La question du rôle éventuel dune susceptibilité génétique dans la dépression nest pas résolue. Face à cette question, plusieurs types de recherches sont possibles pour tenter de découvrir si des gènes peuvent être impliqués dans lapparition de la maladie, et par quels mécanismes. Chacun de ces types détudes apporte un niveau de réponse différent :
- Les études familiales, visant à mettre en évidence lagrégation familiale dun trait dans lentourage familial dun sujet affecté (que lon nomme proposant), ce qui constitue un argument pour rechercher un facteur génétique ou environnemental.
- Les études de jumeaux, comparant la concordance pour un trait donné entre les jumeaux mono et dizygotes. Leur but est de rechercher un facteur génétique.
- Les études dadoption proposées dans le but détudier leffet des facteurs environnementaux. En pratique, les limitations méthodologiques sont nombreuses (2).
- Les études de ségrégation, au moyen de lanalyse de pedigrees, visant à comparer la transmission observée avec les lois de la génétique mendélienne.
- Les techniques de biologie moléculaire.
Kenneth S. Kendler, psychiatre et généticien américain, a publié ces dernières années de nombreux articles portant sur létude dune cohorte de plus dun millier de jumelles mono et dizygotes, dont une dizaine darticles concernant la dépression. Il nous a semblé intéressant de rassembler et de synthétiser cette vaste recherche. Dans un premier temps, nous proposons dexpliciter les principes des études de jumeaux, les critiques qui leur ont été portées, les problèmes soulevés.
LES ÉTUDES DE JUMEAUX.
Les jumeaux monozygotes sont le résultat de la fécondation dun seul ovocyte par un seul spermatozoïde, ils ont donc en commun 100% de leur patrimoine génétique. Les jumeaux dizygotes, issus de la fécondation de deux ovocytes par deux spermatozoïdes, partagent environ 50% de leur patrimoine génétique. Les naissances de jumeaux représentent environ une naissance sur 100, avec une proportion de deux naissances de dizygotes pour une naissance de monozygotes.
Le degré de similitude entre jumeaux, pour des traits quantitatifs (présence ou non dun trouble psychiatrique par exemple), sexprime par un taux de concordance. Pour que le trouble considéré puisse être considéré comme lié uniquement à des facteurs génétiques, il faudrait que ce taux soit égal à 100% chez les jumeaux monozygotes.
Deux causes principales derreur peuvent entacher les résultats détudes de jumeaux (14) :
1°- Les biais de sélection : linclusion devrait idéalement se faire à partir dun registre hospitalier des naissances de jumeaux, ou dun registre dune autre nature, autrement dit, sous forme détude en population générale de jumeaux, mais pas à partir de populations cliniques. On sait en effet que la demande de soin est elle même influencée par lexistence de facteurs familiaux environnementaux et non génétiques (2).
2°- Le risque derreurs sur le caractère monozygote ou dizygote impose lutilisation de méthodes objectives (biologie moléculaire idéalement).
Ce type détude repose sur le postulat selon lequel les facteurs liés à lenvironnement familial et socioculturel à même dinfluencer le trait observé, seraient identiquement partagés par les jumeaux, que ceux-ci soient mono ou dizygotes (1, 11). Si cette hypothèse est fausse, alors lexcès de concordance retrouvé chez les jumeaux monozygotes peut être lié aussi bien à des facteurs environnementaux quà des facteurs génétiques. Les objections faites à cette hypothèse sont nombreuses, mais aucune na pu la faire rejeter (2). Différents travaux ont cherché à valider son bien fondé, on peut citer par exemple une étude de Kendler (11) lui même.
Enfin, on retiendra que le dogme de lidentité génétique parfaite entre jumeaux monozygotes est quelque peu battu en brèche par certaines découvertes récentes qui échappent aux lois de la génétique Mendélienne : quil sagisse de lhérédité mitochondriale (dont nous avons parlé dans Dépression n°2, juin-juillet 1996), ou des mutations instables (que nous évoquerons dans un numéro prochain).
Pour schématiser les options théoriques qui sous-tendent les études de jumeaux, on peut dire que le phénotype résulte de trois ordres de facteurs (figure 1) : génétiques, environnementaux communs, environnementaux non partagés.
Figure 1 : Diagramme des déterminants du phénotype (path diagram).
Différents modèles mathématiques permettent, à partir de la corrélation observée pour les phénotypes entre jumeaux monozygotes dune part, et dizygotes dautre part, destimer la part de la variation pour un trait donné qui peut être imputée :
- à des facteurs génétiques,
- des facteurs environnementaux communs,
- ou liée à des facteurs environnementaux non partagés.
Les choses sont bien sûr infiniment plus complexes que ce que ce simple modèle pourrait laisser suggérer :
- Les effets des différents facteurs ne sont pas toujours simplement additifs : on peut avoir des interactions gène - gène entre différents loci, des interactions gène - environnement (différentes des co-actions gène + environnement), des corrélations gène - environnement.
- La distribution dans la population pour le trait observé nest pas forcément continue, les sujets étant habituellement classés en affectés ou non affectés. On conceptualise les choses de la façon suivante : laptitude à développer le trouble est considérée comme une variable de distribution continue, avec, au-delà dun certain seuil, déclenchement de la maladie.
- Dans le cas où une hétérogénéité génétique est évoquée, on utilise des modèles dits à seuils multiples.
La technique du model fitting, utilisée par Kendler est une méthode dinvestigation des modes complexes de transmission des maladies familiales dont le développement a été permis par les progrès réalisés dans le domaine de linformatique. Il sagit, à partir des données dont on dispose concernant le phénotype, de voir quel modèle de transmission convient le mieux pour faire la part des facteurs génétiques, environnementaux communs et non partagés, en ce qui concerne la variation du phénotype considérée. Des programmes informatiques permettent alors de calculer le meilleur modèle pour les données fournies. Lanalyse multivariée permet de faire de même pour plusieurs troubles à la fois, et donc détudier limpact des facteurs génétiques sur la comorbidité. Kendler a publié en 1993 un exposé très détaillé de toutes ces modalités de recherche (2).
LES ÉTUDES DE JUMEAUX ET LES TROUBLES AFFECTIFS.
Létude des facteurs génétiques à même dinfluencer la survenue de troubles affectifs est compliquée par la difficulté à définir précisément la dépression et ses sous-types, autrement dit : le phénotype étudié.
Les études de jumeaux menées depuis les années 1930 mettent en évidence, en ce qui concerne la maladie maniaco-dépressive, 25 à 90% de concordance chez les jumeaux monozygotes contre 0 à 38% chez les dizygotes (1, 14). En revanche, en ce qui concerne les dépressions névrotiques, les résultats des différentes études ne mettent pas en évidence dargument significatif pour une susceptibilité génétique (14). La distinction dépression endogène/dépression névrotique, très utilisée en Europe est toutefois peu reconnue par les auteurs nord-américains.
LES TRAVAUX DE KENDLER.
Loriginalité des recherches de Kendler tient tout dabord à la composition de la population étudiée. On sait que tous les patients déprimés ne sont pas pris en charge en psychiatrie. Ne sintéresser quaux patients suivis ou hospitalisés constitue donc un biais de sélection important, doù lintérêt de réaliser une étude en population générale de jumeaux.
Kendler a utilisé les données fournies par le Virginia Twin Registry qui répertorie toutes les naissances de jumeaux dans cet Etat depuis 1918. Toutes les paires de jumelles caucasiennes âgées de 30 à 55 ans furent contactées, initialement par courrier. La décision de ne choisir que des femmes fut prise en raison de la plus grande prévalence des troubles dépressifs et anxieux chez ces dernières. Un peu plus de la moitié répondirent, et finalement, à peu près 1000 paires (entre 700 et 1000 selon les publications), de zygosité connue, furent étudiées, ce qui a donné lieu à plus dune quinzaine de publications à ce jour.
FACTEURS GÉNÉTIQUES ET ENVIRONNEMENTAUX DANS LA DÉPRESSION.
La première question à se poser est celle de la définition du phénotype : de quelle dépression parle-t-on? Kendler a tenté de comparer limportance relative des facteurs environnementaux et génétiques en faisant varier les critères diagnostiques de dépression (DSM-III, DSM-III-R, WUC primaire et secondaire, probable et définie, RDC, critères de Gershon). Il apparaît (4) que le rôle des facteurs génétiques est significatif mais pas déterminant, que la tendance à lagrégation familiale résulte de facteurs communs dorigine génétique mais pas environnementale, que les facteurs environnementaux non partagés sont de toute première importance, enfin, que la force des facteurs génétiques varie peu quels que soient les critères diagnostiques utilisés, à une exception près : la définition qui exclut les dépressions secondaires (Washington University Criteria for primary depression). Ces derniers critères, qui excluent les dépressions qui ont été précédées dun autre trouble psychiatrique, produisent une prévalence sur la vie entière de 12 à 15%, alors quelle est de 20 à 33% dans les autres cas. Dans tous ces derniers cas, lhéritabilité (cest-à-dire la part de la ressemblance liée à des facteurs génétiques) est estimée de 33 à 45% pour la susceptibilité envers la dépression.
Dans une étude ultérieure portant sur la prévalence de lépisode dépressif majeur sur la vie entière (10), Kendler montre que des facteurs environnementaux spécifiques à lindividu et agissant à court terme ont pu biaiser ces résultats, et que ce chiffre pourrait être encore plus élevé (jusquà 71%).
Si les facteurs environnementaux jouent un rôle significatif dans létiologie de la dépression, ils ne sont pas stables dans le temps. La stabilité dans le temps de la susceptibilité envers la maladie dépressive serait déterminée largement voire entièrement par les facteurs génétiques (8).
Lhétérogénéité clinique de la dépression nest pas sans interroger sur la question de son hétérogénéité étiologique. Kendler sest intéressé aux 14 items du diagnostic dépisode dépressif majeur selon le DSM-III-R (13). Leur distribution chez les patientes déprimées permet de distinguer trois groupes cliniques : dépression typique modérée, dépression typique sévère (épisodes longs, demande de soins, altération significative du fonctionnement, anxiété et trouble panique fréquemment associés), dépression atypique (hyperphagie, hypersomnie, épisodes courts). Ces trois groupes apparaissent distincts, au moins en partie) sur le plan clinique, longitudinal, mais aussi dans une perspective génétique : car pour chacun de ces trois groupes cliniques, les tableaux sont plus fréquemment concordants entre jumeaux monozygotes que ce que ne voudrait le hasard, et la différence entre dizygotes et monozygotes est significative.
LA COMORBIDITÉ.
Certains traits de personnalité sont-ils liés à la survenue dépisodes dépressifs majeurs? Kendler a recherché une corrélation entre le risque dépressif et les traits extraversion et neuroticisme proposés par Eysenck. Il apparaît que la susceptibilité envers la dépression est partagée à 55% avec les traits de neuroticisme. Les deux dimensions seraient donc largement le résultat de facteurs génétiques communs (9).
En ce qui concerne la comorbidité dépression/anxiété généralisée, trois études de Kendler (3, 5, 12) tendent à montrer que les facteurs génétiques seraient les mêmes, et que ce sont les facteurs environnementaux non partagés qui conditionneraient lapparition dun trouble ou de lautre. Une limitation importante à ce résultat est apportée par le chevauchement partiel des critères diagnostiques pour les deux troubles.
La comorbidité dépression/agoraphobie, fréquente, résulterait principalement de facteurs environnementaux non partagés, qui augmenteraient la susceptibilité envers les deux affections (6). Lagoraphobie, comme les autres types de phobies, ne serait que faiblement influencée par la susceptibilité génétique envers la dépression.
La comorbidité dépression/alcoolisme résulterait surtout de facteurs génétiques augmentant la susceptibilité envers les deux troubles, les facteurs environnementaux communs joueraient également un rôle important. Cependant il existerait des facteurs génétiques jouant un rôle dans la susceptibilité envers lun ou lautre des deux troubles de façon distincte. Il est surprenant de constater que plus les critères de diagnostic de lalcoolisme sont restrictifs, plus la comorbidité saccroît en rapport avec une augmentation du rôle joué par les facteurs génétiques, alors que lorsque lon rend plus restrictifs les critères diagnostiques de dépression, la comorbidité saccroît en rapport avec une augmentation du rôle joué par les facteurs environnementaux (7, 12).
CONCLUSION
La lecture (plutôt aride) des travaux de Kendler sur la dépression fait donc ressortir plusieurs points :
1°- La susceptibilité envers lépisode dépressif majeur serait largement conditionnée par des facteurs génétiques, mais des facteurs environnementaux spécifiques à lindividu joueraient un rôle important dans le déclenchement de la maladie.
2°- Plusieurs sous-types dépisodes dépressifs majeurs, homogènes sur le plan clinique et génétique, pourraient être considérés : dépression typique modérée, dépression typique sévère, dépression atypique.
3°- La comorbidité avec lanxiété généralisée, lalcoolisme, et certains traits de personnalité (neuroticism de Eysenck) résulterait principalement de facteurs génétiques, ce qui ne serait pas le cas pour la comorbidité dépression/agoraphobie qui serait surtout le fruit de facteurs environnementaux spécifiques à lindividu.
Kendler a ainsi construit à travers ses différents travaux un édifice théorique riche et cohérent. Toutefois, il faut garder à lesprit que ces résultats :
1°- ne concernent quune population féminine : rien ne dit quils sont extrapolables à lautre sexe.
2°- ne sont que des estimations, basées sur des modèles mathématiques complexes.
3°- sont obtenus en considérant les troubles étudiés comme des entités autonomes, distinctes, alors que certains auteurs ny voient que des regroupements syndromiques parfois discutables.
4°- ne distinguent pas les épisodes dépressifs majeurs entrant dans le cadre dun trouble bipolaire ou unipolaire des épisodes isolés.
Enfin, cette belle machine tourne pour linstant un peu à vide : il faudrait maintenant quelques avancées significatives des études de biologie moléculaire pour concrétiser le propos. Et les jumelles de Kendler pourraient prendre quelque repos... bien mérité.
(1) Debray Q. et coll.
Les bases génétiques de la psychiatrie. Encycl. Méd. Chir. (Paris), Psychiatrie, 37020 A10, 5-1989, 6p.
(2) Kendler KS. Twin studies of psychiatric illness. Current status and future directions. Archives of General Psychiatry, 1993, 50 : 905-15.
(3) Kendler KS. et coll. Symptoms of anxiety and symptoms of depression. Same genes, different environment? Archives of General Psychiatry, 1987, 44 : 451-7.
(4) Kendler KS. et coll. A population-based twin study of major depression in women : the impact of varying the definitions of illness. Archives of General Psychiatry, 1992, 49 : 257-66.
(5) Kendler KS. et coll. Major depression and generalized anxiety disorder : Same genes, (partly) different environment? Archives of General Psychiatry, 1992, 49 : 716-22.
(6) Kendler KS. et coll. Major depression and phobias : the genetic and environmental sources of comorbidity. Psychological Medecine, 1993, 23 : 361-71.
(7) Kendler KS. et coll. Alcoholism and major depression in women : a twin study of the causes of comorbidity. Archives of General Psychiatry, 1993, 50 : 690-8.
(8) Kendler KS. et coll.A longitudinal twin-study of 1-year prevalence of major depression in women. Archives of General Psychiatry, 1993, 50 : 843-52.
(9) Kendler KS. et coll. A longitudinal twin-study of personality and major depression in women. Archives of General Psychiatry, 1993, 50 : 853-62.
(10) Kendler KS. et coll. The lifetime history of major depression in women. Reliability of diagnosis and heritability. Archives of General Psychiatry, 1993, 50 : 863-70.
(11) Kendler KS. et coll. A test of the equal-environment assumption in twin studies of psychiatric illness. Behav. Genet., 1993, 23 (1) : 21-7.
(12) Kendler KS. et coll. The structure of the genetic and environmental risk factors for six major psychiatric disorders in women : phobia, generalized anxiety disorder, panic disorder, bulimia, major depression, and alcoholism. Archives of General Psychiatry, 1995, 52 : 374-83.
(13) Kendler KS. et coll. The identification and validation of distinct depressive syndromes in a population-based sample of female twins. Archives of General Psychiatry, 1996, 53 : 391-9.
(14) Mc Guffin P. et coll. Seminars in psychiatric genetics. London, Royal College of Psychiatrists, 1994.
DIX ANS DE DÉPRESSION DE LENFANT ET DE LADOLESCENT
Daniel Bailly
Si la conférence de consensus organisée en France sur les troubles dépressifs chez lenfant a abouti à se poser bien des questions (voir Dépression n°4), le Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry vient de publier sous la plume de Birmaher et coll. une revue de la littérature anglo-saxonne de ces dix dernières années consacrée à ce sujet. Les données qui y sont présentées ont le mérite sinon dapporter des réponses du moins dorienter les recherches futures dans des directions précises.
Le taux de prévalence de la dépression en population générale enfants/adolescents varie selon les études de 0.4 à 2.5 % chez les enfants et de 0.4 à 8.3 % chez les adolescents. La prévalence sur la vie entière du trouble dépressif majeur chez ladolescent est estimée entre 15 et 20 %, ce qui est comparable à ce qui est observé chez ladulte. Peu détudes ont été consacrées au trouble dysthymique : sa prévalence ponctuelle varie de 0.6 à 1.7 % chez les enfants et de 1.6 à 8.0 % chez les adolescents. Chez les enfants, le trouble dépressif majeur apparaît aussi fréquent chez les garçons que chez les filles, alors quà ladolescence le sex-ratio est de lordre de 2 filles pour 1 garçon, comparable à ce qui est rapporté chez ladulte. Si les raisons de cette différence demeurent mal précisées, plusieurs facteurs explicatifs ont été avancés : facteurs génétiques, fréquence élevée des troubles anxieux chez les filles, changements biologiques liés à la puberté, prédisposition cognitive, facteurs socio-culturels. Les enfants nés en cette fin de siècle semblent présenter un risque plus élevé de développer plus précocement un trouble de lhumeur. Cette augmentation ne concerne cependant que les dépressions mineures, pour lesquelles les facteurs environnementaux apparaissent déterminants.
Lidée selon laquelle les caractéristiques essentielles du trouble dépressif majeur sont identiques chez lenfant, ladolescent et ladulte semble maintenant bien admise. Des variations symptomatiques sont cependant notées en fonction du développement. Les symptômes mélancoliques (endogènes) et psychotiques, les tentatives de suicide et la mortalité par suicide, de même que le handicap dans le fonctionnement du sujet augmentent avec lâge. A linverse, les symptômes phobiques et danxiété de séparation, les plaintes somatiques et les problèmes de comportement apparaissent plus fréquents chez lenfant. Dans le même ordre didée, les dépressions psychotiques se manifestent essentiellement chez lenfant par des hallucinations auditives alors que chez ladolescent, comme chez ladulte, les idées délirantes prédominent. Les dépressions saisonnières et les dépressions atypiques semblent débuter au moment de ladolescence. En ce qui concerne le trouble dysthymique, dautres symptômes que ceux rapportés dans le DSM IV sont fréquemment retrouvés chez les enfants et les adolescents : sentiment de ne pas être aimé, colère, auto-dépréciation, plaintes somatiques, anxiété, désobéissance. Environ 70 % des enfants et des adolescents présentant un trouble dysthymique développeront ultérieurement un trouble dépressif majeur (double dépression).
Quarante à 70 % des enfants et des adolescents déprimés majeurs présentent également un autre trouble mental associé (20 à 50 % en présentent au moins deux). Les troubles les plus fréquemment retrouvés sont, par ordre de fréquence décroissante : les troubles anxieux, les troubles du comportement (hyperactivité avec déficit de lattention, trouble des conduites, trouble oppositionnel avec provocation) et labus de substances psycho-actives. Dans ces cas, hormis pour labus de substances psycho-actives, le trouble dépressif apparaît le plus souvent secondairement. Plus de 60 % des adolescents déprimés majeurs présentent également des symptômes évoquant un trouble de la personnalité (le plus souvent de type borderline). Le diagnostic de trouble de la personnalité doit alors être prudent dans la mesure où ces symptômes disparaissent fréquemment avec la guérison clinique du trouble dépressif. Cinquante pour cent des enfants et des adolescents ayant un trouble dysthymique ont présenté antérieurement un autre trouble mental (15 % en ont présenté au moins deux) : troubles anxieux, trouble des conduites, hyperactivité avec déficit de lattention, énurésie ou encoprésie. Plusieurs paramètres ayant trait au devenir des enfants et des adolescents déprimés se trouvent influencés par la présence de ces troubles comorbides : durée de lépisode dépressif, fréquence des récidives, devenir fonctionnel, tentatives de suicide et problèmes de comportement, réponse au traitement, recours aux services de soins. Par ailleurs, certaines données suggèrent que les comportements perturbateurs (trouble oppositionnel avec provocation, trouble des conduites) pourraient constituer une variable permettant dindividualiser un sous-groupe particulier denfants déprimés répondant à des facteurs étiologiques distincts.
La durée moyenne dun épisode dépressif majeur est de 7 à 9 mois. Quatre vingt dix pour cent des cas environ sont en rémission dans les 1.5 à 2 ans suivant le début de lépisode dépressif, 6 à 10 % des cas évoluant de façon chronique. La dépression de lenfant et de ladolescent apparaît cependant comme une affection particulièrement récidivante : la probabilité cumulée de récidive est de 40 % à 2 ans et de 70 % à 5 ans. Par ailleurs, lexistence dune continuité entre la dépression de ladolescent et la dépression de ladulte semble maintenant bien établie. 20 à 40 % des adolescents déprimés majeurs développeront dans les 5 ans un trouble bipolaire de type I. Certaines caractéristiques cliniques semblent associées à une augmentation du risque de développer un trouble bipolaire de type I : précocité de la dépression, importance du ralentissement psychomoteur et/ou des caractéristiques psychotiques, histoire familiale de troubles bipolaires, virage maniaque sous antidépresseur. La possibilité dune évolution vers un trouble bipolaire de type II doit aussi être connue dans la mesure où chez ladolescent cela peut être source de nombreuses erreurs diagnostiques (comportements perturbateurs, troubles de la personnalité de type borderline). La durée moyenne du trouble dysthymique est denviron 4 ans. Le trouble dysthymique est associé chez lenfant et ladolescent à une augmentation du risque pour le trouble dépressif majeur, le trouble bipolaire et labus de substances psycho-actives.
La dépression de lenfant et de ladolescent saccompagne fréquemment de difficultés scolaires et de problèmes relationnels interpersonnels. Ces altérations du fonctionnement psychosocial ne sont cependant pas spécifiques à la dépression et peuvent même préexister à lémergence du trouble dépressif. Cest dire que dautres facteurs interviennent également : troubles comorbides, dysfonctionnement familial, niveau socio-économique bas, exposition à des événements de vie stressants. La dépression de lenfant et de ladolescent saccompagne également dune augmentation du risque pour les comportements suicidaires, les idées de meurtre, et les conduites dabus de substances psycho-actives (le trouble dépressif précédant généralement labus de substances psycho-actives denviron 4, 5 ans). Par ailleurs, le devenir des enfants et des adolescents ayant présenté un épisode dépressif majeur se caractérise par la persistance, longtemps après la guérison clinique du trouble dépressif, de nombreuses difficultés: symptômes dépressifs subcliniques, pessimisme, problèmes relationnels interpersonnels, augmentation de la consommation de tabac, troubles de ladaptation sociale, grossesse précoce, augmentation de la fréquence des troubles somatiques. Le pronostic pourrait dépendre de la fréquence des récidives, le devenir psychosocial des enfants et des adolescents ayant présenté un épisode dépressif isolé apparaissant comparable à celui des sujets normaux.
De nombreux facteurs semblent influencer la précocité de survenue du trouble dépressif, sa durée et la fréquence de ses récidives : facteurs démographiques (âge, sexe, statut socio-économique); paramètres psychopathologiques (trouble mental préexistant, symptômes dépressifs subcliniques, style cognitif négatif); facteurs familiaux (troubles mentaux chez les parents, histoire familiale de troubles de lhumeur, notamment de troubles de lhumeur à début précoce); facteurs psychosociaux (qualité du support social, événements de vie stressants, qualité du fonctionnement maternel). Globalement, deux types de facteurs semblent intervenir dans le déterminisme de la dépression de lenfant et de ladolescent : dune part des facteurs génétiques, et dautre part des facteurs environnementaux. Ces deux types de facteurs doivent être appréhendés en termes dinteractions. Ainsi, les sujets à haut risque génétique apparaissent-ils plus sensibles aux effets des facteurs environnementaux. Parmi ces derniers, ceux ayant trait aux expériences individuelles, aussi bien intra- quextra-familiales, incluant notamment les différences dans la manière dont les parents élèvent chacun de leurs enfants, semblent plus particulièrement importants à considérer.
Les études biologiques se heurtent encore chez lenfant et ladolescent à de nombreux obstacles méthodologiques. Les résultats les plus constants concernent lhormone de croissance (GH) et laxe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS). Des anomalies de la régulation de la sécrétion de GH sont fréquemment observées chez les enfants et les adolescents déprimés majeurs, se traduisant notamment par une diminution significative de la réponse de la GH à différents tests de stimulation (hypoglycémie insulinique, clonidine, L-dopa, desméthylimipramine, GH-RH). La persistance de ces anomalies après guérison clinique de lépisode dépressif suggère quelles pourraient constituer un marqueur-trait ou une cicatrice de lépisode dépressif. De nombreuses études rapportent lexistence dans la dépression de lenfant et de ladolescent dune perturbation du test à la dexaméthasone (DST). Sa sensibilité apparaît supérieure chez les enfants par comparaison aux adolescents (58% vs 44%), tandis que sa spécificité apparaît plus élevée chez les adolescents que chez les enfants (85% vs 60 %). Plusieurs études ont aussi été consacrées au sommeil, avec des résultats plus contradictoires. Quelle que soit la dimension biologique considérée, la question persiste de savoir si les anomalies constatées sont spécifiques du trouble dépressif ou si elles témoignent dun trouble psychopathologique général. Par ailleurs, il semble important de tenir compte dans linterprétation des résultats de la caractérisation clinique du trouble dépressif et des facteurs de stress environnementaux.
Toutes ces données montrent bien la nécessité, en pratique, dune évaluation rigoureuse portant non seulement sur la symptomatologie dépressive mais aussi sur les autres troubles mentaux associés, le fonctionnement familial, scolaire et social, et lhistoire médicale du sujet. A ce titre, les entretiens diagnostiques standardisés peuvent être utiles. Leur fiabilité napparaît cependant satisfaisante que chez les enfants âgés de plus de 8 ans. Par ailleurs, leur utilisation nécessite de bien connaître les particularités sémiologiques propres à lenfant et à ladolescent : fluctuations importantes de la symptomatologie dans le temps, mais aussi en fonction de lenvironnement, expliquant les discordances fréquemment observées entre les différentes sources auprès desquelles sont recueillies les informations (enfant ou adolescent, parents, enseignants). Quant aux échelles dévaluation de la symptomatologie dépressive (BDI, CDI), elles ne peuvent en aucun cas être utilisées dans une perspective diagnostique. Leur intérêt réside dans les possibilités quelles offrent danalyser précisément les symptômes dépressifs, den évaluer la sévérité, et den suivre lévolution sous traitement.
Les publications se rapportant aux différentes stratégies thérapeutiques utilisables dans la dépression de lenfant et de ladolescent apparaissent le plus souvent anecdotiques (études de cas, essais en ouvert). Quelques études contrôlées soulignent cependant lintérêt des interventions psychothérapiques. Quelle que soit la technique utilisée (thérapie cognitivo-comportementale, psychothérapie de soutien, thérapie familiale systémique), une amélioration clinique significative serait observée à court terme dans environ 70 % des cas (la thérapie cognitivo-comportementale savérant plus rapidement efficace et en général mieux acceptée par lenfant et ses parents). De même, quelques études contrôlées soulignent lintérêt des thérapies cognitivo-comportementales dans les interventions de type communautaire (sadressant par exemple à des groupes denfants ou dadolescents scolarisés déprimés). Dans ces études, plusieurs facteurs apparaissent associés à une mauvaise réponse au traitement : dépression sévère, troubles anxieux comorbides, défaut de support social, troubles psychopathologiques chez les parents, conflits familiaux, exposition à des événements de vie stressants, bas niveau socio-économique. Au vu de ces données, la question des effets de linclusion ou non des parents dans le projet thérapeutique apparaît dimportance. En matière de traitements pharmacologiques, ce sont les antidépresseurs tricycliques qui ont fait lobjet du plus grand nombre détudes contrôlées (6 chez les enfants, 5 chez les adolescents). Globalement, ces études suggèrent que les antidépresseurs tricycliques ne sont pas plus efficaces que le placebo dans le traitement de la dépression majeure de lenfant et de ladolescent. Ce résultat doit cependant être interprété avec prudence, compte-tenu des nombreuses limitations affectant ces études sur le plan méthodologique : petite taille des échantillons étudiés, inclusion de patients présentant des dépressions mineures ou dintensité moyenne, inclusion de patients présentant des dépressions secondaires, durée détude nexcédant pas 8 semaines, insuffisance des doses administrées. Parallèlement, le taux de réponses positives au placebo apparaît particulièrement élevé : 50 à 70%. Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce fort taux de réponses au placebo chez lenfant et ladolescent : instabilité de la symptomatologie dépressive, fréquence des dépressions mineures ou dintensité moyenne, faible prévalence des dépressions mélancoliques, fréquence des troubles (en particulier des comportements perturbateurs) associés à la dépression. La réponse au placebo semble cependant navoir aucune signification pronostique : la fréquence des récidives apparaît aussi élevée chez les placebo-répondeurs que chez les placebo-non répondeurs et les sujets répondant favorablement à la chimiothérapie antidépressive. En ce qui concerne les antidépresseurs de la nouvelle génération (inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine), une seule étude contrôlée a été réalisée, qui montre une supériorité significative de la fluoxétine sur le placebo, lamélioration clinique obtenue apparaissant cependant le plus souvent incomplète. Au total, lensemble de ces données souligne surtout linsuffisance actuelle de nos connaissances dans le domaine pharmacoclinique. La compréhension des mécanismes daction des antidépresseurs chez lenfant et ladolescent nécessite notamment de tenir compte des effets du développement sur les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques. Par ailleurs, linfluence des caractéristiques cliniques du trouble sur la réponse au traitement médicamenteux reste à déterminer. Si des études suggèrent que les dépressions atypiques, fréquentes chez ladolescent, répondraient mieux aux IMAO quaux antidépresseurs tricycliques, les problèmes soulevés par le traitement des dépressions psychotiques, des dépressions saisonnières, des dépressions résistantes sont encore à peine effleurés.
Dans le même ordre didée, se pose la question de la prévention des récidives et de lintérêt ou non de la poursuite au long cours du traitement antidépresseur et/ou de la prise en charge psychothérapique. A ce jour, seules quelques études portant sur des périodes de 9 à 24 mois montrent que chez ladolescent les thérapies cognitivo-comportementales permettent de réduire la fréquence des récidives. Limportance de la prévention chez les enfants et les adolescents à haut risque de dépression est également soulignée. A ce titre, des études portant sur des enfants et des adolescents scolarisés présentant des symptômes dépressifs subcliniques montrent que les thérapies cognitives permettent à la fois de réduire la symptomatologie dépressive et de diminuer le risque de voir se développer dans les 2 ans suivant lintervention un trouble dépressif. Des programmes éducatifs destinés aux parents ont également été expérimentés, qui montrent que linformation peut permettre daméliorer les connaissances et de réduire les idées fausses, encore tenaces, sur la dépression. Il reste cependant à savoir si de tels programmes peuvent permettre daméliorer le repérage des enfants et des adolescents déprimés ou à haut risque de dépression, lacceptation du trouble, le recours précoce aux services de soins et ladhésion au traitement.
Birmaher B et coll. Childhood and adolescent depression : a review of the past 10 years. Part I. J. Am. Acad. Child Adolesc. Psychiatry, 1996, 35 : 1427-1439.
Birmaher B et coll. Childhood and adolescent depression : a review of the past 10 years. Part II. J. Am. Acad. Child. Adolesc. Psychiatry, 1996, 35 : 1575-1583.