disorders. A meta-analysis. Brit J Psychiatry 166, 378-381.
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    DÉPRESSION N°9 Octobre / Novembre 1997