Les enjeux de la documentation hors Internet - via Internet

Nicole Pinhas*

Tout le monde s'accorde à reconnaître que la maîtrise de l'information représente de plus en plus un enjeu stratégique et économique. Dans le domaine de la santé et de la recherche biomédicale où l'information est à la fois, une matière première indispensable et un produit/miroir de l'activité de recherche, plusieurs facteurs sont à considérer : diversité des demandeurs aux attentes variables selon leur fonction (chercheurs, cliniciens, enseignants, journalistes et "usagers"), interdisciplinarité qui conduit à une imbrication des domaines tant au niveau conceptuel que méthodologique, spécificité de plus en plus grande des connaissances, multifonctionnalité des publications tout à la fois outil de communication, critère d'évaluation et d'attribution de moyens. Ceci conduit à une explosion de l'information et à une surinformation avec une dissémination des sources.

Nous allons voir comment les nouvelles technologies de communication permettent d'envisager une nouvelle organisation du travail, en rapprochant les différents acteurs concernés et de réaliser de nouveaux outils interactifs permettant une gestion électronique de l'information reliant données, bibliographie, texte et images.

Le professionnel de l'information, avec son savoir-faire a un rôle à jouer dans la mise en place de ces "collaboratoires" qui réclame une double compérence : une maîtrise du contenu et du contenant.

I - AVANT INTERNET

Il est très enrichissant de se pencher un peu sur l'HISTOIRE de l'information scientifique et technique à un moment où c'est à la mode d'être "branché" et où souvent cette course aux nouvelles technologies a tendance à masquer l'essentiel : le contenu.

En 1879, le Dr Billings sur le modèle des catalogues d'ouvrages, conçut un système de classement original basé sur l'utilisation de termes standardisés et la mise en place d'entrées croisées pour aider à repérer l'information et réalisa le premier Index Medicus, ancêtre de la base de données Medline.

L'accroissement de la production mondiale de documents devait conduire à envisager de nouvelles structures de langage, et une normalisation de la terminologie. En 1960 est créé le MESH (Medical Subject Headings) qui sert toujours de modèle pour l'organisation et le classement du vocabulaire biomédical : c'est alors un thésaurus hiérarchisé de 8.000 termes, qui en comporte plus de 16.600 actuellement .

Dans les années 60-70, on met à profit les nouvelles possibilités de stockage et de recherche offertes par l'avènement des ordinateurs et de l'informatique : c'est l'ère de "LA MACHINE ELECTRONIQUE". On constitue "les premiers gisements d'information", fichiers automatisés qui permettent d'accéder à des fonds documentaires importants; c'est la naissance de MEDLARS, Excerpta Medica, Psychological Abstracts..... Cependant, ces bases bibliographiques ne sont grossièrement que des analogues électroniques des index papier : l'informatique a permis de remplacer les travaux humains par des machines sans en modifier fondamentalement la conception d'origine. Il est assez impressionnant de constater qu'aujourd'hui encore ces bases bibliographiques demeurent des outils incontournables pour la recherche d'information.

Si le développement des télécommunications allait permettre un "désenclavement planétaire" de ces gisements d'information, leur utilisation nécessitant un langage codé et dépourvu de convivialité restait réservée à des spécialistes, médiateurs obligés entre l'information et les utilisateurs.

De nouvelles technologies (minitel, cd-rom...) ont permis d'améliorer les supports de l'information et de tendre vers un usage direct par l'utilisateur des outils informationnels de plus en plus conviviaux.

II - L'APPORT INTERNET

On peut définir Internet comme une infrastructure de communication de données numérisées sur laquelle s'appuient des services : c'est une interconnexion de réseaux différents et hétérogènes, ainsi des univers informatiques différents peuvent enfin communiquer entre eux. Chaque utilisateur peut être à la fois producteur et consommateur d'information, client ou serveur ; on assiste à un bouleversement complet de la chaîne documentaire traditionnelle (producteur, serveur, réseau, utilisateur).

Les outils et le langage deviennent communs, faciles à utiliser, intégrés au poste de travail. Ce phénomène original permet d'envisager de nouvelles formes de diffusion des connaissances et une organisation du travail bâtie autour d'un processus collaboratif et décentralisé : INSTANTANEITE, ECHANGE, CONVIVIALITE et INTERACTIVITE définissent Internet, le tout dans un décloisonnement institutionnel et planétaire.

- un mode de travail coopératif

Au sein des structures documentaires de l'INSERM, nous avons adopté depuis 1993 un fonctionnement en réseau pour arriver avec des moyens réduits en personnel et dispersés en France à mieux gérer les connaissances produites, utilisées et diffusées par les chercheurs.

Il est désormais techniquement possible de travailler en commun, à distance et selon un processus collaboratif grâce au logiciel de "groupware" et à Internet. Un serveur central gère toutes les bases avec une mémorisation des différents stades d'évolution des documents :

création/modification/validation par qui et quand?

Chaque partenaire peut soit consulter les documents soit les modifier par des fonctionnalités bureautiques classiques (copier/coller) en local. Puis, tout nouvel apport personnalisé et validé vient enrichir le fonds commun et devient alors accessible à tous via Internet/Intranet. Pour nous approprier ces outils et nous familiariser avec ce nouveau mode de travail, nous avons réalisé plusieurs applications prenant en compte notre propre usage (un panorama de presse et une base mémoire en sciences de l'information : la base DIC-DOC).

- des plateformes thématiques

Il s'agit de mettre à disposition d'une communauté définie, réunie autour d'une problématique commune, une série d'outils permettant d'enrichir, commenter et discuter bibliographie, texte et données afin de concevoir par un processus interactif des publications électroniques. L'information n'est plus isolée et visualisée à plat mais mise en relation avec d'autres données grâce aux liens hypertexte qui l'enrichissent et permettent de suivre le cheminement intellectuel : l'information devient intelligence et savoir.

Une plateforme "BIOMEDSCAPE" en neuroendocrinologie, réalisée en partenariat avec le MASI pour les développements informatiques mettra à la disposition des chercheurs via le Web des outils permettant de monter forum, banques de données bibliographiques, banques de données permettant la diffusion et l'exploitation de résultats "bruts"...

Des outils de ce type sont actuellement mis au point sur d'autres thématiques (prions, cancer du sein et leucémies aigues lymphoblastiques de l'adulte dans le cadre de projets européens). Ils constituent un observatoire des connaissances ouvert et vivant du domaine.

Pour répondre à une demande, il suffisait auparavant d'interroger quelques bases de données bien structurées accessibles à travers quelques serveurs. Les bases de données traditionnelles représentent une offre validée, évaluée et parfaitement connue et maîtrisée. Le minitel avait déjà permis de multiplier l'offre mais avec Internet la dimension a changé pour atteindre les millions de sites. L'utilisation des catalogues, des moteurs et autres outils aide à repérer l'information recherchée mais l'offre est immense et l'analyse des résultats dévoreuse de temps d'où l'intérêt d'offrir des carnets d'adresse ("bookmarks") regroupés par thème et validés. Avec Internet on plonge dans l'inconnu, des publications d'un chercheur présentées en vrac au texte intégral d'une synthèse bien rédigée, on passe du professionnalisme à l'amateurisme : combien de sites sont ouverts pour s'afficher sur le web et non pour offrir un outil informationnel original?

CONCLUSION

Aujourd'hui nous avons à notre disposition toute une panoplie d'outils technologiquement performants et conviviaux qu'il convient de maîtriser et de s'approprier pour concevoir et réaliser de nouveaux produits selon un processus collaboratif où sont présents documentalistes, informaticiens et scientifiques. Pour obtenir une information de qualité, fiable et exhaustive, il faut maîtriser les méthodes traditionnelles de collecte et de traitement de l'information et le savoir faire des professionnels demeure un maillon indispensable à l'obtention d'une information de qualité bien organisée et facilement repérable.

* (DIC-DOC INSERM)

nicole.pinhas@dicdoc.inserm.fr

REFERENCES

  • BRAUDE R.M., WOOD S.J. Impact of information technology on the role of health sciences librarians Bull Med Libr Assoc, 1993, 81, (4), 408-413

  • CHARTRON G. IST et réseaux électroniques Documentaliste, 1993, 30, 72-78

  • PINHAS N, DAVID S Histoire des outils, systèmes, produits et usages d'informations dans l'élaboration des disciplines scientifiques : biomédecine et santé

    SOLARIS sous presse

  • VOLANT C Du système information-documentation au système d'information spécifique pour l'entreprise Documentaliste, 1995, 32, 296-308

  • La gestion électronique des informations scientifiques en sciences biomédicales et en santé : expériences à partir de l'exemple du réseau d'informations DICDOC de l'INSERM Séminaire Obernai 17-18 octobre 1994



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