Risque suicidaire, crise familiale ; réfléxions générales et modalités d'intervention
Dr Serge Kannas
CHS Charcot - Plaisir
Les réflexions que nous allons vous soumettre sont issues dune triple expérience :
A Réflexions générales
Nous sommes partis de deux hypothèses principales, sachant que nous parlons de la propension à lagir extrême ou dangereux, dont le suicide est un des aspects, mais non le seul.
B Quelques brèves définitions
Pour développer plus avant et nous faire bien comprendre, nous voudrions donner deux définitions :
C Les conséquences
Le modèle dintervention de crise, thérapeutique et de prévention du risque suicidaire que nous proposons, est centré principalement sur limplication active de lentourage. Nous entendons par là la famille, même élargie ou très élargie, voire distante géographiquement, et le réseau micro-social du patient (amis, collègues, professionnels de laide éventuellement déjà impliqués ou à susciter). Cette approche suppose de solliciter activement et expressément laccord du patient pour obtenir une telle participation. Plusieurs objectifs sont à rechercher :
- Promouvoir lalliance thérapeutique et créer un contexte de coopération psychothérapique plutôt que de contrôle, source descalade, elle-même amplifiant le risque de relancer le passage à lacte. Cet objectif doit être recherché en tout premier lieu avec le patient. Mais il nest pas rare de rencontrer un patient suicidaire présentant une demande paradoxale, qui dénie le risque, banalise son acte ou encore refuse toute coopération, voire toute discussion. Dans ce cas, le fait de recevoir la famille peut permettre dobtenir un soutien, une participation et une demande de certains proches, qui peuvent aider le thérapeute en le soutenant dans ses préoccupations, et aussi pousser le patient à sassouplir et coopérer. Cela peut éviter aux professionnels dêtre confrontés à une demande en "tout ou rien" : soit la demande est "parfaite", soit il existe une "non-demande" qui oblige le professionnel à choisir entre abandonner le patient, au nom de sa liberté, ou le contrôler totalement, au nom de sa sécurité, contrôle non dénué de risque.
Par ailleurs, l'engagement du thérapeute en direction du patient et de ses proches (appels téléphoniques, proposition de rendez-vous
) favorise la compliance aux soins qui est un des aspects de l'alliance thérapeutique.
- Recueillir des informations sur la situation, son contexte et les éléments de gravité que le patient ne livre pas toujours : degré disolement, événement déclenchant, notion de consommation de toxique ou dalcool, dabus sexuel ou de violence intra-familiale, existence d'une pathologie mentale, d'antécédents suicidaire, etc.
- Tester et analyser les enjeux relationnels, source fréquente descalade liée à la crise familiale, souvent méconnue lorsque le patient est reçu individuellement. Il s'agit de parler plutôt que d'agir. Lexemple classique est celui du patient calme, banalisateur et asymptomatique, qui va se montrer en quelques minutes, lors de lentretien familial, membre dune famille chaotique et explosive ou tout le monde exprime sauvagement des reproches vis-à-vis de tout le monde. Lentretien familial est donc révélateur des tensions qui sont susceptibles dexister au sein de la famille, de leur intensité, des enjeux quil recèle. Ce type dentretien permet ainsi de commencer à en parler en tentant de sallier à lensemble des protagonistes, ce qui peut déjà en soi réduire notablement les tensions et le risque, préparer des pistes pour des discussions plus répétées sur une période courte si cela savère nécessaire, voire préparer les intéressés à une prise en charge de plus longue durée à des conditions adaptées.
- Tester et analyser les hiérarchies (inversées, confuses) lorganisation et la structure de la famille, en relation avec la situation du patient suicidaire : est-ce quun adolescent, par son comportement extrême, paralyse ses parents et les rend incapables dintervenir de façon fonctionnelle ? Existe-t-il un conflit de couple, un risque de séparation ou une rupture en cours, existe-t-il des conflits latents ou explicites entre une partie de la famille et la famille élargie ? Existe-t-il des coalitions cachées entre un membre de la famille et un autre contre un troisième, etc. ? Lentretien familial révèle ces aspects ou permet de les retrouver, et donne ainsi la possibilité de commencer à entreprendre une aide, si elle est acceptée ou demandée, portant sur ce type denjeu. Cela aussi peut contribuer à réduire notablement la pression et donc le risque immédiat ou celui de récidive.
- Vérifier la qualité du support social et familial : impliquer le réseau social et familial du patient peut permettre de vérifier sil en existe un, si le patient est irrémédiablement isolé, ou si lon gagne à lui en créer un, artificiel et temporaire (professionnels du sanitaire, du social ou autre) par exemple. Si le réseau existe, le rencontrer permet de se faire une idée de son implication, de sa disponibilité, de sa fiabilité, de son aptitude à porter dans la situation. Là aussi, ce bilan où lentourage apparaît davantage comme une ressource quun problème, peut permettre une réponse thérapeutique graduée et ajustée qui nest ni le tout hospitalier, parfois excessif et stigmatisant, ni le tout ambulatoire individuel et isolé, la réponse appropriée devenant un partenariat intensif "sur-mesure" entre professionnels, patients et entourage. Lalliance avec ce dernier lui permet enfin de jouer un rôle de soutien et dalerte en cas de nécessité, au-delà de la crise, même si le patient nest pas directement demandeur, ce qui peut jouer un rôle dans la prévention ultérieure du risque.
- Développer la compétence des familles, promouvoir leurs capacités auto-curatives et dapprentissage : lexpérience des entretiens familiaux de crise tend à montrer que les familles "apprennent" à davantage se parler des enjeux relationnels critiques, à découvrir et faire lexpérience de leurs propres capacités positives et de leurs ressources pour se soutenir mutuellement et traverser la crise ensemble, ce qui est moins dur quisolément. Lorsque cela se passe, la famille en sort valorisée et cela crée un cercle vertueux qui les aide à se confronter plus positivement, le cas échéant, à dautres situations ultérieures analogues (Ausloos, 1995).
Une expérience de recherche a été effectuée au sein du groupe ERIC à propos dune population de patients arrivés pour la première fois à lhôpital psychiatrique pour une admission (Kannas et al., 1998b). Un groupe faisait lobjet dune prise en charge alternative de crise impliquant la famille au moment de larrivée, dont les résultats étaient comparés à celle, classique, dun groupe témoin apparié. Lexpérience a montré 50 % dhospitalisation de moins dans le groupe "crise" immédiatement, et 45 % de moins à deux ans. De même, les patients du groupe "crise" étaient deux fois moins hospitalisés et deux fois moins longtemps que ceux du groupe témoin, pendant la même période. Tout sest passé comme si certaines familles avaient "appris" à utiliser d'autres ressources, plutôt que lhospitalisation, ou à en limiter le risque et la durée. Il convient toutefois de remarquer que cette recherche concernait lensemble des pathologies psychiatriques menant à lhospitalisation, ce qui incluait la crise suicidaire mais ne sy réduisait pas, et que dautre part lintervention de crise durait au maximum un mois.
D La question de l'hospitalisation
Elle est souvent posée en termes de partisans et dadversaires irréductibles, quoique peu discutable pour des patients à haut risque de passage à l'acte suicidaire immédiat. Ayant développé un outil pour créer des alternatives, nous sommes plutôt enclins à en limiter les indications et la durée, pour plusieurs raisons :
E - Conclusion
Au total, dans notre expérience, des indices semblent montrer que notre modèle thérapeutique, centré sur lévitement de lhospitalisation et limplication active de lentourage, pourrait exercer des effets bénéfiques y compris à long terme, sans augmenter le risque suicidaire immédiat.
Toutefois, il est juste de considérer que notre intervention dure au maximum un mois et que notre étude sur le long terme ne porte pas spécifiquement sur le suicide, même si elle linclut. Enfin nous manquons dargent et de temps pour effectuer des recherches comparatives rigoureuses, permettant de vérifier si notre modèle, le cas échéant, réduit le risque de récidive suicidaire par rapport à dautres modèles dintervention.
F - Bibliographie
Dernière mise à jour : dimanche 29 octobre 2000 19:36:11
Monique Thurin