Les fumeurs sont à lhonneur. Pas moins de quatre articles (1, 2, 3, 5), dont deux de la même équipe (2, 5) ont été récemment publiés dans la littérature internationale sur lassociation tabagisme-dépression, dont les relations complexes se situent à différents niveaux.
1- LA COMORBIDITÉ
Il existe une indiscutable comorbidité entre la dépendance à la nicotine et les troubles dépressifs. Il est actuellement bien établi que les scores danxiété et de dépression sont supérieurs chez les fumeurs. Lenquête ECA montre notamment que les états dépressifs sont deux fois plus fréquents chez eux. Cette comorbidité tabagisme-dépression existe en fait dès ladolescence. En effet, pour Fergusson (3), les adolescents de 16 ans présentant une pathologie dépressive ont deux fois plus de risque de présenter une dépendance à la nicotine que ceux sans état dépressif après ajustement sur les facteurs de risque liés, notamment sociaux et familiaux.
Cette comorbidité peut donc en partie sexpliquer par lexistence de facteurs de risque communs tant sociaux, familiaux que personnels sexprimant dès ladolescence. Par exemple, une faible estime de soi est retrouvée à la fois chez les sujets dépressifs et ceux présentant une dépendance à la nicotine, en étant chez ces derniers en relation avec leffet anxiolytique voire antidépresseur attribué par certaines personnes au tabac.
2 - LE SYNDROME DE SEVRAGE
Les fumeurs aux antécédents dépressifs arrêtent moins facilement le tabac que leurs homologues sans antécédents. Dans un article récent, Stage et coll (5), rapportent des cas cliniques montrant particulièrement bien la variabilité du mode de début et du devenir des symptômes dépressifs après une phase de sevrage en nicotine, et met en évidence lexistence dune période dite de vulnérabilité, de durée variable après larrêt du tabac, de quelques jours à quelques semaines pendant laquelle peut apparaître un syndrome dépressif.
Les symptômes dépressifs ne sont pas des éléments constitutifs du syndrome de manque à la nicotine selon les classifications américaines (DSM III R et DSM IV). Cependant, Glassman (4) note que 75% des fumeurs ayant des antécédents dépressifs ont présenté un état dépressif dans la première semaine du sevrage, contre 30% chez les fumeurs sans antécédents. Leur syndrome de sevrage était plus intense. De plus, lémergence de symptômes dépressifs pendant le sevrage semble corrélée à un échec plus fréquent. Certaines vignettes cliniques rapportées par Stage (5), notent lapparition de symptômes dépressifs dans les deux jours après larrêt de la nicotine et leur disparition dès la reprise du tabac. Les symptômes dépressifs semblent donc pouvoir, ainsi que lICD 10 le prévoit, faire partie du syndrome de manque à la nicotine, et ce dautant plus facilement que le sujet a des antécédents de troubles thymiques.
3 - LA DÉPRESSION POST-SEVRAGE
La même équipe a évalué sur 3 mois 126 fumeurs ayant suivi avec succès un programme darrêt du tabac et ne présentant au moment de linclusion dans létude aucun trouble psychique (2). 72% dentre eux nont pas dantécédents dépressifs, 2% ont présenté un état dépressif unique et 8% des états dépressifs récurrents. Pendant les 3 mois de létude, 7% ont souffert dun état dépressif, mais de façon tout à fait variable en fonction des antécédents : lincidence dun nouvel état dépressif est de 2% en absence dantécédents détat dépressif majeur, de 17% en cas de notion détat dépressif unique et de 30% en cas de récurrence dépressive. En dautres termes, lexistence dun état dépressif majeur unique multiplie par 6 le risque de survenue dun nouvel état dépressif dans les semaines suivant larrêt du tabac. Lexistence dun trouble dépressif récurrent multiplie ce risque par 8, et la persistance de symptômes de sevrage par 9.
La dépression au décours du sevrage en nicotine est donc dautant plus fréquente quexistent des antécédents personnels de troubles thymiques ou la notion dun sevrage difficile (1, 2, 4). Cette dimension est à prendre en compte dans les programmes darrêt du tabac. Des études ultérieures sur le rôle respectif des facteurs psychodynamiques et familiaux pourraient être intéressantes.
(1) Borelli B, Niaura R, Keuthen NJ, Golstein MG, De Pue JD, Murphy C, Abrams DB. Development of major depressive disorder during smoking-cessation treatment. J Clin Psychiatr 1996 ; 57 : 534-538.
(2) Covey LS, Glassman AH, Stetner F. Major depression following smoking cessation. Am J Psychiatr 1997 ; 154 : 263-265.
(3) Fergusson DM, Lynskey MT, Horwood J. Comorbidity between depressive disorders and nicotine dependence in a cohort of 16-year-olds. Arch Gen Psychiatry 1996 ; 53 : 1043-47.
(4) Glassman AH. Cigarette smoking : implications for psychiatric illness. Am J Psychiatr 1993 ; 150 : 546-553.
Les troubles dépressifs saccompagnent constamment de troubles du sommeil à type dinsomnie avec réveil précoce. Ces anomalies saccompagnent également de perturbations qualitatives et quantitatives lors des enregistrements polygraphiques de sommeil : diminution de la latence dapparition du sommeil paradoxal, diminution des stades de sommeil lent profond, augmentation de lactivité et de la densité de REM, augmentation de la fragmentation du sommeil... Ces modifications, dont la mise en évidence reste lourde, ont à la fois un intérêt diagnostique, et prédictif de la réponse au traitement antidépresseur. Cest dans cette perspective que Leon Grunhaus et coll. ont testé la valeur prédictive des enregistrements de sommeil dans les traitements par ECT (1).
Ces auteurs ont constitué un échantillon de 41 patients (10 hommes et 31 femmes) répondant aux critères RDC de trouble dépressif majeur. 31 répondaient également aux critères du type endogène et 16 avaient des symptômes psychotiques. Lâge moyen était de 65 ans et le score moyen à lHamilton Rating Scale for Depression (HRSD) à 17 items était de 27. Lévaluation était effectuée une semaine avant le début des chocs et une semaine après la dernière séance.
Avant le premier choc, les patients subissaient un enregistrement polygraphique de sommeil de deux nuits consécutives (après deux nuits dadaptation et 10 jours de sevrage médicamenteux). Linterprétation seffectuait manuellement selon les critères de Rechtschaffen et Kales, et les principales variables habituelles étaient calculées : latence et durée des différents stades, activité et densité de REM, indice de fragmentation...
Les chocs seffectuaient de façon classique, sous anesthésie générale et curarisation. 21 patients furent traités en unilatéral et 19 en bilatéral. La durée de létude sétant étalée sur huit ans, les conditions de réalisation des chocs ne furent, malheureusement, pas homogènes : courant sinusoïdal au début puis courant à onde brève pulsée par la suite. La durée cumulée des crises ainsi que leur durée moyenne et le nombre de séances furent comptabilisés.
Enfin, lanalyse statistique sépara le groupe en deux : lun composé de 30 sujets répondeurs (HRSD inférieure ou égale à 10 après les chocs) et lautre de 11 sujets résistants (HRSD supérieure ou égale à 11). La prise en compte de lâge (plus ou moins de 65 ans) fut également effectuée.
Les résultats de cette lourde étude sont quelque peu décevants. Les auteurs enfoncent une série impressionnante de portes ouvertes : les personnes âgées (> 65 ans) dorment moins bien que les plus jeunes et présentent plus danomalies aux enregistrements polysomnographiques. Elles ont un âge de début des troubles plus élevé. Les sujets résistants ont bénéficié de plus de chocs que les répondeurs et ont donc une durée cumulée en crise plus élevée. A noter cependant que la durée moyenne des crises était comparable dans les deux groupes (43 s vs 46 s).
De même, aucun paramètre polygraphique ne permet de différencier répondeur et non répondeur. Latence et durée des différents stades, activité et densité de REM sont statistiquement comparables dans les deux populations. Paradoxalement, les sujets résistants présentent même une tendance à avoir une latence dapparition du sommeil paradoxal augmentée et moins de périodes de REM (sans pour autant atteindre le seuil de significativité statistique)...
Les auteurs en concluent que les patients déprimés traités par ECT sont gravement atteints et présentent dimportantes perturbations polysomnographiques, surtout sils ont plus de 65 ans, mais ce nétait pas la question de départ...
Compte-tenu de la lourdeur du protocole, la présence dun groupe contrôle et surtout la réalisation dun nouvel enregistrement au cours de la série dECT aurait peut-être permis la mise en évidence de modification des anomalies initiales, mais il sagit là probablement dune future publication... A suivre donc.
delbrouc@micronet.fr
Grunhaus L., Shipley J. E., Eiser A., Pande A. C., Tandon R., Remen A., Greden J. F.
Polysomnographic studies in patients referred for ECT : pre-ECT studies.
Si linsomnie est lun des symptômes principaux de la dépression, elle constitue également lune des plaintes principales des patients. Lefficacité des antidépresseurs sur cette insomnie est en général bonne mais survient souvent après un délai dattente vécu comme insupportable par les sujets déprimés. Aussi, la prescription dhypnotique nest-elle pas exceptionnelle, surtout lorsque les antidépresseurs se montrent defficacité médiocre. Le recours alors à des électrochocs peut savérer délicat, en raison des propriétés anti-épileptiques de la plupart des hypnotiques. Plusieurs travaux ont en effet été publiés qui démontrent clairement que la prise dun hypnotique benzodiazépinique le soir au coucher, élève le seuil épileptogène et peut induire une résistance aux ECT.
Partant du fait que la plupart de ces études portaient sur des molécules à demi-vie longue, S. K. Guthrie et coll ont testé lutilisation de substances à demi-vie brève.
Ils ont réuni un échantillon de 19 patients déprimés (12 âgés de plus de 65 ans et 7 âgés de moins de 65 ans) soumis à un traitement par ECT. Chaque sujet recevait, la veille du deuxième, troisième et quatrième choc, 250 mg de triazolam (125 mg pour les plus de 65 ans), ou 50 mg de diphenhydramine ou un placebo. Lordre dadministration était effectué après randomisation. La durée de totale de sommeil, le nombre déveils nocturnes et la durée de la crise EEG étaient les principaux facteurs analysés.
Lanalyse statistique montre un effet de lâge sur la durée des crises, celles-ci étant plus brèves chez les patients de plus de 65 ans par rapport au sujets plus jeunes. Par contre, il nexiste aucune différence statistiquement significative entre les trois traitements. A noter également quil nexiste pas non plus de différence en terme de durée de sommeil et de nombre déveils quelle que soit la molécule utilisée.
Les auteurs en concluent que ladministration dun hypnotique à demi-vie brève est sans conséquence sur la réalisation dECT le lendemain matin.
On pourrait ajouter que cette prise médicamenteuse semble être également sans effet sur le sommeil des patients et lon peut alors sinterroger sur son utilisation... Dune façon plus générale, le recours à une molécule benzodiazépinique apparaît comme peu souhaitable avant la réalisation dune série dECT (quelque soit la demi-vie) et le traitement des insomnies dépressives repose avant tout sur celui de la dépression.
delbrouc@micronet.fr
Guthrie S. K., Chit-Yee Sung J., Goodson J., Grunhaus L., Tandon R.
Triazolam and diphenhydramine effects on seizure duration in depressed patients receiving ECT.
Les enquêtes dopinion sont décidément à la mode ; elles peuvent concerner lévaluation de la satisfaction des patients et de leurs proches à lissue dune prise en charge ou bien évaluer les croyances, voire les idées reçues véhiculées au sein de la population à propos dune pathologie donnée.
Partant du principe que chaque personne possède à lheure actuelle, grâce aux moyens dinformation disponibles du moins dans les pays industrialisés, un minimum de connaissances sur les troubles mentaux, Jorm et coll ont mené une enquête auprès de plus de 2000 ménages australiens représentatifs, en leur présentant une vignette clinique tirée au sort (dépression ou schizophrénie) mettant en scène tantôt un homme tantôt une femme. Il était demandé à chaque répondant ce quil pensait de létat de santé de la personne présentée, et comment le patient pourrait être aidé au mieux. Ces questions ouvertes étaient suivies de questions plus ciblées sur les causes vraisemblables de la maladie (problèmes quotidiens, allergie, virus, facteurs génétiques, problématique de lenfance, traumatismes, manque de caractère...), et sur de potentiels facteurs de risque (chômage, âge, sexe, séparations ou divorce....).
Pour une grande majorité des personnes interrogées, les causes les plus vraisemblables de dépression sont les problèmes quotidiens, les traumatismes, les deuils récents et les problématiques liées à lenfance. Ces réponses sont dautant plus fréquentes que les personnes ont fait le diagnostic de dépression lors de la présentation de la vignette clinique. Cependant quasiment la moitié des sujets considéraient que la dépression est en rapport avec une faiblesse de caractère, une affection infectieuse ou virale, ou dorigine génétique. Plus de 50% des répondants estiment que les démunis, les chômeurs, les divorcés ou séparés ont plus de risques de présenter un état dépressif, et que le risque dépressogène est moindre chez les personnes âgées. Quarante et un % des personnes auxquelles le cas clinique de dépression chez une jeune femme a été présenté considèrent que les femmes souffrent plus souvent de dépression que les hommes contre 23% chez les personnes auxquelles la vignette clinique mettant en scène un homme dépressif a été soumise.
La perception dun trouble psychique par lopinion publique peut être considérée à plusieurs niveaux. Si les résultats présentés montrent la part attribuée en général aux facteurs environnementaux, ils soulignent également certaines idées reçues comme le manque de caractère considéré comme point de départ dun état dépressif. De tels éléments ont un rôle non négligeable dans la reconnaissance de la souffrance et de la maladie tant pour soi que pour les proches, et peuvent influer sur laccès aux soins et sur la qualité de lalliance thérapeutique.
Jorm AF, Korten AE, Jacomb PA, Christensen H, Rodgers B, Pollitt P. Public beliefs about causes and risk factors for depression and schizophrenia. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 1997 ; 32 : 143-148.
SEVRAGE DU LITHIUM : PAS DE PERTE ULTÉRIEURE DEFFICACITÉ, MAIS PRUDENCE.
Hélène Verdoux
Il a été suggéré, en particulier par Post (1) que larrêt dun traitement par lithium pourrait avoir pour conséquence de favoriser lémergence dune résistance secondaire, cest à dire dentraîner une perte defficacité chez des patients jusqualors répondeurs à ce traitement. Cette hypothèse a été testée dans une étude conduite dans deux centres de recherche Nord-Américains et un centre de recherche Italien (2). Limpact de linterruption dune lithiothérapie sur lefficacité ultérieure de ce traitement a été évalué chez 86 patients bipolaires (56 bipolaires I et 30 bipolaires II), traités par lithium pendant une première phase durant en moyenne 4 ans et demi (au moins un an), puis ayant interrompu ce traitement en moyenne 2 ans. Après la reprise du traitement, les patients ont été suivi pendant une période identique à la première phase de traitement. Létude est de type naturaliste, les informations sur lefficacité du traitement ont été évaluées de manière rétrospective pour la phase précédent linterruption, et à partir des informations cliniques collectées par les psychiatres traitants des patients pour la phase suivant la réinstauration du traitement. La comparaison des deux phases de lithiothérapie, avant et après linterruption du traitement, ne permet pas de mettre en évidence de différences tant en termes de nombre dépisodes maniaques ou dépressifs que de fréquence de réhospitalisation. Dans les deux cas, les épisodes thymiques et hospitalisations ont des fréquences nettement inférieures à celles observées pendant la phase dinterruption du traitement. Ainsi, sous lithium, le nombre dépisode décroît de 64% avant et après linterruption du traitement par rapport à la période sans lithium, le nombre dhospitalisation de 87% et 82%, et la durée des épisodes de 59% et 52%. La morbidité après la réinstauration du traitement nest pas associée à la durée antérieure de la lithiothérapie, ou à lintervalle entre les deux phases de traitement, ou au fait que larrêt du traitement a été graduel ou abrupt.
La seule différence entre les deux phases de lithiothérapie est une discrète augmentation (+13%) de la prescription dantidépresseurs ou de neuroleptiques après la réinstauration du lithium par rapport à la période précédant larrêt. Ces résultats sont donc plutôt rassurants, en démontrant que la résistance secondaire au lithium induite par larrêt de ce traitement napparaît pas être une complication fréquente, et quun bémol pourrait donc être mis aux cris dalarme que lance Post depuis quelques années, appuyés sur quelques dossiers de patients, et surtout sur une conviction inébranlable en la validité du modèle du kindling comme substratum physiopathologique des troubles de lhumeur.
A noter quune étude parallèle conduite par la même équipe (3) confirme que linterruption rapide (1-14 jours) de la lithiothérapie est associée à un risque plus élevé de récurrences quun arrêt progressif (15-30 jours), avec des récurrences plus fréquentes sur une période de 2 ans (tous les patients ayant arrêté brutalement le lithium rechutent contre seulement 2/3 de ceux layant interrompu progressivement). Surtout, ces récurrences surviennent 5 fois plus rapidement en cas dinterruption brutale, avec un pic dans les trois premiers mois suivant linterruption. Cette nouvelle étude confirme la très probable existence dun phénomène de rebond à linterruption de la lithiothérapie, rebond dont la physiopathologie est loin dêtre élucidée, mais qui incite dans tous les cas à préconiser un sevrage si possible progressif quand une lithiothérapie est interrompue sous contrôle médical.
helene.verdoux@ipso.U-bordeaux2.fr
1. Post RM, Leverich GS, Pazzaglia PJ et al (1992) Lithium-discontinuation-induced refractoriness : preliminary observations. Am J Psychiatry 149, 1727-1729.
2. Tondo L, Baldessarini RJ, Floris G, Rudas N. (1997) Effectiveness of restarting lithium treatment after its discontinuation in bipolar I and bipolar II disorders. Am J Psychiatry 154, 548-550.
3. Baldessarini RJ, Tondo L, Floris G, Rudas N (1997) Reduced morbidity after gradual discontinuation of lithium treatment for bipolar I and II disorders : a replication study. Am J Psychiatry 154, 551-553.
De fort nombreuses études, utilisant dans la plupart des cas la méthode dite de lautopsie psychologique, ont bien démontré les rapports étroits entre les maladies mentales et la mortalité par suicide, 90% des sujets décédés de suicide ayant à un moment de leur vie souffert dun ou plusieurs troubles mentaux.
Lintérêt essentiel de larticle de Harris et Barraclough réside en la qualité de la méta-analyse, avec détermination du S.M.R. (ou taux standardisé de mortalité) pour chaque grand groupe de pathologie mentale. Le S.M.R. est une méthode de standardisation indirecte qui consiste à comparer la mortalité observée dans une population donnée à la mortalité attendue dans cette population si elle avait une mortalité par âge comparable à celle dune population de référence.
La recherche bibliographique, basée sur une recherche Medline de 1966 à 1995 avec comme principaux mots-clé troubles mentaux, mortalité, suivi, puis la lecture des principales revues internationales, a permis de retenir 249 articles répondant à des critères précis, à savoir description des causes de mortalité, suivi supérieur ou égal à 2 ans, moins de 10% de perdus de vue, nombre de suicides attendus et observés, et article publié en langue anglaise dans une revue avec comité de lecture.
Les estimations moyennes des risques suicidaires en rapport avec la pathologie thymique et les conduites autolytiques sont résumées dans le tableau suivant.
>
Pathologies
Risques suicidaires
Nombre
Sujets
Nombre
Publications
(pays d'origine)
Commentaire
Troubles thymiques
EDM
- PMD
- Dysthymie
- Autres ED
X20
X15
X12
X16
8000
3700
50 000
10 000
23 (USA, Canada, scandinavie)
14 id+Suisse)
9 (suède, USA)
12 (GB, Danemark, USA)
Risque augmenté chez sujets âgés
Risque limité si lithium
Risque augmenté chez sujets âgés
Troubles
De l'adaptation
X14
400
2 (USA)
Conduites
Suicidaires
IMV
Autres
Idées suicidaires et/ou TS
X 4O
X38
X47
8000
2700
1610
11 (scandinavie, GB)
9 (USA)
3 (USA)
Risque augmenté si
existence de TS antérieures
- antécédents de dépression ou de schizophrénie
facteurs sociaux
Malgré des estimations quantitatives livrées brutalement, ce qui rend ardue la lecture de larticle, cette méta-analyse a le mérite de prendre en compte les principales études de qualité sur le sujet et de proposer une détermination moyenne du risque de décès par suicide au long terme en fonction des principales pathologies neuropsychiatriques.
Comme toujours dans les approches épidémiologiques, se pose le problème clinique de la généralisation des résultats présentés. Les sujets considérés dans cette méta-analyse sont généralement des patients hospitalisés, donc porteurs par définition des formes de troubles psychiques les plus graves. Cet aspect est particulièrement important à considérer dans la cadre de la pathologie thymique, nombre de patients dépressifs étant en fait suivis exclusivement en ambulatoire, voire même par leurs médecins généralistes. De plus, le risque de décès par suicide en rapport avec les comorbidités possibles nest pas considéré. Enfin, et cela concerne toutes les pathologies passées en revue dans cet article, le risque de suicide est plus important au début des prises en charge et mérite donc une nouvelle appréciation à long terme, particulièrement lorsque les études ont porté sur de faibles échantillons et sur une assez courte période.
Ultime regret : aucun cocorico nest possible, aucun travail français nayant été retenu dans cette méta-analyse faisant la part belle aux travaux scandinaves, américains, britanniques et canadiens.
Harris EC, Barraclough B. Suicide as an outcome for mental disorders. Br J Psychiatry 1997, 170 : 205-228.
Si lECT est maintenant reconnue comme une thérapeutique efficace des états dépressifs, les critères permettant den prédire la réponse restent discutés. On sest longtemps contenté dune analyse binaire : crise clinique ou pas, mais depuis quelques années, lanalyse sest affinée et on dispose désormais doutils plus précis. Pourtant, comme souvent, la multiplication de ces instruments na guère résolu le problème comme le démontrent Charles Kellner et Max Fink (1).
Jusquaux années 80, la durée cumulée des crises était considérée comme un indicateur intéressant, mais les travaux de Maletzky (cité dans 1) démontrèrent le contraire. On sest ensuite accordé sur la durée individuelle de la crise qui doit être comprise entre 25 et 180 secondes. Cette condition reste nécessaire mais non suffisante. En effet, dans les chocs unilatéraux, des crises dune durée satisfaisante savèrent inefficaces sils sont effectués juste au niveau du seuil épileptogène. Létude des modifications de lEEG durant la crise est une nouvelle voie dexploration. Pour Weiner, Kristal et coll. (cités dans 1), lanalyse des bandes à hautes fréquences constituerait un bon facteur prédictif dune réponse thérapeutique. Pour Abrams et Swartz (cités dans 1) lanalyse de lEEG se fait au travers dindex informatisés installés sur certains appareils à sismothérapie (Thymatron®). Ainsi, ces auteurs ont-ils développé un index dénergie qui intègre à la fois la durée et lamplitude de la crise, un index de suppression qui évalue la brutalité darrêt de la crise et un index de concordance qui compare crise EEG et EMG. Ce dernier indice serait le reflet de la généralisation de la crise.
Après un engouement sans lendemain dans les années 50, létude des modifications intercritiques de lEEG retrouve un nouvel élan. La digitalisation du signal EGG a permis son traitement mathématique, la production de cartes et le calcul de puissance dans différentes bandes. Lapparition, en région préfrontale, dune activité lente (thêta, delta) durant la deuxième ou troisième semaine de traitement serait prédictive dune réponse positive au traitement.
Enfin, il existe également des tests biologiques. Le plus étudié actuellement est lapparition dun pic de sécrétion de prolactine survenant 20 à 30 minutes après le choc qui serait corrélé à lefficacité thérapeutique. De même, pour les patients ayant un test de suppression à la dexaméthasone anormal, sa normalisation sous traitement serait de bon pronostic.
Comme on le voit, la multiplication des indices na pas simplifié le problème. La plupart dentre eux sont développés par une équipe et ne sont guère étudiés par dautres. Chacun tente de développer son marqueur quil prétend être plus sensible que celui du voisin. Dans ces conditions, il est difficile de se fier à lun plutôt quà lautre. Les possesseurs dappareils Thymatron® disposent dun outil standardisé qui pourrait facilement faire lobjet détudes plus indépendantes (pourquoi pas à travers la création de club dutilisateurs ?). Pour les autres, le choix dun indice se fera surtout en fonction des disponibilités locales et des habitudes.
En conclusion, si la sacro-sainte crise dau moins 25 secondes a encore de beaux jours devant elle, la mise au point de nouveaux indices reste largement souhaitable, comme lévaluation de ceux existants.
Les troubles métaboliques dans les pathologies dépressives sont nombreux et ont donné lieu à diverses interprétations. Les historiques perturbations de la cortisolémie ont largement participé à la naissance de la psychiatrie dite biologique. Si la réalité de ces modifications nest plus contestée, leur interprétation reste très ouverte en raison dune spécificité toute relative et de problèmes méthodologiques.
M. Fava et coll. rapportent une étude portant sur les perturbations métaboliques affectant certains amino- acides. En effet, plusieurs études ont montré lexistence danomalies, notamment dans les dépressions des personnes âgées.
Ces auteurs ont ainsi constitué une population de 213 sujets présentant une dépression majeure. Parmi eux, 51 répondaient aux critères DSM-IV de dépression mélancolique. Ces patients ont bénéficié dun dosage sanguin dacide folique, de vitamine B12 et dhomocyctéine avant dêtre traités durant huit semaines par fluoxétine (20 mg/j).
Sur ces 213 déprimés, 76 (36 %) présentaient au moins une anomalie métabolique. 36 (17 %) avaient des taux bas en folate et 5 (2 %) des taux nuls. 25 avaient des dosages abaissés en vitamine B12 et 41 des taux augmentés en homocystéine. A noter que 24 patients (11 %) présentaient deux anomalies et 7 (3 %) trois perturbations.
Dun point de vue statistique, labaissement en folates apparaît lié à la présence dun trouble dépressif de type mélancolique, et non des autres types. Par contre, les anomalies plasmatiques concernant la vitamine B12 et lhomocystéine ne sont pas liées à un type particulier de dépression.
Par ailleurs, les sujets présentant des taux bas de folates répondent deux fois moins bien au traitement que ceux ayant des taux normaux. Là encore, il nexiste aucune relation de ce type avec les perturbations affectant le métabolisme de la vitamine B12 ou de lhomocystéine.
Enfin, il nexiste aucune corrélation entre lintensité de la dépression, évaluée par léchelle de Hamilton à 17 items et limportance des modifications métaboliques.
Les auteurs se hasardent peu en explications. Ils se contentent prudemment de constater la présence danomalies et appellent à la réalisation de futures études pour préciser limportance du phénomène... Ils proposent également, de façon pragmatique, deffectuer un dosage dacide folique chez les patients mélancoliques résistants au traitement et suggèrent judicieusement dévaluer leffet dune correction du déficit en folates sur lefficacité du traitement antidépresseur.
A suivre donc...
delbrouc@micronet.fr
Fava M., Borus B. A., Alpert J. E., Nierenberg A. A., Rosenbaum J. E., Bottiglieri T.
Folate, vitamin B12 and homocysteine in major depressive disorder.
LA CARBAMAZÉPINE DANS LE TROUBLE BIPOLAIRE : FAUT-IL Y CROIRE ?
Hélène Verdoux
Un éditorial de Post et coll (1) publié dans le British Journal of Psychiatry a pour objectif de démontrer les bénéfices thérapeutiques de la carbamazépine, ce qui nest a priori guère surprenant quand on sait que le premier auteur de larticle est depuis près de 20 ans un des plus fervents défenseurs de cette molécule en particulier, et des anticonvulsivants en général. Les auteurs rappellent que lindication troubles de lhumeur a été accordée dans 107 pays à la carbamazépine, bien que pour la Food and Drug Administration américaine, seul le lithium bénéficie de lindication traitement prophylactique, le valproate étant quant à lui uniquement préconisé dans le traitement curatif de laccès maniaque. Les auteurs présentent 14 études ayant évalué lefficacité prophylactique de la carbamazépine, et concluent que 63% des patients inclus dans les études contrôlées ou partiellement contrôlées (?) ont tiré un bénéfice clinique de cette prescription, et 62% dans les études ouvertes. On pourra utilement se référer à la méta-analyse de Dardennes et al (2) concernant les limites méthodologiques des rares études randomisées en double-aveugle. Les arguments de Post, mettant en avant le bénéfice de ce traitement chez des patients résistants au lithium, qui peuvent effectivement être vérifiés de manière empirique dans la pratique quotidienne, au moins pour lassociation lithium-carbamazépine, ne sont pas suffisants pour justifier que le lithium ne reste pas la molécule à privilégier en première intention dans le traitement prophylactique des troubles bipolaires. On ne peut donc quêtre daccord avec Post quand il conclut sur la nécessité détudes complémentaires sur lefficacité prophylactique de la carbamazépine, et quil estime nécessaire de mieux définir les profils cliniques prédictifs dune réponse thérapeutique à la carbamazépine. A titre anecdotique, Post rapporte les résultats dune étude conduite par Ketter et coll, suggérant quun pattern dhypermétabolisme cérébral (temporal) prédirait lefficacité antidépressive de la carbamazépine. Les applications pratiques de cet indice prédictif paraissent toutefois limitées ! Lefficacité préventive de la carbamazépine dans le trouble bipolaire reste donc encore à démontrer, et les recommandations de la FDA ne peuvent pas se résumer à la tendance quelque peu protectionniste de ladministration Nord-Américaine.
1. Post RM, Denicoff KD, Frye MA, Leverich GS (1997) Re-evaluating carbamazepine prophylaxis in bipolar disorder. Brit J Psychiatry 170, 202-204.
2. Dardennes R, Evens C, Bange F et al (1995) Comparison of carbamazepine and lithium in the prophylaxis of bipolar disorders. A meta-analysis. Brit J Psychiatry 166, 378-381.