Protocole de thérapie brève de familles de suicidants

Dr J.-C. Oualid

Psychiatre, Thérapeute familial, Responsable du département Impasse & Devenir , Unité de prévention de l’association La Corde Raide. 7, Avenue Beaucour,75008 Paris.
C’est dans cet éphémère moment de l’auto-désignation active du jeune suicidaire dans sa famille que nous avons situé notre travail. Après avoir précisé le type de population concernée par notre protocole, nous parcourrons la crise ou séquence suicidaire afin de préciser les modalités d’inscription de notre mode de prise en charge dans ces transactions familiales complexes, protocole de Thérapie Brève de Famille de Suicidant (protocole TBFS).

Débutée en 1982 et soutenue par M. Le Dr. Michel Monroy, Chef de service à l’hôpital Intercommunal de Villeneuve Saint-Georges, dans la banlieue parisienne, cette recherche a porté sur un mode d’abord systémique de la crise suicidaire. Plusieurs difficultés furent d’emblée présentes qu’il importe de signaler, celles-ci étant quasi-systématiques au sein des différentes équipes avec lesquelles nous avons été amené à collaborer, et ont une forte valeur pédagogique : il est légitime de les considérer comme représentatives des résistances de la population générale.

La résistance des équipes : " que font les Psys ? ", avons-nous à de nombreuses reprises entendu de la part des services d’urgence : infirmières, aides-soignantes voir parfois réanimateurs devant les récidives suicidaires.

La Tentative de Suicide (T.S.) génère chez chacun d’entre nous une contre attitude négative, il est en effet du domaine du blasphème, du péché dans toutes les croyances que d’attenter volontairement à ses jours. De plus, élément tout à fait remarquable et cohérent avec cette importante résistance : il n’existe toujours pas, que ce soit dans les questions d’internat ou dans les écoles d’infirmières, de question : Conduite à tenir devant une TS. non compliquée.

1. Les faits

Il est un fait que tous les sujets qui attentent à leurs jours présentent une détresse psychologique. Mais, quand on travaille aux urgences d’un hôpital général, l’entretien initial ne décèle que peu de syndromes psychiatriques avérés. Les statistiques varient si l’on se situe au sein d’un service de psychiatrie, ou dans un service de réanimation : le premier entretien ayant lieu au réveil d’un coma.

Trois groupes de pathologies représentés et, identifiés, ne posent relativement que peu de problèmes thérapeutiques. S’il s’agit d’états dépressifs ou délirants : la TS. appartient aux syndromes et le traitement est celui de l’affection causale réalisé au mieux dans les services spécialisés. Plus complexe est l’abord des pathologies limites, de plus en plus représentées dans un service de réanimation dite lourde, ces dernières années, elles ont fait l’objet de communications antérieures.

L’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges recevait aux urgences dans les années 80 à 90 plus de 1000 TS par an. Le Dr Monroy avait souhaité que nous nous occupions des 800 à 900 suicidants qui ne présentaient pas de syndrome psychiatrique avéré mais qui néanmoins récidivaient.

Nous prendrons donc comme type de description la forme la plus fréquente : la TS médicamenteuse d’un sujet entre 15 et 25 ans qui à l’examen ne présente ni syndrome psychiatrique avéré ni complication somatique de son geste.

2. Les faits statistiques

Nous savons :

- En cas de première TS, la récidive aura lieu dans un cas sur deux le plus souvent dans l’année qui suit ce premier geste ;

  • Lorsqu’il s’agit d’une deuxième ou troisième TS, la suivante est quasi systématique ;
  • Les médicaments les plus souvent utilisés sont ceux de la pharmacie familiale au premier rang desquels les Benzodiazépines, médicaments très prescrits dans notre pays ;
  • Les doses médicamenteuses ingérées augmentent au fur et à mesure des récidives, donc le risque létal est de plus en plus important. Tout se passe comme si le sujet était obligé d’augmenter ses doses sous peine de disqualifier son geste ;
  • On peut mourir de la douzième TS.
  • Les différentes études antérieures ont montré l’absence de profil type de suicidant
  • S’occuper de cette pathologie aux urgences d’un Hôpital général signifie travailler avec une population quasi-exclusivement de moins de 25 ans.
  • 3. Les faits d’observation :

    Le suicidant : nous avons été à de nombreuses reprises surpris par le calme et l’apaisement apparent des suicidants au lendemain de leur geste, l’interrogatoire plus fin a montré que ce calme n’est pas dû à la nature des produits ingérés mais datait très précisément de l’instant de la décision suicidaire.

    L’avant TS, première étape de la séquence suicidaire d’une durée extrêmement variable, se situe dans un continuum quotidien peu mobilisant aux plans personnel, relationnel et familial.

    Certains auteurs canadiens ont décrit la période pré-suicidaire, marquée par :

  • Le flash : première apparition de l’idée suicidaire,
  • L’idéation ou pensées fréquentes : l’idée du suicide devient très présente,
  • La rumination ou la fixation : il n’y a plus d’autre solution,
  • La cristallisation ou planification : la personne décide où, quand et comment.
  • On retrouve souvent un facteur catalysant qui s’intègre dans ce processus: de la rupture affective fréquente à ces âges à la simple mauvaise note, il a toujours une répercussion directe sur le registre narcissique.

    En fait, le sujet décrit une montée progressive de son anxiété alliée à un sentiment d’isolement croissant, d’incompréhension de l’entourage ; dans ce moment des messages de détresse ont souvent été émis sous une forme très particulière (plaintes somatiques par exemple) par conséquent inaudibles par son entourage

    Quand bien même les messages auraient été écoutés, ils ne pouvaient être entendus à leur juste valeur : quel parent ou proche peut envisager ce genre de geste chez son enfant ?

    À l’interrogatoire est les plus souvent retrouvée : une sensation d’impasse alliée à une importante anxiété qui progressivement arrive à une acmé, moment précis de la décision suicidaire. Cette décision s’accompagne d’une brutale et importante baisse de la tension et de l’anxiété du sujet.

    C’est ainsi que différents auteurs ont comparé ce moment à " un phénomène de type orgasmique "

    Dès lors l’ambiance a changé, comme en attestent différentes études menées soit sur les circonstances de découverte des suicidant :

  • Chambre bien rangée,
  • Rideaux tirés,
  • Présence éventuelle d’une musique,
  • soit sur leurs éventuelles lettres qui montrent une " lucidité ", une détermination et surtout un calme très étonnant contrastant avec l’anxiété décrite antérieurement.

    Ces circonstances allant parfois jusqu’à de véritables mises en scène évoquent des rituels religieux, ou rites de passage.

    Ceci nous a invité à penser la TS comme une initiative, une réalisation de type solution (vérifié par le dire des suicidant) de nature ordalique.

    Tout se passe comme si, à ce moment s’établissait une action réaction entre le sujet et un référentiel soit de type hasardeux soit de type religieux, le sujet laissant le soin au hasard de décider en son lieu et place de sa survie ou de son décès.

    Véritable " roulette pharmacologique " son devenir appartient au hasard.

    Trois remarques s’imposent :

  • Dans ce moment deux hypothèses incompatibles existent, le système familial survivra dans son ensemble ou privé d’un de ses éléments : c’est l’hypothèse N-1, sujet de mon mémoire pour l’obtention du C.E.S de psychiatrie soutenu à la Salpetrière en 1986.
  • La nature de la mort sollicitée par le suicidant pose aussi question : il ne s’agit pas d’une mort désintégration mais d’un état de calme et d’apaisement. Dans nombre de cas, le sujet s’est imaginé juché sur un promontoire dominant la situation, spectateur de son propre enterrement, c’est ainsi que certains auteurs ont qualifié ce moment d’accès délirant de type psychotique.
  • Enfin, schéma original dans la pratique des soins, la TS. Fonctionne comme une solution, c’est la solution qui pose problème ; s’occuper de suicidants signifie intervenir à contre —solution.

    Chacun de ces différents points a fait l’objet de développements dans des articles antérieurement publiés.

    4. Les idées de bases pour les prises en charge :

    Nous l’avons signalé dès l’introduction : l’auto-désignation suicidaire est transitoire, le sujet va bien le Lundi, il agit son geste le Mardi et le Jeudi est de retour à ses occupations, souhaitant chasser au plus vite de son esprit cet épisode.

    Une prise en charge psychologique est difficile à mettre en place, le taux de suivi après un passage aux urgences ou une hospitalisation brève est en effet de l’ordre de 5 à 10 % lorsque les patients sont vus comme le prescrivent les circulaires. D’autres services ont des protocoles spécifiques ce qui, bien sûr, améliore les taux de suivi.

    Si la TS. est une solution, même si nous savons que les récidives sont à venir, dans le moment où nous les voyons : la solution a fonctionné, la boucle est bouclée, l’apaisement est apparu, la sensation d’impasse et l’anxiété n’existent plus.

    Sans négliger le degré de préparation des gestes eux-mêmes : isolement, heure de rentrée prévisible de l’entourage, téléphone décroché, doses ingérées, personnes contactées, nous considérons qu’il n’existe pas de " p’tite TS. " contrairement à ce que certains parents ont voulu nous dire.

    Dans son rapport à soi ou à autrui, introduire l’hypothèse de sa propre mort provoquée et volontaire est pathologique quels que soient les doses, les scénarios et les moyens utilisés.

    La nature même de cette population, caractérisée par la plasticité et la rapidité de ses affects, ainsi que leur intensité impose une mobilisation rapide, une permissivité à propos des superlatifs et l’acceptation d’intolérances, rejets et de propos vifs d’usage très courants dans cette tranche d’age.

    Nous considérons que la sortie active du référentiel habituel familial et relationnel pour solliciter le système des soins d’urgence et les hôpitaux possède véritablement le statut d’une demande qui ne peut s’exprimer autrement.

    Ce propos est tout à fait central : il s’agit de l’emploi du verbe chez les suicidants et leur entourage : nous pensons que les jeunes ne peuvent mettre des mots, n’ont pas un stock suffisamment précis de verbes pour exprimer la complexité des sentiments et des ressentis qui les assaillent lors de la première phase de la séquence suicidaire. Les mots des maux n’existent pas où sont réduits à leur plus simple expression dans la phase de crise que traversent ces familles.

    Un autre aspect : il semble que l’intolérance aux conflits favorise les ruptures de communication et fasse office de discours dans nombre de situations.

    Les conditions de vie sociale doivent être considérées : la nécessité de la performance, l’importance de l’usage de la télévision et des prescriptions médicamenteuses, sont autant d’éléments qui convergent vers un appauvrissement de l’élaboration à propos des malaises voire des épisodes de détresse que nous connaissons tous.

    Il est un fait que la question a de moins en moins de place, surtout péjorative, désagréable voire douloureuse.

    En effet, dans plus de la moitié des familles suivies, nous avons retrouvé des antécédents familiaux de TS ou de suicide (connu ou inconnu du suicidant), ceci nous aide à caractériser des " familles à transaction suicidaire ". Tout se passe comme si : malaise, détresse et TS ne forment qu’un et sont entourés d’un halo douloureux qui rend ces questions encore plus taboues, il semble s’agir à cet endroit comme un trou du langage qui appartient à la communication de chaque famille donc participe très certainement à la transmission.

    Enfin, avant d’aborder le suicidant, il est important de garder présent à l’esprit que son geste correspond à une panne des mots, un sentiment d’isolement ; c’est pourquoi, l’attitude de neutralité classique doit être reconsidérée au profit d’un " aller vers… " sous peine de constater rapidement la réactivation d’un vécu d’isolement probablement proche de celui qu’il vient de vivre .

    Dans le moment où nous voyons les suicidants, la solution a fonctionné, leur préoccupation est de retourner au plus vite à leur quotidien voire d’oublier l’épisode actuel.

    5. Les entretiens

    " Je n’ai pas besoin de psy, je ne suis pas fou " se sont exprimés nombre de jeunes patients à juste titre lors de notre arrivée.

    Comme cette jeune Maman qui dès mon arrivée me questionna sur le jour de la semaine, et après ma réponse, mit 5 minutes à se lever, s’habiller et s’envoler après 36 heures de coma pour être à l’heure à la sortie de l’école, sans autre forme de procès ou de formalité administrative. Cela se passait au début de la recherche, elle y a grandement participé.

    Tranchant avec le calme du suicidant, les familles ont vécu éveillées : le Samu, les urgences, l’intubation, la réanimation, l’attente, le soulagement au réveil du coma ; elles sont dans une agitation anxieuse et déstabilisée.

    Dans la grande majorité des cas, ne pouvant accepter le fait suicidaire, la réaction spontanée à l’emporte-pièce est à la dénégation :

  • C’est un accident ;
  • Ce n’est pas grave ;
  • Il(elle) n’a pas voulu mourir ;
  • Ou à la banalisation :

  • Ça arrive ;
  • C’est de la faute de son (sa) petit(e) ami(e) ;
  • Ou des tentatives maladroites d’auto-culpabilsation :

  • Il faudrait que je rentre plus tôt ;
  • Ou que je m’en occupe plus.
  • Lorsque les familles se manifestent, certaines n’en ont pas le temps soit du fait de la brièveté du séjour à l’hôpital soit, plus surprenant, du fait de leurs occupations professionnelles, elles sont choquées, agitées, anxieuses, ce qui contraste avec l’état du suicidant.

    Il nous est apparu judicieux d’aborder le problème comme il se pose : avec les mêmes acteurs, ceux qui vivent sous le même toit, ce qui, dans un premier temps résoud toutes les hésitations en cas de famille recomposée.

    C’est ainsi que nous proposons aux familles qui se manifestent de venir pour un premier entretien familial le plus tôt possible après l’acte suicidaire.

    Sont réunis le suicidant et son entourage, nous avons toujours refusé de recevoir les petit(e)s ami(e)s malgré les demandes réitérées de certaines familles.

    Le calme du suicidant, véritable chef d’orchestre parfois, contraste avec l’agitation familiale. Nous procédons souvent par un recadrage rapide afin de situer l’entretien : par exemple en questionnant le patient " avez-vous vraiment voulu mourir ? ".

    Cette question permet entre autres de :

  • Qualifier le geste ;
  • Situer l’hypothèse N-1 ;
  • D’affirmer la volonté individuelle active du patient ;
  • De favoriser la position de chef d’orchestre en début d’entretien ;
  • À la famille d’écouter la réponse ;
  • De gêner les éventuelles tentatives de disqualifications du geste ;
  • de nous situer en tiers garant expert pour la suite de l’entretien ;
  • Il s’ensuit un travail précis et précautionneux, véritable initiation familiale sur les mots de sa détresse. Il n’est pas nécessaire de phase dite " d’affiliation et d’évaluation de la demande" ou plus précisément d’acceptation de ce lieu comme espace thérapeutique par les différents participants.

    L’émotion, entre le patient calme et ses proches anxieux va progressivement s’harmoniser. Ils vont pouvoir commencer à se parler, rassurés par notre présence et guidés par les directions que nous suggérons :

    . Le suicidant accepte dans un premier temps la tentative de ses proches de présenter son geste totalement hétérogène à leur contexte : " nous ne comprenons pas ", " nous ne savons pas ce qui est arrivé ", ainsi que les velléités " d’explications causales logiques extérieures " signalant de fait l’élément précipitant ou catalyseur du geste.

    Tout se passe comme si la TS. devait, dans le registre de la déculpabilisation du groupe, prendre un statut le plus hétérogène possible, étranger à la famille. Cet événement ne peut être que totalement isolé ; notre travail, en prenant soin de ne pas contredire ses intentions et en favorisant les exposés des autres difficultés, repositionne donc au cours de la première séance, la TS dans l’actualité des problèmes de la famille. Dans un deuxième temps, la même exploration va dans l’historique de cette famille, c’est ainsi, sans tracer le génogramme cher aux thérapeutes familiaux que nous découvrons, souvent en même temps que le suicidant les éventuels antécédents suicidaires familiaux présents dans près des deux tiers des cas.

    C’est ainsi que nous modifions la communication familiale spontanée de la troisième partie de la séquence suicidaire : l’après-TS. Véritable initiation, nous abordons avec la famille sécurisée et invitée par notre présence active à découvrir les mots de la détresse ; progressivement, celle-ci change de statut : synonyme d’isolement, elle s’oriente vers un partage. La gestion spontanée familiale propice à la récidive dans la banalisation dénégation désignation est transformée par la famille elle même en émotion partagée marquée par le dialogue et les discours sur et autour de la crise tant avec une résonance diachronique que synchronique.

     

    Ce premier entretien, consécutif à une TS., de thérapie brève de famille de suicidant procède par :

    - Une qualification du geste suicidaire de façon acceptable et sécurisante afin qu’il ne reste pas lettre morte ;

    - Une habilitation ou plus rarement une réhabilitation du langage comme véhicule d’émotions complexes au sein de la famille ;

  • Une perturbation de la séquence après TS de façon à gêner sa possibilité plus que probable de redondance.
  • Le premier entretien s’achève, correspondant au retour au domicile, aucune conclusion, aucun bilan n’est de mise, un rendez-vous est fixé dans quinze jours. Le plus souvent cet entretien précède la sortie de l’hôpital.

    L’ambiance de la famille est, au sortir de cette séance, plus apaisée, harmonisée. Ils ont pu initier un autre mode de communication à propos de leurs différents problèmes dans l’ici et maintenant de la séance en notre présence, en toute sécurité d’affects. La séance étant filmée, la trace ne leur appartient pas, la bande vidéo fait partie du dossier, est soumise au secret médical avons-nous eu soin de leur préciser au début de l’entretien.

    Tout se passe comme si la voie de la banalisation était bloquée ou changée, ainsi que celle de la culpabilité individuelle ou groupale. Les différents protagonistes ont pu expérimenter quelques principes systémiques de communication, ont perçu nombre d’interactions, ont abordé la complexité dans leur vécu familial.

    6. Les deuxième et le troisième entretiens

    Le taux d’absence est faible. Après deux semaines, les activités de chacun ont été reprises de longue date.

    La discussion reprend d’emblée, chaque participant a quelque chose à dire, comme si l’émotion partagée lors de la première séance avait permis à la parole de circuler. De toute évidence, l’aspect " en relation " des malaises des individus de la famille est admis ainsi que la résonance du groupe aux problèmes de chacun.

    Très souvent les sujets spontanément abordés, en relation avec ceux de la première séance, le sont d’une manière différente. Tout se passe comme si les deux semaines passées avaient permis à chacun de poursuivre sa réflexion. C’est ainsi que des tentatives de compréhension des mécanismes relationnels et de communication sont esquissées avec une volonté de faire constater aux autres la nouvelle ouverture de pensée.

    Cette séance est sous le signe de l’approfondissement de la réflexion : reprendre les interactions sur trois générations est fréquent, le génogramme s’avère souvent nécessaire, les uns et les autres commentant tour à tour les personnalités évoquées, apprenant de nombreux secrets de famille au passage, pouvant, en notre présence garante de l’obtention d’une réponse, poser des questions. Il est souvent incomplet à la fin de cette séance et peut parfois le rester même si nous prenons soin de l’afficher pour le dernier entretien.

    Le troisième entretien, un mois après le second, vient clore de fait notre travail et donc la séquence suicidaire comme il avait été convenu avec les familles dès le début du protocole.

    La phase aiguë est ancienne, les familles se montrent détendues, le taux d’absence est d’un tiers environ. La question de la suite à donner est importante et occupe un bon moment, il s’agit d’une décision commune à la famille en prenant compte de notre avis.

    Plusieurs possibilités se présentent :

  • Les familles arrêtent là toute prise en charge avec notre accord ; ils estiment avec nous que la crise est passée et avoir fait un travail suffisant ;
  • Nous leur préconisons la poursuite des entretiens familiaux en leur proposant des confrères thérapeutes familiaux, nous avons en effet constaté la présence de quelques difficultés relationnelles ;
  • Très souvent, au cours de entretiens est apparue la possibilité pour le suicidant et pour un autre membre d’entamer un prise en charge individuelle ; ce que nous favorisons, comme si plus au clair avec sa fonction relationnelle le patient désigné pouvait aborder sa propre personne.
  • Enfin, il est arrivé que nous proposions la poursuite de nos entretiens devant un trouble patent associé à l’idée que cette famille ne pourra s‘adresser à une autre équipe.
  • Cette dernière éventualité était plus rare, nous ne souhaitions pas, sous peine de risquer d’embouteiller notre dispositif d’urgence, entamer des thérapies au long cours.

    7. Enquête après une année :

    À l’occasion d’un travail de thèse, nous avons pris contact téléphoniquement avec 65 familles venues aux entretiens familiaux que nous avons comparé à une population témoin non convoqué à nos entretiens.

    Outre un nombre important de familles qui avaient déménagé au sein des deux sous population, variable impossible à corréler, plusieurs constatations s’imposèrent :

    - Très bon accueil téléphonique de cet interne qui venait prendre des nouvelles de la famille,

  • Absence de récidive dans le premier échantillon,
  • à la question : " quelqu’un d’entre vous a-il été hospitalisé cette année quelle que soit la cause ? " : les deux échantillons se différenciaient fortement : le premier échantillon n’ayant subi que très peu d’hospitalisation.
  • Ces résultats encourageants ont confirmé certaines de nos hypothèses : la pertinence du protocole TBFS, la possibilité de ces familles à transactions suicidaires d’utiliser le corps souffrant comme média pour les détresses qui ne peuvent se dire, enfin et c’est peut-être l’essentiel le protocole comme frein à la redondance de la séquence suicidaire.

    8. En conclusions :

    Au cours de ces années de recherche, nous avons pu approcher au plus près un phénomène fréquent, complexe, grave et préoccupant.

    Un premier aspect était de considérer la question de la tentative de suicide au plus près, comme elle se pose, en l’abordant dans son contexte, dans sa célérité, avec les protagonistes présents.

    La question était de tenter d’élaborer, mettre en place et expérimenter l’apport des thérapies systémiques dans cette indication..

    Devant l’échec logique des caractérisations de profil type de suicidant du fait du polymorphisme et de la répartition des passages à l’acte, nous avons tenté de déterminer certains points communs des familles à transaction suicidaire, ainsi qu’une méthodologie d’intervention.


    Dernière mise à jour : dimanche 29 octobre 2000 19:36:11

    Monique Thurin