Aborder la question des facteurs de risque précédant la crise suicidaire demanderait de savoir définir dans la crise suicidaire différentes étapes - l'avant, la crise, l'après- puis repérer les signes avants coureurs de cette crise.
Une fois calé sur cette échelle de temps, il suffirait de repérer les travaux scientifiques ayant trait à ces différentes périodes et plus particulièrement dans le cas présent, l'avant. Force est de constater que l'analyse de la littérature ne permet pas de répondre à la question posée de façon aussi simple, pour différentes raisons : flou voire absence de définition de la crise suicidaire, évolution temporelle des concepts ...
La littérature s'accorde sur un point : la crise suicidaire n'est jamais attribuable à une seule cause. Elle se situe à l'intersection de la sociologie et de la psychopathologie, de ce qui est propre à l'individu et ce qui a trait à l'environnement. Nous verrons que ces créneaux ont été largement étudiés, et que les résultats souvent en accord mais aussi parfois contradictoires ont été obtenus. Plus récemment, des études de biologie, puis de génétiques sont venues enrichir le débat. Finalement, on observe la convergence de travaux aussi divers que ceux de psychologie, de biologie, d'éthologie, et de sociologie (K. Hawton et C. Van Heeringen, 2000).
Le chapitre qui suit comportera deux parties d'importance inégales : une synthèse des travaux "traditionnels" suive d'une ouverture sur des travaux, pour certains, moins connus mais ouvrant sur des perspectives de prise en charge et de prévention.
Du point de vue des études épidémiologiques le suicide et la tentative de suicide sont souvent décrits comme des phénomènes bien distincts : différences de tranches d'âge, plus forte prévalence chez les hommes que chez les femmes. Or il apparaît de manière de plus en plus évidente que les deux phénomènes ne sont pas aussi indépendants l'un de l'autre (risque de suicide accru par le nombre de TS antérieures, covariance des taux de suicide et de tentatives de suicide). Ils seraient l'expression d'un continuum de comportements autodestructeurs. Dans ce qui suit, la crise suicidaire sera définie comme la trajectoire qui va du sentiment d'être en situation d'échec à l'impossibilité d'échapper à cette situation et de concevoir une issue autre que la mort, de la dépression au désespoir, avec élaboration d'idées suicidaires de plus en plus fréquentes allant jusqu'au passage à l'acte.
Il est clair que dans cette mosaïque de situations, s'étendant sur des périodes plus ou moins longues selon les individus, il n'est pas toujours aisé de définir une phase de début. C'est sans doute ce qui explique que la grande majorité des études sont des études rétrospectives portant principalement sur la phase précédant l'acte suicidaire et non sur la durée de la crise conduisant à l'acte suicidaire. Les études prospectives portant sur des cohortes de population à risque, sont beaucoup plus rares (Borg & Stahl, 1982; Pokorny, 1983; Diekstra, 1990). En outre, de telles études se heurtent à leur durée, engendrant un coût conséquent et aussi souvent aux règles d'éthique des pays dans lesquels elles sont, ou pourraient être, mises en uvre.
A ce point une précision s'impose : un facteur de risque est une variable associée statistiquement à la survenue d'un phénomène. Le facteur de risque est calculé au niveau d'une population. Il ne représente pas, au niveau individuel, une cause nécessaire. Il s'agit d'une mesure d'association qui n'a pas de contenu causal. Cette précision bien comprise peut éviter des raccourcis dangereux dans la mise en place de politique de prévention.
Trois sources d'informations ont été utilisées. L'analyse en composantes principales de l'ensemble des publications de la base de données MEDLINE entre les années 1984 et mars 2000. La recherche a été faite sur les concepts de "suicide", "tentative de suicide" et "facteurs de risque". Cette analyse a permis de classer les publications selon 4 facteurs principaux et de repérer ceux qui intervenaient le plus haut dans la classification, ceux qui sont le mieux situés par rapport aux axes, c'est à dire les plus pertinents. L'analyse lexicale et statistique des mots clefs cités dans les articles référencés dans le CD-ROM Psyclit et parus entre 1971 et 1996 (Cerclé et Batt, non publiée) a servi de base à la mise en évidence de l'évolution des concepts au cours du temps. Enfin, référence sera faite à l'ouvrage de synthèse de Hawton et van Herringen, très récemment publié (2000).
La liste des facteurs de risque est longue et variée Elle comprend des caractéristiques socio-démographiques (sexe et âge), sociales (statut marital et professionnel), psychopathologiques ( présence d'une maladie mentale, alcoolisme, utilisateur de drogues,...); biologiques et /ou génétiques. Tous ces facteurs sont connus. Il serait très fastidieux d'établir pour chacun d'eux, une liste d'études dans lesquels ils apparaissent. Le choix a donc été fait de mettre l'accent sur ce qui fait accord mais aussi sur les variations entre études, la variabilité de certains taux et les discussions qui s'en suivent.
L'appartenance au sexe masculin apparaît dans toutes les publications comme un plus grand facteur de risque pour le suicide à l'inverse de l'appartenance au sexe féminin plus fréquent pour les tentatives. Le tableau ci-dessous, tirés d'études récentes et multicentriques, montre que, si ce phénomène est toujours vérifié, les écarts se rétrécissent. Dans l'étude de Cantor, portant sur une vingtaine de pays du monde occidental les taux les plus faibles sont observés, chez les hommes et les femmes, en Grèce et les plus élevés en Europe du nord (Finlande pour les hommes et Danemark pour les femmes). Dans l'étude multicentrique effectuée sous l'égide d l'OMS, qui recense les données de "centres" qui ont répondu à la recherche et non pas des données nationales, les taux les plus faibles sont observés de nouveau en Europe du sud, en Turquie et les taux les plus élevés en France (région Bretagne).
Tableau 1
Facteurs de risque |
Taux pour 100.000 par zone d'étude |
|||||||
Monde occidental 1 |
Europe 2 |
France3 |
||||||
S |
T.S. |
S |
T.S. |
S |
T.S. |
|||
sexe M |
5,5-43,6 |
- |
5,3-52,4 |
51-380 |
52,4 |
380 |
||
sexe F |
1,4-15,6 |
- |
2,7-24 |
79-544 |
24 |
544 |
||
sex ratio4 |
1,9-5,1 |
- |
0,5-1,8 |
1
: Cantor, in The international handbook of suicide and attempted suicide, Hawton & van Heeringen, 20002
WHO Study, Bille Brahe et coll., in WHO/EURO Multicentre study on parasuicide: facts and figures, 2000.3
: WHO Study, Batt, ibid.4
: le sex ratio H/F est le rapport du nombre d'hommes pour le nombre de femmes. Pour le suicide ce rapport est toujours >1.
Les taux de suicide augmentent avec l'âge. Dans les études citées plus haut, l'augmentation est statistiquement significative pour les hommes de 15-24 ans, puis pour les 25-34 ans. Dans les tranches d'âge comprises entre 35 et 74 ans, une tendance à l'augmentation est observée mais moins marquée. Au-delà de 75 ans, les taux sont très élevés dans tous les pays.
Pritchard (1996) a discuté les augmentations de taux de suicide chez les hommes dans le monde occidental entre 1974 et 1992 accompagnés d'une réduction substantielle des taux, De fait, ces observations globales masquent des changements liés à l'âge, pour chaque sexe. Pour Pritchard, la flambée observée chez les hommes de moins de 35 ans et les deux pics de crise suicidaire chez les femmes de 24-35 ans et les >75 ans, sont à mettre en relation avec les changements intervenus dans la société pendant cette période : crise économique, évolution du rôle respectif de l'homme et de la femme dans le couple mais aussi dans les relations sociales et de travail; attitude envers les conduites violentes (utilisation d'arme à feu, substances toxiques et délinquence ) de plus en plus fréquentes chez les femmes allant de pair avec une recrudescence de gestes suicidaires violents.
Pour palier aux difficultés d'interprétation des études faisant intervenir l'âge et aux difficultés de comparaison de personnes "de mêmes tranches d'âge" mais vivant à des époques très différentes, Surault (1995) préconise l'utilisation des études longitudinales de cohortes de naissance (ceux nés entre 1916 et 1921 ou bien ceux nés entre 1968 et 1973 par ex.). Ce type d'étude fait intervenir non seulement l'âge mais aussi la somme d'événements vécus, avec l'empilement de circonstances que représentent certaines époques. Un exemple très bien argumenté en est donné dans la récente étude de Baudelot & Establet (2000). Dans l'étude de Bille Brahe (2000) l'effet de cohorte peut intervenir de façon négative en créant un stress pour un grand nombre de personnes de même âge cherchant à atteindre un même but (emploi, recherche d'un conjoint, ...) ou au contraire de manière positive car au fur et à mesure que la cohorte vieillit, ses aspirations changent ainsi que les ressources vers lesquelles elles tendaient.
Compte tenu de l'importance des relations interpersonnelles dans le phénomène suicidaire, il est surprenant d'observer l'absence de publications propres aux relations de couple. Tout au plus est-il noté que le mariage et le taux de naissance sont corrélés négativement avec le suicide (Leenaars et al. 1993), mais ces variables apparaissent davantage comme des co-variables dans des études utilisant un arsenal de variables socio-démographiques qu'en tant qu'objet d'étude.
Le divorce comme les situations de séparation (deuil, séparation, veuvage) est corrélé positivement avec le suicide (suicide et tentatives, Leenaars et al., 1993; Lester, 1993; Yang et al. 1992). Toutefois, la force de l'association ne permet pas de parler de causalité. D'autre part, nombre de ces études souffrent du manque de précision des données de l'état civil. Ainsi, il n'est pas rare que les personnes séparées soient amalgamées avec les personnes mariées ou bien au contraire avec les divorcées. Dans les deux cas les résultats en sont distordus et les deux types d'études ne seront pas comparables. Toutefois, malgré leurs imperfections ces études font ressortir un plus faible impact de la séparation sur les femmes. La théorie de l'attachement d'Adam (1990) et le travail de Linehan et al. (1983) sur les raisons de vivre suggèrent que le rôle de mère est protecteur. Par contre, Hawton et al. (1985) ont montré une corrélation entre mère abusive et suicide, impliquant que l'attachement, abusif il est vrai, peut être un facteur de risque.
On observe toujours et partout moins de femmes que d'hommes suicidés alors que celles-ci sont davantage sujettes à la dépression. Murphy (1988) et Pritchard (1989) attribuent cette observation à un plus grand investissement social des femmes ainsi qu'à certains facteurs de protection chez la femmes opposés aux facteurs de vulnérabilité chez l'homme.
Ces données sont à mettre en parallèle avec les études analysées par Heikkinen et al., 1993 sur les événements de vie. Le tableau 2 résume certains de ces résultats.
Une autre forme d'événement de vie est représentée par les soubresauts de la vie professionnelle et la perte de rôle social qui peut y être attachée. Les liens du chômage avec le suicide méritent que l'on s'y arrête car les étude sont très controversées. Deux grands types d'étude peuvent être repérés : des études portant sur des personnes suivant leur geste suicidaire et des études de données agrégées au niveau d'une région, d'un pays. Les tableaux 3 (Chômage et suicide) et 4 (Chômage et tentatives de suicide) ci-dessous regroupent quelques-uns uns des résultats les plus significatifs, quel qu'en soit le sens.
Il est difficile d'atteindre une conclusion d'après les études de suivi. En effet, on observe que les associations entre chômage et suicide, quand elles existent se vérifient pour certaines tranches d'âge uniquement (Tableau 3; Charlton, 1995). Dans l'étude de Moser et al., (1986) des tendances différentes entre régions de taux de chômage proches ne vont pas dans le sens d'une association entre les deux phénomènes.
D'un point de vue méthodologique, l'amalgame entre chômeurs et inactifs atténue la portée des conclusions tirées (Andrian, 1996, Nordentoft & Rubin, 1993). Finalement, la méthode statistique interfère avec les résultats (Hawton, 1993).
Dans le tableau 4, les associations entre T.S et chômage apparaissent dans des études qui, elles même, posent question : faiblesse de l'échantillon et/ou absence de significativité après ajustement des données sur l'âge, les antécédents psychiatriques. On retrouve dans cette section, des amalgames entre chômeurs et inactifs qui brouillent les conclusions. Un point retient notre attention. C'est la conclusion de Jones et al. (1991) " une absence de causalité entre les deux phénomènes demeure une hypothèse viable", étayée par les difficultés de Platt et Dufy (1986) à établir une différence entre période de prospérité et période de récession et Platt et Kreitman (1985) qui publie la courbe très étonnante montrant le chômage et les taux de T.S s'éloignant l'un de l'autre, entre 1968 et 1982.
Tableau 2 : Perte et suicide
Auteur |
Population étudiée |
Source d'informations |
Evénements de vie |
Période |
Observations |
MacMahon & Pugh (1965) |
246 veufs suicidés 255 veufs contrôles appariés sur date de décès, lieu de résidence, couleur, sexe et groupe d'âge. |
Certificat de décès |
deuil d'un conjoint |
30 ans ou + |
+ souvent décès du conjoint dans les 4 dernières années comparé au groupe témoin. (surtout chez les hommes) Encore plus marqué dans la première année |
Bunch et al. (1971) |
75 suicides 150 contrôles appariés sur sexe, groupe d'âge, statut matrimonial et lieu de résidence |
autopsie psychologique |
deuil d'un parent |
5 ans |
+ souvent décès d'un parent (principalement la mère) dans les dans les 5 ans |
Bunch (1972) |
même groupe |
comme précédemment |
deuil d'un parent ou d'un conjoint |
5 ans |
+ souvent décès d'un parent ou du conjoint (principalement la mère) dans les dans les 2 ans |
Rorsman (1973) |
45 patients suivis pour tr. psychiatriques et suicidés 276 patients contrôles appariés sur la date de naissance |
dossiers médicaux |
décès du conjoint ou d'un membre de la famille |
un an avant le premier contact + période d'observation (en moy. 1,5 ans). |
davantage de décès dans l'entourage des hommes suicidés (+18%) que parmi les contrôles (2%). Pas de différence chez les femmes (13% versus 8%). |
Humphrey (1977) |
98 suicides, 76 homicides et 76 patients névrosés, tous de sexe masculin |
autopsie psychologique, histoires de vie et dossiers hospitaliers |
toutes pertes dans la sphère sociale |
sur la vie |
plus de perte chez les suicidés que chez les névrosés. Les homicides se situent en position intermédiaire. |
Borg & Stahl (1982) |
34 patients suivis pour tr. psychiatriques et suicidés et 34 contrôles appariés sur l'âge, le sexe, le diagnostic et le statut hospitalier |
entretiens du sujet à l'admission ou lors du premier contact (étude prospective) |
événement de vie en relation avec l'apparition d'une perturbation avant le premier contact |
événements de vie dans les deux ans précédant le suicide |
pas de différence statistiquement significative mais les résultats vont dans le sens attendu (21% versus 6%) |
d'après Heikkinen., Aro & Lönnqvist, (1993)
Tableau 3 : Chômage et suicide : études de suivi
Références |
Lieu et date |
méthode statistique |
principales conclusions |
Platt et al. 1992
Charlton, 1995.
Andrian, 1996.
Hawton et al., 1993.
Lewis & Slogett, 1998
Moser et al., 1986.
|
Italie/ 1977-1987
Angleterre et Pays de Galles/1990_1992
France/ 1992
Edimbourg 1968-1985
Angleterre et Pays de Galles 1971-1992
Angleterre et Pays de Galles 1971-1981
|
RR1
étude de cas témoins
RR
régression logistique, OR2
régression logistique, OR
ICM |
plus de suicides parmi les chômeurs par rapport aux non-chômeurs de 2,2 pour les femmes et 3,4 pour les hommes
RR des hommes de 45-64 ans plus élevés dans les zones de fort chômage. Même tendance chez les femmes, mais uniquement dans les régions de fort chômage. Pour les hommes de 16-44 ans, pas d'association entre RR et suicide.
RR de 2,3 chez les hommes de 25-59 ans sans emploi et/ou inactifs. Chez les femmes RR de 1,9. Le risque est le plus fort pour les H de 25-49 et les F. de 25-29 et 40-49. L'inclusion d'inactifs dans l'échantillon, atténue la portée des conclusions.
Dans une étude de cas contrôle de jeunes de 15-24 ans, l'OR était discriminant (2,8). Cependant le chômage n'intervenait pas en position significative dans l'analyse multivariée.
Etude sur 20 ans : Après contrôle pour de nombreuses variables, le suicide et le chômage sont fortement corrélés (O.R 2,58 p<0,001)
Etude sur 10 ans. Les hommes de 15-64 ans qui cherchaient du travail en 1971 ont un ICM très élevé dans le Nord et l'Ouest de la région, moins élevé dans le centre; régions de fort chômage, souvent de longue durée. Le taux de suicide des femmes d'un foyer dans lequel il y avait un chômeur (pas nécessairement l'épouse) était aussi très élevé, bien que non statistiquement significatif. |
d'après Platt in International Handbook of suicide and attempted suicide (2000)
1: RR= risque relatif : rapport de l'ensemble des cas chez les exposés (ici les suicidés) et les non exposés. C'est une mesure de la force de l'association causale.
2 : OR :Mesure du risque relatif. 3 : ICM : indice comparatif de mortalité :Rapport entre le taux de mortalité dans la population étudiée et le taux de mortalité de référence.
Tableau 4: Chômage et tentatives de suicide
Références |
Lieu et date |
méthode statistique |
principales conclusions |
Beautrais et al. 1998
Jones et al. 1991
Hawton & Rose, 1986
Neeleman et al. 1996
Platt et al. 1988
Platt & Duffy 1986
Runeson et al. 1996
van Heeringen, 1994 |
Christchurch(N.Z) 1991-1994
Newcastle upon tyne
Oxford, 1979-1982.
Londres, 1991
Edimbourg, Oxford, 1980-1982
Edimbourg 1968-71 & 1980-83
Stockholm 1988-1989
Gand, (Hollande) 1986-1990 |
O.R
O.R
R.R
R.R
R.R
régression linéaire
O.R
régression OR |
Association entre chômage et T.S " sérieuses" (OR=4,1 p<0,0001 pour les hommes et 5,1 p< 0,001 pour les femmes. Mais après ajustement sur le sexe, le type de famille, l'éducation l'O.R diminue de 4,1 à 2,1; si ajustement sur l'âge, le sexe, le la présence de maladie mentale, l'O.R n'est plus significatif. Toutefois les auteurs reconnaissent que l'usage de données biographiques rétrospectives limitent l'interprétation des résultats. Leurs conclusions rejoignent celles de Jones et al. En étudiant 64 paires appariées, corrélation significative entre absence d'emploi et T.S (p<0,01). Toutefois, ils ne parviennent pas à établir support théorique pour un modèle de vulnérabilité ou de causalité. Les auteurs concluent que " une absence de causalité entre les deux phénomènes demeure une hypothèse viable". Le R.R reste constant sur toute la période et compris entre12 et 15. Il augmente avec la durée du chômage. Davantage d'antécédents de traitements psychiatriques, d'alcoolisme et de T.S. pas d'autres contrôles de facteurs confondants. Le RR est de 9 parmi les patients en blanc alors qu'il est de 3 pour les patients non-blancs. La faible taille de l'échantillon peut altérer les résultats; Dans les deux villes le RR associé au chômage était supérieur chez les femmes. Malheureusement, absence de contrôles permettant d'identifier des facteurs confondant. Les H. au chômage présentaient + de problèmes associés (non mariés, séparation précoce de la mère, traitement psychiatrique, diagnostic de personnalité, casier judiciaire et/ou usage de drogues. Par contre, il n'a pas été possible d'établir une différence entre une période de prospérité économique et une période de récession. Etude sur 51 femmes admises à l'hôpital pour T.S appariées sur la nationalité et l'âge avec le même nombre de femmes contrôles. Parmi les TS, il y a davantage de femmes ayant connu une période de chômage pendant les 5 ans précédant la T.S (O.R =8,97). Petitesse de l'échantillon, précisé par les auteurs. Par comparaison à un échantillon de résidents de la ville de Gand, appariés sur l'âge, l'auteur observe un O.R de 5,8 chez les TS au chômage. L'appariement sur le statut marital et les conditions de vie augment la significativité des résultats pour les H de 15-49 ans et les F de 35-49 ans. Le risque est supérieur chez les H. |
Tableau 4 (suite)
Références |
Lieu et date |
méthode statistique |
principales conclusions |
Ferguson et al.. 1997 |
Christchurch (N.Z) 1993-1995 |
Maentel et régression |
corrélation pour les 16-18 ans entre TS et durée du chômage, qui disparaît après ajustement avec les covariants (contexte familial, facteurs individuels, antécédent psychiatriques). |
Morton, 1993 |
Edimbourg 1984-1986 |
R.R |
Les H. qui étaient au chômage lors de leur 1ère TS avaient une plus forte tendance à récidiver dans les 2 ans (p<0,005). Après stratification sur l'âge, la classe sociale et les antécédents psychiatriques, la force de l'association diminue. |
Nordentoft & Rubin 1993 |
Copenhague 1986-1990 |
Log-rank |
sur une période de 3-5 ans, 7 décès sur 100 T.S suivies, âgées de 14 à 87 ans. Les personnes sans emploi étaient sur-représentées dans l'échantillon (p<0,01). Malheureusement pas de distinction dans l'étude, entre chômeurs et inactifs. |
Owens et al. 1994 |
Nottingham (U.K) 1985-1986 |
chi2 |
Les récidivistes à moins d'un an étaient plus souvent sans emploi au moment de la T.S. index. Aucun ajustement sur d'autres variables. |
Platt & Kreitman 1985, 1990 |
Edimbourg 1968-1982 1968-1987 |
corrélation Pearson, RR |
Association négative entre les taux de chômage et les taux de T.S. |
D'après Heikkinen et al. 1997
Pour ce qui est des études de données agrégées, les arguments en faveur d'une association entre suicide et chômage sont encore moins convaincants. Hawton et Rose (1986) démontrent à Oxford, l'existence d'une corrélation faible entre le taux de TS (deux sexes) et le taux de chômage dans la population générale, bien que l'étude porte sur une période de fermetures d'usines dans la région. A Edimbourg, Platt et Kreitman trouvent une association positive pour la première moitié de leur étude (1968-1977) devenant négative entre 1977 et 1987. En conséquence, Platt conclue que l'expérience britannique n'apporte pas d'argument en faveur d'une évolution temporelle entre suicide et absence d'emploi.
L'ensemble des résultats peut être résumé par la conclusion de Crombie (1990), dans une étude portant sur 16 pays : "une augmentation du suicide n'est pas une conséquence inévitable d'une aggravation du chômage".
La part des variables économiques est aussi abordée. Ainsi, Chuang & Huang (1996) ont montré que les variables purement économiques (P.I.B., P.N.B. par habitant) avaient plus d'impact sur le taux de suicide au niveau national que les variables sociologiques. Enfin notons l'étude de Zimmerman (1987) qui souligne qu'une plus grande dépense publique par habitant (éducation, santé) va dans le sens d'une diminution des taux de suicide, étant elle-même négativement corrélée au taux de divorce, aux variables démographiques et au pourcentage de personnes vivant dans des conditions de précarité. L'étude de Ferrada-Noli (1997) effectuée dans différents quartiers de Stockholm, va dans le même sens : en effet le fait d'habiter dans un quartier "défavorisé", défini par un fort taux de chômage, des bas revenus, une faible dépense publique pour l'éducation, des conditions de vie exiguë, une plus faible espérance de vie, ...) était corrélé avec un plus fort taux de suicide.
La question de la part des femmes sur le marché du travail a été posée. L'hypothèse de départ était que le travail des femmes aggraverait les taux de suicide et/ou de T.S, chez les hommes comme chez les femmes. Dans la seule étude de clientèle traitant de la question, Stack (1996 et 1997) signale que le taux de suicide est plus élevé dans le groupe des femmes inactives quel que soit leur statut marital. Des conclusions très contradictoires ont été apportées aux études de données agrégées. Seule l'absence d'association positive et consistante ressort de façon évidente, ce qui suggère que le travail de la femme n'introduit pas de conflit (qui engendrerait une aggravation du suicide) mais plutôt un sentiment de mieux être psychologique (Trovato et Vos, 1992; Burr et al. 1997).
Les événements de vie, quand ils interviennent à un moment crucial de la biographie et plus encore de la crise suicidaire, peuvent devenir événements précipitants. Hagnell et Rossman, (1980) ont étudié les événements de vie dans la semaine précédant le suicide: une situation humiliante ou la perte d'un objet, étaient intervenus plus souvent pour les suicides que pour les morts naturelles. Dans les études qui portent sur des périodes plus longues (6 mois à un an) , un plus grand nombre de pertes et de confrontations à des situations pénibles et stressantes est régulièrement observé, même si tous les résultats ne sont pas statistiquement significatifs (Tableau 5)
Quels peuvent être les facteurs de protection? Le tableau 6 regroupe 7 études dans lesquels les auteurs ont évalué l'importance du support social en tant que facteur de protection. Le plus souvent, c'est la présence de la famille, la proximité d'amis ou de proches pouvant être contactés facilement qui interviennent. Le fait de ne pas vivre isolé et/ou à l'hôtel est aussi déterminant.
Tableau 5: Facteurs précipitants
Auteurs et dates |
Population étudiée |
Sources d'informations |
Evénements de vie recherchés |
Période d'étude |
Observations |
Bolin et al. 1968 |
27 suicides à la sortie de l'hôpital et 61 témoins sortants. |
Dossiers hospitaliers |
Réel, imaginé ou menace de perte |
6 mois précédant l'acte |
Réel, imaginé ou menace de perte dans 67% des cas et 16% des témoins; |
Shaffer et al. 1974 |
12 Suicides schizophrènes et un échantillon de 75 schizophrènes vivants. |
Histoires de vie |
Pertes |
6 mois précédant l'acte |
Pas de différences significatives entre les deux groupes |
Pokorny & Kaplan 1976 |
20 patients psychiatriques et 20 témoins appariés sur le sexe, l'âge et la race. |
Entretiens avec parents et proches dans les 2 groupes |
"Evénements de vie très contrariants demandant de grandes capacités d'ajustement" |
Temps passé entre sortie de l'hôpital et acte (<1 an en moy) |
Davantage "d'événements de vie très contrariants" (55% vs 15% . |
Hagnell & Rorsman 1980 |
28 suicides. 56 témoins appariés sur sexe, âge,. 25 décès naturels appariés sur l'âge à date du décès et sexe. |
Documents hospitaliers |
Tout événement important (perte d'un objet, décès, séparation, ou séparation) |
Dernière semaine, année écoulée |
Davantage de perte d'objets (15% vs 0%) et de situation humiliante (25% vs 0%) dans la dernière semaine écoulée. Plus de changement dans les conditions de vie, problèmes au travail et pertes que chez les sujets normaux. |
Fernando & Storm 1984 |
22 suicides et 22 témoins, tous patients d'un hôpital de district, appariés sur le traitement, conditions d'admission, l'équipe thérapeutique, le sexe, la date d'admission , l'âge. |
Dossiers |
Pertes, maladie ou décès d'un parent au premier degré ou d'un ami proche. |
année écoulée |
Pertes chez 55% des suicides vs 18% des témoins. |
Shafi et al. 1985 |
20 suicides âgés 12-19 ans et 17 contrôles appariés sur sexe, race, éducation, religion, revenus de la famille,. |
Entretiens |
Exposition au suicide (suicide ou TS d'un jumeau, d'un ami , idée suicidaire, menace de suicide ou de TS d'un parent ou d'un proche). |
Non précisé |
Exposition au suicide chez 65% des suicidés vs 18% des contrôles. |
Brent et al. 1988 |
27 suicides 13-19 ans et 56 patients hospitalisés de même âge, non psychotiques |
Entretiens |
Conflits interpersonnels, pertes, événements stressant extérieurs; |
6 dernières semaines |
Pas de différences pour les conflits en général mais les conflits avec les parents plus fréquents (70% vs 22%); pas plus de pertes ou de stresseurs extérieurs; |
Davidson et al. 1989 |
13 suicides âgés 14-19 ans et 38 contrôles appariés sur le district scolaire, le niveau d'études, la race et le sexe |
Entretiens |
Exposition au suicide, rupture ou menace de rupture, décès par accident, homicide |
année écoulée |
Pas de différences pour l'exposition au suicide. Plus de rupture ou menace de rupture, de décès accidentel et/ou d'homicide. |
D'après Heikkinen et al. 1997
Tableau 6: Facteurs de protection
Auteurs et dates |
Population étudiée |
Sources d'informations |
Support social |
Période d'étude |
Observations |
Bunch et al., 1971 |
75 suicides, 150 contrôles appariés sur sexe, groupe d'âge, statut matrimonial et lieu de résidence |
Autopsie psychologique, Données état civil |
Statut matrimonial |
5 ans précédant le suicide |
Décès de la mère chez 60 des H. Célibataires et 6% des contrôles. Chez les hommes mariés les % sont de 37 et 32% respectivement. |
Bunch, 1972 |
même échantillon |
Autopsie psychologique, Données état civil |
Proximité de proches |
non précisé |
les contrôles avaient vu un parent plus récemment que les suicides (principalement sur la semaine précédant l'acte). |
Sainsbury, 1973 |
même échantillon |
. autopsie psychologique, données état civil |
Changement de résidence, solitude, enfants, vivant à l'hôtel |
10 ans ou plus |
40% des suicidés et 12% des contrôles ont déménagé dans les 2 ans. Ils s'agit principalement de célibataires ou de personnes vivant seules, sans enfant, sans parents et vivant à l'hôtel. |
Rorsman, 1973 |
45 suicides suivis en psychiatrie et 276 témoins appariés sur la date de naissance. |
Dossiers médicaux |
Vivant seuls |
temps écoulé depuis le premier contact. |
50% des femmes. suicidées vivant seules contre 6% des contrôles. Pas de différences chez les hommes. |
Barraclough & Pallis, 1975 |
64 suicides déprimés et 128 témoins déprimés appariés sur l'âge et l'âge; |
Autopsie psychologique, Données état civil |
Vivant seuls |
non précisé |
7% des contrôles vivaient seuls contre 42% des suicidés. |
Maris, 1981 |
226 suicides, 71 décès naturels non appariés |
Entretiens structurés |
Nombres d'amis proches |
1 an |
Deux fois plus d'amis pour les décès de cause naturels. |
Murphy et al. 1992 |
67 suicides alcooliques et 106 témoins alcooliques vivants. |
Entretiens |
Vivant seuls |
non précisé |
Les contrôles vivent moins souvent seuls (17% contre 45%). Personnes à qui se confier dans 75% des cas de suicide. |
Breier & Astrachan, 1984 |
20 suicidés schizophrènes et 81 contrôles |
Entretiens |
Vivant seul |
non précisé |
30% des suicides et 26% des contrôles vivent seuls. Les premiers ont souvent subi des pertes récentes |
De Hert & Peuskens, 2000 |
Cohorte de 870 jeunes patients schizophrènes (1er épisode) |
Questionnaire recherche |
Facteurs démo. et d'intégration |
10 ans |
1% de la population suivie était décédé par suicide; la meilleure protection était l'engagement dans des activités socialisantes. |
d'après Heikkinen et al., 1993. Et de Hert et Peuskens, 1998.
Cet aspect, essentiel de la question, sera amplement traité dans la conférence. Cette section ne présentera qu'un condensé des principaux résultats et quelques résultats plus rarement documentés.
Pratiquement tous les troubles mentaux sont associés avec la crise suicidaire. Dans leur méta-analyse, portant sur 249 publications et 44 troubles, Harris & Barraclough (1997) ont recensé 36 associations significatives.
Le tableau 7 (ainsi que les tableaux 8-12) est construit à partir de l'ensemble des publications répertoriées dans Medline entre 1966 et 1993 sur le sujet. Un ensemble de 249 travaux ont été retenus pour la qualité de leur méthodologie et de leur interprétation. Il compare les taux de suicide observés dans l'ensemble des études portant sur l'un ou l'autre trouble (dépression majeure, troubles bipolaires, dysthymie, ), au nombre de suicides "attendus" dans une population témoin ne présentant pas ce /ces troubles(s). L'indice Comparatif de mortalité (ICM) est une mesure statistique qui permet d'apprécier la puissance du phénomène observé.
Le risque de suicide varie de façon notable selon le trouble (tableau 7). Il est maximum pour la dépression majeure. Bien qu'on relève peu d'études de patients appariés sur plusieurs critères, permettant des comparaisons sérieuses, l'ensemble des résultats existants permet d'établir qu'un décès sur 6 chez des patients traités pour troubles de l'humeur est consécutif à un suicide. La dépression est souvent un symptôme de comorbidité d'autres troubles psychiatriques (schizophrénie, troubles de la personnalité, troubles anxieux et/ou usage de substances psychoactives) ou somatiques (maladies cardio-vasculaires, cancer, maladies chroniques sévères, Sida, ..). En conséquence, la signification clinique du comportement suicidaire va bien au-delà du seul syndrome de dépression. La comorbidité d'une personnalité borderline augmente la sévérité de la crise suicidaire (accroissement du nombre et de la gravité des actes auto agressifs, Soloff et al. 2000), allant de pair avec une mortalité accrue pour Stone (1989) et McGlashan (1986) mais pas pour Paris et al. (1989) ou Kjelsberg et al. (1991).
Tableau 7 : Troubles de l'humeur et suicide
Troubles |
N° suicides observés |
N° suicides attendus2 |
ICM* |
95% IC** |
Dépression majeure |
351 |
17,25 |
2.035 |
1.827-2.259 |
Troubles bipolaires |
93 |
6,18 |
1.505 |
1.225-1.844 |
Dysthymie |
1.436 |
118,45 |
1.212 |
1.150-1.277 |
Tr. de l'humeur non spécifiés |
377 |
23,41 |
1.610 |
1.452-1.781 |
Tous tr. mentaux fonctionnels |
5.787 |
478,53 |
1.209 |
1.178-1.241 |
adapté de Harris & Barraclough, 1997
Le désespoir (hopelessness) est l'un des médiateurs principaux entre la dépression et les intentions suicidaires. Les mécanismes psychologiques intervenant dans ce processus sont la rigidité cognitive et l'incapacité à résoudre les problèmes de la vie courante (problem-solving failure, Williams, 1997).
Le passage du désespoir au comportement suicidaire n'est pas systématique. Il dépend de différents facteurs de risque qui seront cités plus loin ( génétiques, accessibilité des moyens, modèles ) mais aussi de la présence/absence de facteurs de protection parmi lesquels le support social semble intervenir le plus fréquemment (voir Tableau 6).
L'existence de tentatives de suicide antérieures (auto-intoxication ou toutes autres méthodes confondues) augmente le risque de suicide par 40% en moyenne dans les études référencées par Harris et Barraclough (1997) sur le sujet (valeurs extrêmes 20-120 fois et de 0-77 selon le mode). Bien que ce type de résultats soit largement documenté, l'étude de Malone et al. (1995) montre que pour un quart des patients déprimés hospitalisés, connus pour avoir un passé d'antécédents de tentative de suicide, l'historique de ces patients est incomplètement documenté dans les dossiers médicaux. Sans négliger les difficultés de diagnostic dans des situations d'urgence (van Heeringen,1993; Malone1995), on mesure le poids potentiel de telles imprécisions (Beautrais et al. 1996; Suominen et al. 1999) si l'on se souvient que des antécédents suicidaires ont été rapportés dans plus de 40% d'autopsies psychologiques. La situation est encore plus délicate car "les facteurs de risque à long terme ne sont probablement pas identiques aux facteurs de risque à court terme" (Hawton, 1987).
La récidive est un indicateur pronostic de suicide ultérieur. Dans l'étude de Beskow (1979) 42% des hommes suicidés étaient des récidivistes et dans l'étude de Asgard (1987) 63% des femmes étaient aussi des récidivistes.
Tableau 8 : Tentatives de suicide, idées suicidaires et suicide
Troubles |
Pays |
N° suicides observés |
N° suicides attendus |
ICM |
95 % IC |
Intoxication (CIM9 950-951) 11 études 1790 - 1991 |
Australie, Danemark, Ecosse, Finlande, Pays de Galles, Norvège, Suède |
444 |
10,9 |
4.070 |
3.700-4.467 |
toutes méthodes (CIM9 950-959) 9 études 1964 - 1992 |
Angleterre, Danemark, U.S.A., Suède |
285 |
7,4 |
3836 |
3.403-4.308 |
idées suicidaires |
USA |
81 |
1,7 |
4.737 |
3.762-5887 |
adapté de Harris & Barraclough, 1997
Dans l' étude de suivi sur 6 mois, de 632 patients admis aux urgences du CHR de Rennes, Batt et al. (1998) ont présenté une représentation graphique de la répartition des récidives au cours du temps, en fonction des antécédents suicidaires. (Figures 1 et 2). On remarque (Figure 1) que plus le nombre d'antécédents est important plus la probabilité de récidiver en moins de 6 mois est grande. Ceci est encore plus visible sur le groupe des 72 sujets qui ont fait une récidive "précoce" dans les 6 mois. L'allure des courbes montre un certain emballement du processus (Figure 2).
Source : Batt et al., 1998.
L'expérience clinique et la recherche s'accordent pour décrire le suicide comme une suite fréquente de la schizophrénie. Les données globales recueillies dans le monde donnent les taux de risque listés dans le tableau 9.
Tableau 9 : Schizophrénie et suicide.
Troubles |
Pays |
N° suicides observés |
N° suicides attendus |
ICM |
95 % IC |
Schizophrénie (DSM III R 295.10- 295.95) |
Allemagne, Angleterre, Canada, Danemark, Ecosse, Finlande, Islande, Israël, Italie, Japon, Norvège, Singapour, Suède, USA, |
1.176 |
139 |
845 |
798 - 895 |
Psychose réactionnelle brève (DSMIII 298.8) |
Danemark, Norvège |
1.081 |
70 |
1.537 |
1.447 - 1.631 |
Quatre études récentes d'envergure ont étudié la question sous différents aspects (Tableau 10). Les résultats de ces études confirment et approfondissent les résultats exposés de manière très synthétique dans le tableau 9.
Tableau 10: schizophrénie et suicide - études récentes.
Etude |
Méthode |
Résultats |
Conclusions |
Fenton et al. 1997 |
Symptômes de schz. positive ou négative 187 schizophrènes, 87 schizo-affectifs, 15 tr. Schizoformes et 33 schizotypiques évalués par échelle de symptômes positifs/négatifs Suicide, TS et idées suicidaires sont testées. |
Les suicidés (6,4% de l'échantillon) avaient des symptômes négatifs de moindre intensité à l'admission. Deux symptômes positifs (suspicion et hallucination) étaient plus sévères parmi les cas de suicide. La schz. Paranoïde était associée avec un RR très élevé; la schz. Déficitaire avec un RR moindre; |
Des symptômes déficitaires proéminents (ralentissement, émoussement et retrait) diminue l'émergence de la crise suicidaire et définissent un groupe à plus bas risque. Le sentiment de suspicion en absence de symptômes définit un groupe à haut risque; |
Rossau & Mortensen, 1997 |
Cohorte de 9.156 patients hospitalisés entre 1970 et 1987.Pas de distinction de sous-types. Etude de cas témoins. |
508 décès par suicide. Admissions multiples, antécédents de TS, diagnostic antérieur de dépression, sexe masculin, hospitalisations antérieures pour problèmes somatiques. |
Le risque de suicide était maximum à l'admission et dans les 5 jours suivant la sortie; les "revolving doors" sont des patients à haut risque. |
Heilä et al. 1997 |
Caractéristiques cliniques de tous les sujets schizophrènes décédés par suicide sur une période de 12 mois ont été étudiées par autopsie psychologique. dans la population |
Période de crises (2/3 des femmes et 1/3 des hommes), symptômes dépressifs, antécédents de TS. Grosses différences selon le sexe pour les symptômes dépressifs, l'alcoolisme. |
Au moment de leur acte, 27% des victimes étaient en traitement et 32% étaient sortis récemment. Recommandations pour davantage de support social et de suivi après sortie. |
De Hert & Peuskens, 1998 |
Etude de cas témoins sur 870 patients schizophrènes (DSM3R). durée moyenne de suivi 11,4 ans. Caractéristiques cliniques, démographiques et d'intégration |
63 suicides (7,2%). Les ppaux facteurs de risque sont : sexe masculin, chronicité avec hospitalisations multiples, antécédents familiaux, comportement impulsif et agréssif, non-observance des traitements,, pertes récentes, traitement anti-dépresseur, QI élevé. |
Le suivi des premiers épisodes sur 10 ans montre que cette population spécifique est à haut risque. |
Par gain de place, les autres troubles - anxieux, de l'adaptation et de personnalité - seront regroupés dans un même tableau (tableau 11), non pas par sous estimation de leur importance mais parce que, pour chacun d'eux, les études ne détaillent pas ou peu de sous catégories.
Tableau 11 :suicide et troubles anxieux, de l'adaptation et de personnalité
Troubles et (nombre d'articles) |
Pays |
N° suicides observés |
N° suicides attendus |
ICM |
95 % IC |
Névrose anxieuse (1) |
Suède |
151 |
24 |
629 |
533-738 |
Agoraphobie et T.O.C (3) |
Angleterre, Australie, Norvège |
3 |
0,2 |
1.154 |
1.238-3.372 |
Névrose (8) |
Angleterre, Ecosse, Israël, Norvège, USA |
85 |
22,9 |
372 |
297-460 |
Troubles paniques (3) |
Italie, USA |
9 |
0,9 |
1.000 |
457-1.898 |
Troubles de l'adaptation NS (2) |
Allemagne USA |
4 |
0,2 |
1.379 |
376-3.532 |
Troubles de personnalité (5) |
Norvège, USA |
30 |
4,2 |
708 |
477-1.010 |
Troubles de l'alimentation: anorexie et boulimie (13) |
Angleterre, Canada, Danemark, Ecosse, nouvelle Zélande, Suède, USA |
28 |
1,2 |
2314 |
1.538-3.344 |
L'abus de substances psychoactives est aussi fortement corrélé au risque de suicide. (Tableau 12)
Tableau 12 : Abus de substances psycho-actives et suicide.
Troubles et (nombre d'articles) |
Pays |
N° suicides observés |
N° suicides attendus |
ICM |
95 % IC |
Alcool (32) |
Afrique du Sud, Allemagne, Angleterre, Canada, Finlande, Islande, Japon, Pays Bas, Nouvelle Zélande, Suède, USA |
641 |
110 |
586 |
541-633 |
Opiacés (9) |
Allemagne, Angleterre, Danemark, Ecosse, Italie, Royaume Uni, Suède, USA |
64 |
4,6 |
1.400 |
1.079-1.788 |
Sédatifs, hypnotiques et/ou anxiolytiques (3)* |
Allemagne et Suède |
36 |
1,8 |
2.034 |
1.425-2.816 |
Cannabis (1) |
Suède |
10 |
2,6 |
385 |
184-707 |
Mélanges (4) |
Norvège, Suède, USA |
135 |
7,0 |
1.923 |
1.612-2.276 |
* : l'utilisation d'alcool avec ces médicaments diminue légèrement le risque et l'ICM passe de 2.034 à 1.564. Par contre l'usage concomitant de drogues illicites multiplie le risque par 2.
Pour terminer ce trop rapide aperçu des facteurs de risque abordons, de façon succincte, les recherches récentes en biologie et génétique.
Les liens entre une activité anormale du système sérotoninergique et le phénomène suicidaire (suicide, gestes auto-agressifs) sont documentés depuis l'étude princeps d'Asberg et al. (1976) sur des patients souffrant de mélancolie. Ces études ont été répliquées chez des patients souffrant d'autres troubles psychiatriques. Virkkunen et al. (1989 et 1994) ont observé des taux abaissés de 5-HIAA ainsi que des concentrations élevées de testostérone dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) de patients alcooliques, violents, impulsifs ou pyromanes. Dans leurs différents travaux Mann et al. (1992) et Deakin (1996) confirment que des bas niveaux de 5-HIAA dans le LCR sont corrélés avec l'intention et la gravité de tentatives de suicide. Ils notent, de plus, une réponse à d'autres activités de la sérotonine : vitesse de fixation au recepteur 5-HT2 et réponse de la prolactine à la fenfluramine présente chez des patients souffrant de désespoir et 5-HT1A associée aux idées dépressives. De plus, la mise en évidence de ces produits offrirait la possibilité de méthodes de prédiction de comportements suicidaires moins invasives que le dosage de 5-HIAA dans le LCR.
Depuis la revue de Muldoon et al. (1990) on note un nombre croissant d'évidences pour une corrélation entre l'abaissement des taux de cholestérol et l'accroissement des taux de morts violentes, y compris le suicide. Etudiant une population de 662 adultes comportant 331 patients hospitalisés pour TS (âge moyen 44 ans, 93 hommes et 238 femmes) et 331 témoins, Gallerani et al. (1995) ont observé, de manière significative, des taux de cholestérol moins élevés chez les suicidants. Les autres tests biologiques effectués lors de l'entrée à l'hôpital incluaient la masse corporelle, les marqueurs de diabète, l'hypertension, l'alcoolisme, l'abus de drogues et la ß-thalassémie). Enkelberg (1992) a proposé que des taux abaissés de cholestérol dans les membranes de la vésicule synaptique puisse interférer avec l'expression du récepteur de la sérotonine, en l'abaissant. Enfin, très récemment, le travail de Garland et al. (2000) apporte des éléments complémentaires à la discussion, en reliant l'abaissement du taux de cholestérol avec les mécanismes psychologiques de l'impulsivité et de l'agressivité.
Les liens entre génétique et comportement suicidaire ont fait l'objet de nombreuses études portant sur la transmission verticale intra-familiale , horizontale entre jumeaux et la transmission à des enfants adoptés. Ces études concordent à montrer qu'une histoire familiale comportant des épisodes dramatiques (suicide d'un parent, d'un frère/sur, d'un jumeau) augmente le risque de comportement suicidaire (Roy et al. 1997).
Dans une étude portant sur 70 patients alcooliques et violents (56 impulsifs et 14 non impulsifs) et 20 témoins volontaires sains, Nielsen et al. (1994 ) ont apporté, par les méthodes de la biologie moléculaire, l'évidence d'une association entre comportement violent et /ou suicidaire et le polymorphisme du gène de la tryptophane hydroxylase (TPH), enzyme limitant la biosynthèse de la sérotonine.
Les résultats exposés plus haut n'apparaissent pas au hasard dans la littérature. Il y a une évolution des conceptions scientifiques sur le suicide, comme sur tout autre sujet. L'analyse lexicale et statistique des mots clefs cités dans les articles entre 1971 et 1996 sur le thème référencés dans le CD-ROM PSYCLIT créé par "the American Psychological Association", a mis en évidence, à partir d'un corpus de 2676 articles provenant de 522 revues distinctes, trois périodes historiques : les années 70 avec la prégnance du modèle médical de prévention (principaux thèmes abordés, le suicidant/suicidé est un individu malade, les relations avec son environnement); la crise des années 80 caractérisée par une référence notable au chômage puis les années 90 où de nouveaux concepts s'imposent, le stress, les stratégies d'ajustement -coping- l'estime de soi (Cerclé & Batt,1998)
A de rares exceptions près, les études citées plus haut, sélectionnées par une autre procédure, correspondent bien à cette évolution temporelle. Cette observation n'a pas qu'un intérêt anecdotique. Il souligne que le phénomène suicidaire est aussi un sujet d'étude et que par conséquent les enquêtes mises en uvre et les résultats publiés sont soumis à tous les aléas de la recherche : effets de mode, modicité des moyens, crédits ciblés pour certaines recherches à certaines époques, compétition entre équipes, etc. Ce détour pour dire qu'aucun des résultats cités ne doit et ne peut être utilisé dans une politique de prévention sans une réflexion très poussée sur le contexte dans lequel ils ont été obtenus et celui dans lequel il sont appelés à être utilisés. Il s'ajoute aux restrictions déjà émises sur la nature des facteurs de risque et sur la nécessaire recherche de spécificité des résultats obtenus que ce soit en épidémiologie, biologie, génétique, psychologie ou sociologie.
Les quelques lignes de conclusion seront traduites de l'introduction du chapitre 14 de l'ouvrage déjà cité de Hawton et van Heeringen (2000). " le comportement suicidaire doit être considéré comme la conséquence d'interactions complexes entre des caractéristiques psychologiques, biologiques et sociologiques. Les résultats récents obtenus dans des disciplines aussi diverses que l'éthologie, la psychologie, la biologie et la sociologie convergent à un tel degré que la question de savoir si le comportement suicidaire est d'abord un problème d'origine psychologique ou principalement dû à des caractéristiques biologiques, n'a plus de sens. La clef dans le développement du comportement suicidaire est l'effet réciproque de l'individu sur son environnement : exposition à des stresseurs spécifiques qui peuvent être en partie sous contrôle génétique, sensibilité à l'environnement qui relève de la perception ou du domaine cognitif et réaction comportementale . " ce qui amène ce "cri de douleur" (a cry of pain) décrit par Williams (1997 et 2000).
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Dernière mise à jour : dimanche 29 octobre 2000 19:36:11 Monique Thurin