Le deuxième point abordé permettra de constater quil existe des divergences dans la conception de lintervention en situation de crise. Nous présenterons trois modèles issus de lanalyse de différentes pratiques. Ces modèles conceptuels de lintervention en situation de crise varient en fonction des professionnels qui réalisent lintervention. Comme il existe des différences entre les intervenants professionnels et les intervenants paraprofessionnels, nous tenterons de distinguer les rôles de chacun et les champs dexpertise des uns et des autres, selon une approche deffets différentiels.
Troisièmement, nous aborderons un aspect essentiel permettant de désamorcer une situation de crise, cest-à-dire lévaluation du potentiel suicidaire. Cette évaluation savère une étape nécessaire afin de déterminer quel type dintervention durgence doit être mis en place. Cette méthode dévaluation du potentiel suicidaire devrait être connue de tous les intervenants auprès de personnes en phase de crise.
Quatrièmement, nous proposons des stratégies dintervention selon une séquence qui favorise lapprentissage ou lenseignement de cette approche.
On croit fréquemment quune crise se produit de manière spontanée. En fait, il est possible quun grand choc, comme un décès, précipite un état de crise. Cependant, de façon générale, il se produit une progression de létat déquilibre vers un état vulnérable, lequel culmine finalement à létat de crise. La reconnaissance de ces différentes étapes permettra de désamorcer (dans certains cas) la crise suicidaire avant le passage à lacte.
Généralement, lindividu manifeste un ensemble de réponses comportementales lorsquil est confronté aux événements stressants de la vie. Habituellement, ces réponses permettent de maintenir un état déquilibre. En effet, lorsquun événement vient rompre cet état déquilibre, par exemple un ou des changements majeurs survenant dans son milieu, lindividu cherche à retrouver léquilibre antérieur par la mise en place dun ensemble de stratégies et de mécanismes dadaptation. Cependant, la déstabilisation saccentue lorsquune personne affronte des obstacles importants ou lorsquun enchaînement dévénements négatifs se produit. Ainsi, la perte du travail peut induire la perte destime de soi ou encore la perte damis, empêchant la personne en crise de maintenir ou datteindre, pour un certain temps, cet état déquilibre ou de stabilité.
Lorsque lindividu perd ses capacités habituelles de faire face aux événements stressants, on dira quil se trouve dans un état de vulnérabilité. À cette étape, lindividu a épuisé son répertoire de réponses habituelles. Il ne parvient plus à évacuer une tension devenue trop intense au moyen des réponses quil connaît. Lindividu en état de vulnérabilité évalue sa situation de manière négative; ces sentiments contribuent daccroître la tension et celle-ci devient de plus en plus difficile à éliminer. Lépuisement des ressources cognitives peut provoquer une plongée dans le monde des émotions, émotions souvent négatives qui embrouillent de plus en plus sa perception de la réalité. Lindividu se dirige rapidement vers une phase de désorganisation et de confusion émotive (Kirk, 1993).
Létat de déséquilibre prend alors graduellement le dessus et la personne se retrouve en crise. À cette étape, si la personne arrive, par une recherche de solutions, à une résolution efficace du problème, léquilibre est retrouvé et la crise est évitée. Si, par ailleurs, la recherche de solutions savère infructueuse et/ou lorsque la personne est confrontée à des échecs répétés ou à un événement déclencheur supplémentaire, le stress et la tension continuent daugmenter et poussent la personne vers un état de crise. Il sagit dune période de désorganisation, de trouble et de stress importants pendant laquelle la personne tentera de trouver une solution acceptable permettant de diminuer le niveau de tension.
Létat de crise est une période de déséquilibre intense. Cette période se caractérise par trois grandes étapes : (1) une période de désorganisation qui culmine jusquà (2) une phase aiguë avant de se conclure par (3) une période de récupération. La phase aiguë peut se distinguer par un éventail de réactions qui varient en intensité, allant jusquau passage à lacte suicidaire. Remarquons quil est possible de vivre un état de crise sans vivre de passage à lacte. De plus, le passage à lacte ne se manifeste pas obligatoirement par une tentative de suicide, mais peut se traduire par une fugue, une crise dagressivité ou toute autre façon permettant déliminer momentanément le stress causé par une situation difficile. Cest au cours de cette période de phase aiguë que pourra survenir la tentative de suicide chez un individu vulnérable.
La période de crise et de trouble intense peut durer de 6 à 8 semaines (Messick et Aguilera, 1976). Cette période de déséquilibre est exigeante pour lindividu et ne peut être tolérée longtemps; une action structurante devient alors nécessaire. Lindividu adoptera, de façon consciente ou inconsciente, des solutions, adéquates ou non, pour retrouver un certain équilibre.
Le graphique suivant représente lévolution de létat psychologique dune personne en état de crise suicidaire. (manque graphique)
Les issues quant à la résolution de la crise peuvent varier. On peut parler dune résolution de la crise en termes dune résolution adéquate, dune résolution inadéquate, dun retour à léquilibre antérieur ou dune précipitation vers la crise suicidaire.
On parle de résolution adéquate lorsquil y a recadrage du problème de départ, que la crise se résorbe et quil y a apprentissage de nouvelles stratégies dadaptation. Toute crise peut représenter une occasion de croissance personnelle et constituer une valeur positive dans le développement dune personne. À la suite dune crise, lindividu peut fonctionner dune façon plus adaptée quil ne le faisait antérieurement puisquil se sera doté dune meilleure capacité dexpression de sa souffrance et de nouveaux mécanismes de maîtrise de soi.
Après la crise, lindividu peut retrouver le même niveau de fonctionnement que par le passé. Ici, la crise ne sest pas avérée une occasion dapprentissage et dintrospection personnelle. Il est probable que lindividu se soit donné des moyens pour tendre vers un équilibre en utilisant de meilleurs moyens de résolution de problèmes. Lintervention en situation de crise aura permis à moyen ou à long terme de résoudre les problèmes qui ont engendré la crise.
Dans ce cas-ci, lindividu adopte des stratégies qui lui permettent peut-être de réduire le degré de stress et danxiété à court terme, mais qui pourraient avoir, à long terme, des conséquences néfastes (ex. : lalcoolisme et la toxicomanie). Ces moyens constituent surtout des tentatives pour engourdir la douleur et lindividu risque de créer dautres difficultés qui devront être traitées ultérieurement. Dans ce contexte, il arrive fréquemment que lindividu demeure dans un état de vulnérabilité jusquà ce quun autre événement vienne le replonger en état de crise.
Le passage à lacte suicidaire nest pas en soi un diagnostic, mais un comportement qui caractérise le malaise vécu par une personne qui souffre, indépendamment de ses difficultés psychologiques. Il est important déviter de placer toutes les personnes en état de crise suicidaire dans la même catégorie diagnostique et ainsi doffrir un traitement unique et universel à toutes les personnes en crise. Le modèle de crise est un modèle conceptuel qui correspond à une période définie dans le temps et qui offre un appui théorique à une technique dintervention durgence. Ce modèle correspond à une période de désorganisation ciblée dans le temps, mais ne saurait se substituer à des modèles théoriques de la psychopathologie.
Cependant, la description dun individu en situation de crise telle que proposée par Caplan (1964) et Messick et Aguillera (1976) correspond bien à la situation dune personne qui vit une période de déséquilibre et qui peut éventuellement retrouver un état déquilibre avec le soutien approprié. Lévénement déclencheur de la crise est souvent de nature psychosociale : une perte, une rupture, ou une série dadversités. Un événement tragique entraîne souvent une cascade dévénements complexes qui rendront le maintien de léquilibre de plus en plus précaire. Dans un contexte comme celui-ci, lintervention sera axée sur le rétablissement de léquilibre, lexpression des émotions, la compréhension des événements qui ont mené à la crise, lapprentissage de nouvelles habiletés de résolution de problèmes et le recadrage cognitif.
Mais quen est-il des personnes psychologiquement vulnérables qui se retrouvent régulièrement en situation de crise? Le modèle de crise ne saurait être une explication étiologique de la pathologie, bien quune personne ayant des troubles de santé mentale puisse aussi être en crise. Lobservation clinique nous permet de constater que, lorsque des personnes ayant des antécédents de santé mentale déficiente ou de grande vulnérabilité psychologique vivent des situations difficiles, elles se retrouvent plus rapidement en état de crise. Lexplication vient probablement de ce que ces personnes nétaient pas en phase déquilibre lorsque les situations de stress sont apparues. Ces personnes vivent souvent dans un état de vulnérabilité continuel, et le moindre événement stressant peut les précipiter en situation de crise.
La littérature fait état de sous-groupes souvent bien distincts dindividus ayant des comportements suicidaires. Sans entrer dans une discussion clinique et épidémiologique des différents sous-groupes de personnes suicidaires (ce qui sera abordé plus loin), pour des fins denseignement et dintervention clinique, nous définirons deux grands sous-groupes. Premièrement, les personnes qui sont en crise suicidaire à la suite dune crise de nature psychosociale et, deuxièmement, les personnes adoptant des comportements suicidaires à la suite dune crise de nature plus intériorisée que nous qualifions de crise psychiatrique. En résumé, même si le modèle de crise décrit un processus de manière générique, diverses personnes vivront des crises suicidaires et lexpression de ces dernières pourra différer. Par conséquent, la nature de lintervention devrait varier en fonction du type de personne en crise.
On observe des divergences dans les styles dintervention en situation de crise que pratiquent les professionnels et dans ceux des paraprofessionnels qui interviennent dans des services alternatifs ou associatifs. Nous présenterons trois modèles issus de lanalyse des différentes pratiques.
Le premier modèle repose principalement sur le dépistage et lévaluation; le deuxième modèle, utilisé surtout par des intervenants paraprofessionnels, est centré sur la résolution de problèmes; enfin, le troisième modèle, qui retient le plus dintérêt, est le modèle convergent décrit par Aguilera (1995). Bien que ces modèles naient pas été spécifiquement conçus pour la crise suicidaire, nous en ferons une brève revue afin de dégager les différences possibles entre les pratiques et, ultérieurement, proposer les meilleures interventions susceptibles de désamorcer la crise suicidaire.
Ce type dintervention sinspire des modèles médicaux, bien que les principes de dépistage et dévaluation soient mis en application dans un contexte psychothérapeutique (Burgess et Baldwin, 1981). Le modèle de dépistage et dévaluation met dabord laccent sur lévaluation complète des difficultés, des tensions et des problèmes vécus par lindividu et, dans un deuxième temps, sur la proposition de traitements appropriés.
Le cadre structuré de lintervention en situation de crise qui découle de ce modèle est principalement sous la responsabilité dun clinicien. Ce dernier effectue une évaluation psychologique en profondeur des expériences passées de la personne, de son histoire familiale et sociale et de ses antécédents médicaux. À la suite de cette évaluation, la personne est orientée vers dautres ressources ou services communautaires afin dy recevoir le traitement approprié. Dans ce cadre, le rôle du clinicien qui reçoit la personne, généralement dans les salles durgence médicales ou psychiatriques, est de désigner et de coordonner des ressources et des services qui pourraient laider. Par conséquent, lévaluation du fonctionnement passé et présent de lindividu ainsi que lobtention de services adéquats pouvant faciliter la résolution de la crise actuelle sont les seules responsabilités du thérapeute appliquant le modèle de dépistage et dévaluation. Ce modèle de dépistage et dévaluation constitue donc une intervention de courte durée, limitée à une ou deux rencontres, ce qui restreint des possibilités dintervention plus élaborées.
En somme, selon Burgess et Baldwin (1981), cette forme dintervention de crise nest adéquate que pour certaines personnes en difficulté, dont celles souffrant de psychopathologie chronique ou récurrente. Ce modèle est plus adapté aux structures qui reçoivent les personnes en urgence et qui mettent en place des politiques limitant les services de crise à des activités dévaluation et dorientation.
Ce modèle a été élaboré dans les années 60 en réaction à une augmentation de la demande des services de santé mentale (Lecomte et Lefebvre, 1986). Depuis les années 70, ce sont généralement les paraprofessionnels uvrant dans des services alternatifs ou associatifs en santé mentale qui dispensent ce type de service. Le modèle de résolution de problèmes a été initialement considéré comme innovateur en favorisant le counselling par les pairs. Des personnes nayant pas dexpérience de psychothérapie reçoivent une formation en intervention en situation de crise afin dacquérir des habiletés pour pouvoir aider des pairs en difficulté. Cette formation de type humaniste met laccent sur lécoute active, létablissement dune relation chaleureuse avec la personne en état de crise et la diffusion dinformation pouvant aider cette personne à prendre des décisions. Lobjectif est de permettre à lindividu formé de posséder suffisamment de compétences pour pouvoir aider une personne en crise à définir et à évaluer les différentes solutions possibles pour résoudre son problème.
Dans les faits, ce modèle de résolution de problèmes se traduit par une intervention en situation de crise peu structurée, mais propice à linnovation pouvant avoir lieu non seulement en entretien face à face, mais aussi par téléphone, voire au moyen du réseau de communication Internet.Le nombre de séances dintervention varie selon les besoins de la personne. Ainsi, un plus long soutien peut être nécessaire pour les personnes qui éprouvent davantage de difficultés à faire face à un problème immédiat. En outre, lintervention se centre surtout sur le présent, quoique le futur soit envisagé pour certains aspects de la résolution de problèmes (Jacobson et Portuges, 1976).
Bien que ce modèle ait donné des résultats fructueux auprès de nombreuses personnes en difficulté, il a tout de même été lobjet de critiques (Lecomte et Lefebvre, 1986). Par exemple, le fait que le contenu et le nombre des séances ne soient pas clairement définis permet à certaines personnes de consulter à répétition, sur une longue durée et à haute fréquence, ce qui engendre létablissement dune certaine dépendance à cette forme de soutien. Cette situation peut favoriser la régression de la personne et lincapacité dacquérir de nouvelles habiletés de résolution de problèmes. Dun autre côté, Torop et Torop (1972) ont remarqué que les intervenants formés à cette méthode sont souvent jeunes et idéalistes quant à leur rôle auprès des personnes en difficulté, ce qui entraîne un surinvestissement des problématiques, une tendance à se faire manipuler par certaines personnes et, conséquemment, une possibilité accrue dépuisement " professionnel ".
Le modèle convergent trouve son origine dans les travaux de Caplan (1964), Messik et Aguilera (1976) et il a été repris par Aguilera (1995). Il fait actuellement figure dautorité pour lintervention en situation de crise et il est adopté autant par des professionnels que par des paraprofessionnels. Selon Aguilera (1995), la psychothérapie brève est le modèle précurseur de lintervention en situation de crise et elle poursuit comme objectif la résolution immédiate de la crise, et ce, en une à six séances.
Pas plus les événements que le stress ne suffisent à déclencher une crise. La personne entre en crise lorsque le stress, qui est induit par lévénement stressant, est perçu comme une menace. La crise survient lorsque la personne perçoit lévénement stressant comme une difficulté insurmontable dépassant ses ressources dadaptation. À cause du rôle central que joue la perception dans la crise, lintervention repose sur un modèle dorientation cognitive.
Aguilera (1995) propose un paradigme qui explique linfluence quont les événements stressants sur la déstabilisation de lindividu. Une crise serait provoquée plus ou moins directement par une perception déformée de lévénement et/ou par un manque de soutien adéquat, et/ou par labsence de mécanismes de maîtrise adéquats. Conséquemment, lintervention doit porter sur le ou les facteurs de déstabilisation. Lorsque la dimension cognitive est défaillante, la situation est perçue comme étant menaçante, dautant plus que lindividu en crise généralise les répercussions négatives sur les objectifs futurs. Par ailleurs, si lindividu souffre disolement social, il deviendra plus vulnérable au déséquilibre lorsque surviendra une perte ou une menace de perte.
Ce modèle sapplique bien aux crises suicidaires parce quil tient compte du sentiment dambivalence que peut avoir la personne suicidaire, de létat dimpulsivité souvent présent dans la composante suicidaire et de la rigidité cognitive qui ne lui permet plus dentrevoir de nouvelles solutions. Lintervention doit donc (1) permettre un rééquilibre émotif par lexpression de la souffrance et de la détresse, (2) favoriser une restructuration cognitive en proposant une perception plus réaliste de lévénement, (3) prendre en considération et mobiliser la composante de soutien social, (4) inciter lindividu à utiliser des mécanismes de maîtrise qui ont déjà fonctionné dans le passé, sinon (5) aider la personne à se doter de nouveaux mécanismes de maîtrise.
La théorisation de la crise varie selon quelle est abordée par des auteurs américains ou anglo-saxons, ou par des auteurs européens. Les premiers (Caplan, 1964; Langsley, Machotka et Flomenhaft, 1971; Marmar et Horowitz, 1988, et dautres) perçoivent la crise comme une période durant laquelle lindividu est submergé sur le plan émotif. À ce moment, il a une perception cognitive rigide et déformée de la réalité et il éprouve des difficultés à résoudre des problèmes. Lintervention porte sur les événements présents alors que les problèmes du passé sont peu ou pas abordés, à moins quils naient des liens directs avec les événements actuels. Lintervention vise la résolution actuelle de la crise et un retour à léquilibre.
Pour les auteurs européens (Andreoli, 1986; Ottino, 1999; Souris, 1988, et dautres), le lien entre les conflits passés et présents est plus étroit. La réactualisation des conflits sous-jacents demeure lobjectif thérapeutique et lintervention en situation de crise vise à offrir à la personne un espace de transition " dans lequel le sujet pourra élaborer ses conflits et structurer de nouveaux étayages " (Souris, 1988). Malgré ces différences de conception, un objectif commun pour tous les auteurs semble être la nécessité de mettre laccent sur une intervention intensive, rapide et précoce. Pour ce faire, lévaluation du potentiel suicidaire est nécessaire.
Lorsque des intentions suicidaires sont dépistées chez une personne en crise, il est nécessaire dévaluer la gravité de la crise avant détablir un plan dintervention.
Au cours de lévaluation du potentiel suicidaire, le clinicien sintéresse à lévaluation (a) du risque suicidaire (facteurs prédisposant à lapparition du geste), (b) de lurgence du passage à lacte (imminence de la conduite suicidaire), et (c) du danger entraîné par le scénario suicidaire (létalité du moyen).
Selon Pruett (1990), la clé dune évaluation adéquate se trouve dans la formation des intervenants. Ces derniers doivent être bien formés à la reconnaissance des facteurs de risque qui peuvent augmenter les intentions suicidaires. Ils doivent être en mesure de reconnaître les intentions suicidaires, de considérer les signes, les symptômes et les éléments du passé tels que les tentatives de suicide antérieures, ainsi que de discerner tous les éléments pouvant vraisemblablement influencer le processus suicidaire (ex. : labus dalcool, de drogues, de médicaments, les antécédents familiaux, les problèmes de santé mentale, etc.).
Les crises suicidaires, malgré quelles soient de durée limitée, peuvent être récurrentes. Les cliniciens qui évaluent régulièrement le potentiel suicidaire doivent être précis et rigoureux dans leur plan dintervention et dépasser les seules impressions cliniques, lesquelles peuvent savérer trompeuses dans le cas de certains patients. Dailleurs, une étude britannique récente (Appleby, Shaw, Amos, McDonnell et Harris, 1999) analysant 2 170 décès par suicide de personnes ayant eu des problèmes psychiatriques estime que 20 % de ces personnes avaient été en contact avec des services de santé mentale 24 heures avant leur décès et que 50 % dentre elles avaient été en contact avec des services de santé mentale la semaine précédant le décès. De plus, les professionnels de la santé mentale avaient évalué le risque de suicide comme étant absent ou faible dans 84 % des cas, modéré dans 13 % des cas et élevé dans seulement 2 % des cas. Ce qui pose la question de lefficacité de lévaluation. Est-ce que dans des milliers dautres situations lévaluation a été adéquate ou est-ce une indication de la difficulté quont les intervenants dévaluer le potentiel suicidaire?
Cette étape consiste à évaluer le degré de perturbation de lindividu afin de déterminer limminence et la dangerosité du geste suicidaire. Lévaluation du potentiel permet de cerner des pistes concrètes et directes dintervention. Dailleurs, nous verrons plus loin (question no 2) que lintervention à privilégier diffère si la personne est au début ou si elle est à la fin du processus suicidaire.
Lévaluation du potentiel suicidaire constitue la première étape de lintervention. Elle consiste essentiellement en la cueillette dinformation. Il sagit découter la personne suicidaire raconter sa trajectoire de vie avec toutes les pertes qui y sont rattachées. Ces informations permettent de définir le problème actuel et de déterminer lélément déclencheur de la crise ainsi que les autres éléments qui affectent les capacités de la personne de résoudre sa situation actuelle. Plusieurs instruments de mesure standardisés peuvent être utilisés. La discussion des qualités psychométriques dépasse le cadre de cette question; cependant, une liste dinstruments est présentée à lAnnexe I (Labelle et al., 2000).
La tâche pour les intervenants en situation de crise est lourde et exigeante. En effet, les intervenants doivent repousser léchéance du passage à lacte tout en concevant un plan de traitement, reconnaître les intentions de la personne en crise et discerner tous les éléments (tels que les abus dalcool, de drogue, de médicaments, les tentatives de suicide antérieures, les antécédents psychiatriques ainsi que les problèmes de santé mentale existant dans la famille) qui augmentent le risque suicidaire. Ce type dévaluation tente de déceler une comorbidité symptomatique, cest-à-dire quil cherche à établir la présence de plusieurs difficultés de santé mentale chez lindividu et/ou des problèmes de comportement qui peuvent produire des interférences au moment de lintervention. Lintervention est différente lorsquune personne suicidaire présente plusieurs pathologies, car le risque de suicide augmente (la démence et le retard mental constituent des exceptions).
De plus en plus détudes bien menées identifient des facteurs qui augmentent le risque soit de tentatives de suicide, soit de décès par suicide (Isometsä et al., 1994, 1996; Brent et Moritz, 1996; Shaffer et al., 1996, etc.). Ces facteurs sont nombreux et nous ne présenterons que les plus significatifs (Organisation mondiale de la santé, 2000). Nous insisterons ici sur les facteurs de risque de décès par suicide puisque dautres auteurs ont traité des facteurs de risque associés aux tentatives de suicide. Il sera principalement question dévaluer quelles personnes sont les plus à risque de décès par suicide.
Les facteurs individuels Antécédents suicidaires de lindividu Présence de problèmes de santé mentale (troubles affectifs, abus et dépendance à lalcool et aux drogues, troubles de personnalité, etc.) Pauvre estime de soi Tempérament et style cognitif de lindividu (impulsivité, rigidité de la pensée, colère, agressivité) Présence de troubles de santé physique (maladie, handicap, etc.)
Les facteurs familiaux Présence de violence, dabus physique, psychologique ou sexuel dans la vie de lindividu Existence dune relation conflictuelle entre les parents et lindividu Pertes et abandons précoces Problèmes de toxicomanie et dalcoolisme chez les parents de lindividu Négligence de la part des parents Présence de conflits conjugaux majeurs Comportements suicidaires de la part de lun ou des deux parents Problèmes de santé mentale chez lun ou chez les deux parents
Les facteurs psychosociaux Présence de difficultés économiques persistantes Isolement social et affectif de lindividu Séparation et perte récente de liens importants, deuil Placement dans un foyer daccueil, en institution ou dans un centre de détention, traitement discriminatoire Difficultés académiques ou professionnelles Effet de contagion (à la suite du suicide dun proche, endeuillé à la suite dun suicide) Difficulté avec la loi Présence de problèmes dintégration sociale |
En outre, les facteurs de risque peuvent être repérés à tout âge. Lorsquils sont reconnus, ils savèrent des outils précieux pour aider les intervenants à évaluer le potentiel suicidaire.
Pour des fins cliniques, le risque peut sévaluer selon quil est faible, moyen ou élevé. Cette évaluation, associée à celle de lurgence et de la dangerosité, permettra à lintervenant dinstaurer une intervention appropriée.
Pour déterminer les priorités de lintervention, il convient de procéder assez rapidement à lévaluation de lurgence, cest-à-dire à lévaluation de la probabilité et de limminence dun passage à lacte. Lidentification de ces éléments permet de situer la personne dans le processus suicidaire et de définir les priorités de lintervention (Séguin et al., 1999).
Il importe aussi de reconnaître lévénement déclencheur qui est à lorigine de la crise suicidaire. Cet événement est habituellement assez récent. Il peut paraître anodin ou insuffisant pour déclencher un passage à lacte ou, au contraire, il peut savérer très grave. Cet événement, qui suscite la crise ou provoque le passage à lacte, nest souvent que la goutte qui fait déborder le vase ou le dernier en liste dune longue série de pertes affectives ou dévénements traumatisants. Il faut donc considérer lensemble de la situation et évaluer lensemble des pertes récentes qui ont touché la personne en crise suicidaire (voir le tableau plus bas).
Au cours de cette évaluation, lintervenant doit nécessairement prendre en considération la létalité du scénario en questionnant la personne suicidaire sur ses intentions et sur les moyens quelle pense utiliser au moment du passage à lacte. Lintervenant doit évaluer adéquatement lélaboration du scénario suicidaire. Les questions directes quant au scénario suicidaire (où, quand, comment) peuvent sembler embarrassantes à poser. Elles peuvent mettre lintervenant dans la gêne, parce quil nest pas concevable, dans notre culture, doser aborder directement de telles questions. Il faut donc aller au-delà de lindisposition que ces questions peuvent susciter et se rappeler quelles peuvent être réconfortantes et apaisantes pour une personne qui songe à se suicider. Aborder le sujet directement permet à la personne suicidaire dêtre considérée dans ce quelle vit actuellement et dans son désir de mourir. La personne suicidaire interprète les questions directes de lintervenant comme une compréhension de sa souffrance.
Lorsque les questions sont précises, les réponses ont également plus de chances dêtre précises. Les réponses de la personne suicidaire permettent à lintervenant de mieux apprécier la situation et de mieux évaluer lurgence et la dangerosité du passage à lacte; lintervention nen sera alors que plus appropriée. Il est clair que lintervention sera différente dans le cas dune personne qui nous dit avoir lintention de se suicider le soir même, avec les moyens qui se trouvent à sa disposition (armes à feu, médicaments, monoxyde de carbone, etc.), comparativement à lintervention nécessaire pour une personne qui dit penser vaguement au suicide, mais qui ne songe à aucun scénario précis.
Si laccessibilité directe aux moyens ne pose pas dentrave à la réalisation de son projet, cest-à-dire si lindividu a facilement accès à des armes à feu, à des médicaments ou à tout autre moyen de mettre fin à ses jours, il faut alors considérer que la dangerosité est extrême et agir en conséquence. Plus loin, nous aborderons la réduction de laccès aux moyens suicidaires et les techniques dintervention en urgence suicidaire.
Une personne est généralement considérée en urgence faible lorsquelle :
Une personne est considérée en urgence moyenne si :
Une personne est considérée en urgence élevée si : |
Au cours de lévaluation du potentiel suicidaire, le clinicien sintéresse à lévaluation (a) du risque suicidaire (facteurs prédisposant à lapparition du geste), (b) de lurgence du passage à lacte (imminence de la conduite suicidaire), (c) du danger entraîné par le scénario suicidaire (létalité du moyen). Pour des fins cliniques, cette triple évaluation peut sétablir sur une échelle à trois niveaux : faible, moyen ou élevé. Ainsi, une personne pourra être à risque faible, en urgence élevée et le scénario suicidaire pourra être de létalité élevée. Ou alors une autre personne pourra être à risque élevé, en urgence faible et le scénario suicidaire pourra être de létalité faible. Cette évaluation permettra de mieux évaluer le type dintervention à mettre en place et permettra aux intervenants d'adopter un vocabulaire commun.
Les objectifs spécifiques en vue de désamorcer une crise suicidaire sont de :
(1) repousser léchéance du passage à lacte;
(2) soutenir la personne suicidaire pendant la phase aiguë de la crise;
(3) transmettre à cette personne le sentiment quavec de laide elle pourra sen sortir.
Il sagit, dans un premier temps, de désamorcer la crise, puis dintervenir selon les causes sous-jacentes qui lont engendrée. Les principes dont nous discuterons ici sont ceux auxquels nous faisons appel au moment dune intervention en situation de crise suicidaire, donc différents de ceux qui guident nos interventions au cours dune psychothérapie. Lintervention en phase de crise est généralement immédiate et directive puisquelle intervient à un moment ou lindividu suicidaire est (1) ambivalent, (2) impulsif et (3) fait preuve de rigidité cognitive. Il ne sagit pas de rechercher la neutralité thérapeutique, mais bien de créer un lien qui permettra à la personne suicidaire de se sentir comprise et validée dans sa souffrance. Ce type dintervention peut se pratiquer soit dans un entretien face à face (dans un bureau, au domicile de la personne suicidaire ou dans tout autre lieu où se trouve la personne en crise), soit au téléphone, et maintenant de plus en plus sur Internet (pour plus dinformation sur la prévention du suicide par courriel, voir Wilson et Lester, 1998). À notre connaissance, aucune évaluation de lefficacité des interventions sur Internet na été publiée jusquà maintenant.
Lintervention en situation de crise se pratique en phase de vulnérabilité ou en phase aiguë de la crise et elle est centrée sur lévénement vécu par lindividu au moment de lintervention. Lorsque la crise se dissipe, la personne peut alors réévaluer sa situation, souvent de façon différente, et ainsi considérer quil existe dautres options acceptables et satisfaisantes. Lintervention en phase de crise aura permis à lindividu suicidaire de poser graduellement quelques jalons dun mieux-être afin de poursuivre son cheminement. À la suite de lintervention en situation de crise, il sera nécessaire dorienter la personne suicidaire vers un professionnel de la santé mentale. Ce professionnel peut alors poursuivre, avec la personne suicidaire, un travail sur le plan de lorganisation de la personnalité, dans un objectif à plus long terme.
Ayant à lesprit une préoccupation denseignement, la séquence dintervention présentée ci-dessous est proposée comme schéma possible dintervention en situation de crise suicidaire. Cette séquence est souvent plus conceptuelle que pratique et devra être adaptée à des situations variées.
Il semble assez clair que lintervention en situation de crise peut être appliquée avec succès par des intervenants tant professionnels que paraprofessionnels (voir la deuxième section de la Question 1). Cependant, des nuances doivent être faites quant aux rôles professionnels de chacun, entre la place de la prise en charge que peuvent réaliser des intervenants paraprofessionneles et la place de la prise en charge qui incombe aux professionnels, afin de bien établir qui peut intervenir pour désamorcer une crise suicidaire, auprès de quelles clientèles et dans quel contexte.
Le modèle convergent, décrit par Aguilera (1995), peut être enseigné aux intervenants intéressés à uvrer en situation de crise suicidaire. Cet enseignement destiné à tous les intervenants au sens large permettra délargir le filet social de sécurité et de faire en sorte que plusieurs intervenants adéquatement formés et supervisés sauront comment agir au cours dune situation de crise suicidaire, indépendamment de lendroit où surviennent ces crises. Comme les crises suicidaires ne sont pas prévisibles, elles peuvent émerger dans tous les milieux, à toute heure, et il devient nécessaire davoir des intervenants bien formés à la technique dintervention en situation de crise dans presque tous les milieux (hôpitaux, écoles, centres jeunesse, etc.). La dimension de la formation, dans ses modalités tant techniques quorganisationnelles, est une question primordiale qui sera abordée un peu plus loin. Bien que lintervention de crise puisse être utilisée par les intervenants professionnels et par les intervenants paraprofessionnels, il nen demeure pas moins que les objectifs dintervention pourront différer en fonction de lun ou lautre de ces intervenants.
Les intervenants paraprofessionnels qui uvrent dans des organismes associatifs pourraient avoir des actions plus ciblées. Lintervention à légard des personnes qui vivent une crise de nature psychosociale doit être centrée sur lexpression de la souffrance, la restructuration cognitive et lélaboration de stratégies de résolution de problèmes, et elle peut être assurée par des intervenants paraprofessionnels bien formés et pouvant compter sur une supervision clinique. Cependant, avec les personnes en crise psychiatrique, lintervention des paraprofessionnels devrait viser la réduction de la tension et prévoir une orientation vers des professionnels de la santé mentale.
Quant aux intervenants professionnels, leur action devrait être plus étendue et viser la formation et la supervision dintervenants, de même que létablissement de meilleures pratiques thérapeutiques en fonction des sous-groupes de personnes en crise suicidaire. Ces aspects seront élaborés à la question suivante.
(1) Létablissement dun lien de confiance entre un ou des intervenants et la personne suicidaire
Cette dimension relève beaucoup des compétences individuelles de chaque intervenant. La capacité daccueil et douverture à lautre, la capacité dempathie à légard de la personne suicidaire et du projet de suicide, la capacité quaura lintervenant de se lier à une personne agressive plutôt que de réagir de manière défensive, et la capacité de mettre en mots ce que vivent les personnes désespérées et silencieuses feront toute la différence au moment de lintervention en phase de crise.
Létablissement dun lien de confiance exige lacceptation du comportement suicidaire. Cela ne veut pas dire quil faut cautionner le geste suicidaire, bien au contraire, mais plutôt accepter quun individu souffre au point de vouloir se suicider.
Lintervenant peut prendre position en disant à la personne suicidaire quil ne souhaite pas quelle se suicide et quil fera tout en son pouvoir pour quelle ne passe pas à lacte. Toute la nuance réside entre un bon contact et un contact autoritaire. Un bon contact suppose que la personne suicidaire aura confiance en lintervenant avec qui elle est en rapport et quelle saura que lintervenant fera preuve de respect, de compréhension et de franchise à son égard ainsi que de précision quant à laide quil pourra lui apporter. Une attitude moralisatrice ou des jugements de valeur sont à éviter. Le respect mutuel est à la base dun lien thérapeutique fort. De nombreux auteurs considèrent ce lien comme lun des éléments nécessaires à la réussite de lintervention (Aguilera, 1995; Grayson et Cauley, 1989; Muehlebach, Gognalons, Abensur et Andreoli, 1993; Souris, 1988). La souplesse dans lintervention est recommandée. Lintervenant peut servir de personne-ressource ou jouer un rôle de conseiller, mais il faut nécessairement que sétablisse une relation de confiance entre les deux parties (Muehlebach, Gognalons, Abensur et Andreoli, 1993).
Dire, raconter, exprimer la souffrance et la douleur constitue la première étape. Cette ouverture permet à la personne suicidaire lexpression démotions trop souvent réprimées. Cette étape dexpression de la douleur oblige la personne suicidaire à clarifier, ordonner et mettre dans une séquence temporelle les différents événements qui se sont produits. Ce processus lui permet aussi de mettre de lordre dans les émotions associées aux événements douloureux quelle vit. Cette étape donne également à lintervenant loccasion de mieux comprendre et dévaluer la situation de la personne suicidaire.
Cette " écoute " est dynamique, active et participante. Les émotions sont reçues pour ce quelles sont. Lintervenant parle du suicide pour comprendre, évaluer et signifier à la personne sa compréhension de la situation. De plus, parler du suicide nous en apprend beaucoup sur les motivations qui poussent une personne à vouloir mourir, sur les intentions qui se cachent derrière son comportement et sur les gains secondaires possibles quelle recherche. Enfin, en permettant que sexprime la partie en elle qui " veut " vivre, on en apprend beaucoup sur ses ressources. Le point central de lintervention est la verbalisation, la mise en mots de ce que la personne vit et la reconnaissance de sa souffrance. Cette expression des émotions permet une résolution progressive de la crise.
Il est important découter sans porter de jugements de valeur. Une attitude moralisatrice peut gêner la communication et amener la personne suicidaire à se sentir évaluée dans ses efforts de sen sortir ou à croire que lon doute de la validité ou de lauthenticité de sa souffrance. Il sagit avant tout de reconnaître la douleur et la souffrance et ainsi de se positionner comme témoin de la souffrance de lautre.
(2) Lévaluation rapide et efficace du risque et de lurgence suicidaire et de la dangerosité du scénario suicidaire. Lévaluation doit être immédiate afin damorcer une intervention durgence.
Lorsque la personne suicidaire est en crise, elle peut être en proie à une panique intense et vivre de grands moments dangoisse. Il se peut quelle veuille réduire son malaise rapidement. Elle est généralement empressée dobtenir de laide et, par le fait même, très motivée à recevoir du soutien afin de résoudre son problème et ainsi régler la situation. Lintervention doit être immédiate parce que lurgence dagir est souvent présente. Il est important de saisir la demande daide lorsquelle est exprimée, car lambivalence du geste suicidaire peut permettre une résolution de la crise.
Lefficacité de lintervention dépend grandement de lévaluation du problème et, conséquemment, de lhabileté quaura lintervenant à poser des questions précises dans un cadre respectueux et emphatique (sans que lentretien prenne la forme dun interrogatoire).
Le meilleur moyen détablir un bon contact avec une personne suicidaire est daborder directement le sujet. Cette manière directe a souvent pour effet de susciter un immense soulagement de la part de la personne suicidaire. Il arrive fréquemment que la personne en détresse laisse des messages obscurs ou indirects à son entourage quant à ce quelle vit, précisément parce quelle a peur de la réaction que ses intentions suicidaires provoqueraient si elle en parlait ouvertement. Le fait de pouvoir confier sans crainte ses intentions à quelquun qui na pas peur daborder le sujet et qui comprend permet à la personne suicidaire de considérer son comportement sous un autre jour. Cest un contrepoids à lisolement et à la solitude.
(3) Lévaluation du facteur précipitant. Ce dernier sest habituellement produit quelques semaines avant la crise et peut se traduire par un ou plusieurs événements ayant engendré une réaction en chaîne. Cet événement déclencheur peut aussi bien faire partie de la sphère sociale que de la vie intrapsychique de lindividu. Toutefois, il peut être difficile à reconnaître pour lintervenant, puisque la personne elle-même est parfois inconsciente de la nature des éléments qui ont précipité sa crise. Or, il importe de bien le cerner afin dévaluer le type de crise : de nature psychosociale ou de nature psychiatrique.
Il est important de comprendre ce qui amène la personne à vouloir mourir et de mettre laccent sur la crise actuelle, sur ce qui se passe au moment présent et sur lévénement déclencheur plutôt que sur lhistoire de vie. Lintervenant doit aider la personne suicidaire à définir la séquence dévénements qui a conduit à la crise suicidaire actuelle.
Ici, lintervenant amorce un début de restructuration cognitive. En identifiant les éléments qui font difficulté, lintervenant identifie aussi les éléments positifs (sil en existe), permettant ainsi une restructuration cognitive passant de " tout va mal " à " certaines choses vont mal ". Si la crise est de nature psychiatrique, il convient de structurer la personne en réduisant la tension et de lorienter vers une prise en charge psychologique.
(4) Encourager lexploration et lexpression des émotions afin de diminuer le sentiment de détresse
Lintervenant devrait maintenant avoir une bonne idée de la situation et des facteurs déclencheurs. À cette étape, il doit permettre à la personne dexprimer ses sentiments quant à ce quelle vit. Il faut adopter une attitude dacceptation, de soutien et de non-jugement envers celle-ci afin quelle puisse laisser libre cours à ses émotions. Par lexpression des émotions, lintervenant peut valider la détresse de la personne suicidaire; ce faisant, il crée un lien avec la personne qui souffre puisquil se positionne comme témoin à la souffrance de lautre. En agissant de la sorte, lintervenant brise lisolement dans lequel se situe la personne suicidaire. Ainsi, puisque la personne se sent alors un peu mieux comprise, un peu moins seule, sa propre souffrance pourra maintenant lui apparaître humainement supportable. Seulement à ce moment-là pourra-t-elle envisager dentreprendre dautres actions.
(5) La formulation de la crise. À cette étape, lintervenant tente dexpliquer de façon compréhensible sa perception de ce qui arrive à la personne qui le consulte. Cette formulation porte sur lidentification et la signification des facteurs précipitants et sur les mécanismes dadaptation disponibles, ainsi que sur lexploration de ce qui pourrait être entrepris pour mettre en place de nouveaux mécanismes. Lintervenant élabore une stratégie daction quil suggère à la personne sous la forme dune entente pour les prochaines consultations et il propose de nouvelles solutions à la crise.
Lorsque cela est possible, il importe que la personne et lintervenant collaborent à la recherche de solutions pouvant répondre adéquatement à la situation problématique ayant engendré la crise. À cette étape, il importe aussi dexplorer les conséquences et les émotions engendrées par chacune des solutions trouvées. Lassistance de lintervenant est la plupart du temps requise dans la définition et la conceptualisation de nouvelles stratégies dadaptation mieux ajustées aux situations problématiques actuelles.
Il est essentiel de susciter lengagement de la personne en crise suicidaire dans un processus de résolution de problèmes. La personne doit avoir un rôle actif dans la recherche et la mise en uvre de solutions adéquates. Ce rôle de recherche de solutions permet à la personne suicidaire de reprendre confiance en elle-même, confiance quelle avait perdue. Si la personne suicidaire nest pas partie prenante de la recherche de solutions, les options qui lui seront suggérées risquent de ne pas lui sembler valables.
Après une première étape axée sur lévaluation du potentiel suicidaire et sur létablissement dun lien de confiance, une période daction doit suivre : la personne suicidaire est invitée à poser des gestes, explorer des solutions et rencontrer les personnes ressources appropriées, en fonction de la situation vécue. Selon certains auteurs, lintervention doit dépasser lécoute passive et déboucher sur des mouvements concrets afin de maximiser leffet thérapeutique.
La personne suicidaire doute de la possibilité de sen sortir. Il est donc nécessaire de raviver cet espoir en lui transmettant la certitude quil existe une solution autre que le suicide et quelle possède les ressources pour surmonter ses difficultés. Il importe de faire ressortir les aspects positifs et les forces de cette personne afin quelle puisse reprendre confiance en elle-même et entrevoir une issue positive. Si lintervenant perçoit en lautre des attitudes et des aptitudes positives, il y a de fortes chances quil puisse influencer et aider la personne et son environnement à le percevoir ainsi, favorisant par le fait même un rapprochement entre la personne et son réseau social.
Au cours de lélaboration du plan dintervention, lintervenant devra peut-être devenir plus directif. Cette directivité nest pas un obstacle à lexpression des émotions ou au maintien du lien de confiance. Lintervenant doit trouver le bon équilibre entre faire preuve de respect et être directif. Le respect nexclut pas la directivité dans le cas où la personne qui est en crise ne sait plus quoi faire, où aller, par quoi commencer, surtout si elle est dans une situation où lurgence suicidaire est élevée.
La personne en crise doit sentir que cette forme " dautorité " montre à quel point on tient à elle et quil ne sagit pas dune confrontation ou dune négation de son pouvoir, ce à quoi elle pourrait être réfractaire. Il sagit plutôt dêtre franc et honnête avec cette personne en lui disant ce quon a lintention de faire ou dentreprendre, puis de lui demander son accord.
Il est important, dans toute forme de contact avec une personne suicidaire, de respecter les limites de cette personne et les nôtres, et de ne rien exiger qui soit en dehors du pouvoir de cette personne ou du nôtre. La directivité ne saurait être quà court terme. Il ne sagit pas de sapproprier le pouvoir décisionnel de lautre et de faire des choix de vie à sa place. Il sagit plutôt de répondre le plus adéquatement possible à une situation durgence temporaire.
(6) Briser lisolement, soutenir la famille et les proches, et mettre en place des structures de protection auprès de la personne suicidaire
Lintervention de crise doit avoir pour but de briser lisolement dans lequel se confine souvent une personne suicidaire, et délargir son réseau social. Dans tout processus de résolution de crise, il importe de bien reconnaître les ressources disponibles afin de pouvoir les mobiliser et les mettre à contribution lorsque nécessaire. La mobilisation du réseau peut savérer efficace pour désamorcer une crise aiguë.
Lentourage immédiat peut constituer une ressource daide primordiale. Que ce soit la famille, les amis, les collègues de travail, toutes ces personnes peuvent représenter une source de soutien pour la personne suicidaire. Lintervenant peut aider cette personne à désigner les membres de son entourage qui sont en mesure de la soutenir et de lui offrir une forme daccompagnement. Cependant, il est possible que les membres de lentourage soient trop épuisés ou quils manquent de ressources pour aider davantage la personne en crise. Il faudra alors mobiliser le réseau secondaire.
Lintervenant doit donc connaître les différentes orientations disponibles afin de pouvoir offrir à la personne suicidaire de réelles solutions de rechange et être en mesure délaborer un plan dintervention réaliste. Lélaboration de ce plan doit tenir compte de la validité des options auprès de la personne suicidaire.
Offrir des solutions de rechange valables consiste à :
(1) établir et préciser avec la personne suicidaire des démarches qui permettront de diminuer le niveau de tension ou de malaise;
(2) rechercher des orientations adéquates et accessibles qui correspondent aux besoins de la personne suicidaire;
(3) planifier des démarches simples et réalistes que la personne peut entreprendre et dont elle peut rendre compte;
(4) accompagner et soutenir la personne suicidaire pour quelle évite des échecs difficiles (Morissette, 1984).
Ces options doivent être en relation directe avec les besoins immédiats de la personne suicidaire et favoriser, à court terme, un mieux-être et une diminution de la souffrance, en plus de stimuler une reprise du sentiment de contrôle sur sa propre vie.
(7) Arrêt du processus autodestructeur et établissement dententes avec la personne suicidaire afin dassurer un suivi, du moins à court ou à moyen terme
Il est souvent bénéfique détablir une entente claire entre lintervenant et la personne suicidaire. Cet accord, qui lie la personne à lintervenant, doit viser à modifier concrètement la situation et peut constituer une entente de non-suicide ou un report de léchéance du passage à lacte suicidaire. Durant cette " période daccalmie ", la personne dispose de temps pour réaliser les démarches prévues et cheminer graduellement vers une résolution positive de la crise.
Les démarches prévues doivent être claires et précises, et elles ne doivent pas submerger les ressources de la personne suicidaire. Un suivi doit également être planifié dans un bref délai, souvent en moins de 24 heures, et un numéro durgence (accessible 24 heures par jour) doit aussi être remis à la personne suicidaire.
(8) Laprès-crise
Peu de temps après une crise aiguë, il est possible dobserver une légère amélioration. Au même moment, il est fréquent de voir les membres de lentourage et les intervenants se démobiliser. Il est normal de vouloir reprendre son souffle et de chercher à laisser à la personne suicidaire un répit, un moment dintimité, etc. Cependant, si la personne suicidaire vient de retrouver un peu son souffle, elle demeure tout de même dans un état vulnérable. Cette personne a le sentiment davoir encore beaucoup de chemin à parcourir pour retrouver léquilibre antérieur et un bien-être réel, et ce sentiment peut la plonger dans un profond découragement.
La période qui suit une crise suicidaire est considérée comme une période à risque de récidive. Il importe donc de mettre en place des mécanismes qui amènent de vrais changements ou qui donne lespoir dune amélioration réelle. Certaines solutions définies pendant la crise peuvent malgré tout savérer inefficaces et lon devra en trouver de nouvelles. Les liens de soutien établis au moment de la crise permettent de garder le contact et de continuer à offrir un appui durant la transition vers une prise en charge psychologique.
Après avoir décrit les éléments de base de lintervention de crise avec une personne suicidaire, force nous est de constater que ces quelques principes directeurs sont incomplets.
Une personne suicidaire est souvent une personne désespérée qui ne croit plus à un possible changement. Cette personne a souvent limpression davoir tout essayé, sans succès, et que la seule échappatoire à sa souffrance constitue le suicide. Le fait de parler ouvertement du suicide avec une personne suicidaire permet de lui transmettre le sentiment quelle nest plus seule et quil existe des moyens de laider. On donne aussi lespoir en présentant à la personne suicidaire une solution autre que le suicide. Il importe démettre la conviction quil existe dautres issues, dautres recours que le suicide pour arrêter la souffrance, la rendre tolérable et régler la situation. Cette discussion permet souvent délargir le champ cognitif de cette personne, lui laissant entrevoir dautres solutions valables pour elle.
Transmettre lespoir équivaut à mettre la personne en contact avec quelque chose de significatif pour elle, qui soit autre que la mort, comme lui permettre de prendre conscience de ses qualités, de ses intérêts, de sa valeur ou de celle dautres personnes de son entourage. Être en mesure de véhiculer lespoir de façon sincère et intègre est une des plus grandes qualités que peut avoir un intervenant de crise.
Dans certaines occasions, nos interventions seront efficaces alors que, dans dautres cas, ces mêmes interventions se verront rejeter par la personne suicidaire. Quelquefois, les meilleures interventions et les meilleurs intervenants narriveront pas à désamorcer la crise suicidaire. Il est donc nécessaire que lintervenant puisse compter sur des ressources de soutien, de supervision et déchange. Ne pas travailler seul évite que ne sinstallent linsécurité et lépuisement que pourrait entraîner une intervention en solitaire. La problématique suicidaire est souvent très complexe et exige différents types dinterventions quune personne seule ne peut accomplir : interventions médicales, thérapie, intervention en situation de crise, intervention auprès de la famille, etc. La personne suicidaire peut également être en crise à toute heure et avoir besoin de soutien plus dune fois par jour. Il serait illusoire de croire quun seul intervenant puisse être efficace à tous ces niveaux dintervention. Il est aussi plus facile de se rendre disponible et présent à tour de rôle pour intervenir auprès de la personne suicidaire, puisque lintervention est souvent exigeante pendant la phase aiguë de la crise. En se relayant de la sorte, un suivi et une présence pendant et après la crise sont assurés.
Il est difficile de décrire dans toute sa complexité la réalité du rapport qui sétablit entre un intervenant et un individu suicidaire au moment dune intervention durgence. Les principes directeurs ne peuvent être que des généralités et ne tiennent pas compte des habiletés individuelles que chacun dentre nous avons développées au cours de nos expériences et de nos apprentissages. Il est aussi impossible de tenir compte des particularités de chaque situation et de chaque crise suicidaire.
Toutefois, ces quelques principes constituent des éléments de réponse sur lesquels il est possible de sappuyer au moment dune intervention auprès de personnes en détresse suicidaire. Ils ne remettent pas en question les interventions efficaces queffectuent ou quont effectué les intervenants. Ces principes peuvent, nous lespérons, servir de guide à lexpérience pratique.
Comment désamorcer une crise suicidaire avant la phase aiguë ou le passage à lacte?
Recommandations Malgré un modèle générique de la crise qui suit une progression allant dun état déquilibre à un état de vulnérabilité, puis à un état de crise, toutes les crises suicidaires ne se ressemblent pas pour autant. Lintervenant devra distinguer entre les crises de nature psychosociale et celles de nature psychiatrique afin détablir un plan dintervention adéquat pour chaque personne. Il semble assez clair que lintervention en situation de crise peut être appliquée avec succès tant par des intervenants professionnels que par des intervenants paraprofessionnels. Le modèle convergent décrit par Aguilera (1995) peut être enseigné aux intervenants intéressés à uvrer en situation de crise suicidaire. Bien que lintervention en phase de crise puisse être utilisée par les intervenants professionnels et par les intervenants paraprofessionnels, il nen demeure pas moins que les objectifs dintervention pourront être différents en fonction du professionnel qui interviendra. Les intervenants paraprofessionnels qui uvrent dans des organismes associatifs devraient agir de façon plus ciblée. Leur intervention auprès des personnes qui vivent une crise de nature psychosociale devrait être centrée sur lexpression de la souffrance, une restructuration cognitive et lélaboration de stratégies de résolution de problèmes efficaces à court terme. Avec les personnes en crise psychiatrique, leurs intervention devrait viser la réduction de la tension , et une orientation vers des professionnels de la santé mentale. |
Comment définir la place de la prise en charge psychologique dans un sens large (intervention clinique, encadrement et supervision) alors que de plus en plus dintervenants paraprofessionnels, ayant une formation spécifique et une supervision adéquate, peuvent intervenir au moment de la crise? Lintervention psychologique effectuée par un professionnel de la santé mentale doit donc prendre place à deux niveaux :
(1) En élaborant et en définissant de meilleures pratiques en fonction des différents sous-groupes de personnes en crise suicidaire (incluant lélaboration et la mise en place dapproches novatrices spécifiques pour les personnes suicidaires qui font des récidives).
(2) En assumant lencadrement, le soutien et la supervision clinique des interventions de crise.
Il existe un éventail important de modalités dintervention en phase de crise. Ces modalités sétendent sur une gradient dinterventions de courte durée allant jusquà des interventions de longue durée. Ces interventions varient en durée et en intensité; il peut sagir dune intervention unique, quelle soit faite au téléphone ou réalisée face à face, ou de quelques rencontres dintervention, cest-à-dire entre deux et six sessions, et parfois même dinterventions structurées de psychothérapies pouvant se poursuivre pendant plusieurs mois. Actuellement, lattention des chercheurs et des cliniciens se porte sur lidentification dapproches différentielles afin de définir quel type dintervention savère le plus approprié pour quel sous-groupe particulier de personnes suicidaires. Certaines études ont tenté dévaluer les interventions en situation de crise quant à leur efficacité et quant à la satisfaction des personnes qui ont reçu les services. Nous présentons les conclusions de ces études.
Deux études ont mesuré lefficacité du traitement à court terme. Dans le cadre des interventions en situation de crise, on croit habituellement que la personne en crise vit une détresse émotionnelle intense, que ses efforts pour venir à bout de la situation sont inefficaces et quelle est intéressée à recevoir de laide. Des études ont été entreprises afin de vérifier chacun de ces présupposés. Halpern (1973, 1975) a comparé 89 personnes en crise à 89 autres qui ne létaient pas, mais qui consultaient un thérapeute pour dautres difficultés. En comparant les deux groupes, létude a révélé que les personnes en crise se sentaient davantage impuissantes, anxieuses, bouleversées et confuses en plus déprouver des doutes démesurés à propos de leurs habiletés à faire face efficacement à des situations sociales. Halpern a également constaté que les individus en crise étaient moins défensifs et quils étaient plus ouverts à accepter laide proposée.
Une étude a tenté de vérifier si une intervention brève au moment dune crise satisfaisait aux besoins des patients. La recherche de Endler, Edwars et Kowalchuck (1983) a permis dinterroger 58 patients non hospitalisés de lUnité dintervention de crise de lHôpital Général de Toronto Est (Crisis Intervention Unit at Toronto East General Hospital). Brièvement, les conclusions de cette étude ont démontré que lintervention en phase de crise satisfaisait aux besoins des patients ayant des traits danxiété peu développés. Toutefois, en ce qui a trait aux personnes en crise qui possèdent de forts traits danxiété, il est préférable dadjoindre un traitement thérapeutique à plus long terme à lintervention en situation de crise. Il ressort de ces deux études que lintervention en phase de crise peut représenter un traitement acceptable pour les personnes déconcertées par lémergence dune difficulté soudaine. Cependant, pour les patients aux prises avec des problèmes chroniques, loffre additionnelle dune intervention à moyen et à long terme est recommandée.
Plusieurs recherches ont porté sur lévaluation de la satisfaction des clients à la suite des interventions. Ainsi, une étude menée dans des centres de crise de Washington a évalué, six à douze mois suivant lintervention en situation de crise, lopinion de 104 clients qui avaient fait lobjet dune seule séance dintervention. Les résultats révèlent que 80 % des clients ont noté que lintervention à laquelle ils ont eu recours a été utile, voire très utile, et que 85 % des répondants ont qualifié le contact avec lintervenant comme ayant été très positif. De plus, sur une échelle en cinq points, un étant le score le plus bas et cinq le score le plus élevé, la moyenne autorapportée damélioration du bien-être du client se situait à quatre points (Getz, Fujita et Allen, 1975).
Une étude effectuée parmi une population étudiante en Alabama rapporte que, sur 66 appels téléphoniques, 76 % des gens qui ont bénéficié de ce service qualifiaient laide reçue defficace (King, 1977).
Un autre suivi effectué auprès de 109 clients du Centre de crise du comté dHennepin à Minneapolis (Hennepin County Crisis Intervention Center in Minneapolis) indique que 79 % des clients étaient satisfaits ou très satisfaits du service fourni (Stelmachers, Lund et Meade, 1972).
Le Centre de crise de San Antonio (Crisis Center of San Antonio) a procédé à un suivi auprès de 142 clients qui avaient téléphoné en situation de crise. Les résultats de leur enquête démontrent que 96 % dentre eux ont évalué lassistance reçue comme ayant été utile ou très utile et que 98 % ont estimé que lintervenant les avait bien compris dans leur situation respective (Preston, Schoenfeld et Adams, 1975).
Le Service de référence et de counselling par téléphone dAustin, au Texas (Telephone Counselling and Referral Service), a effectué un suivi similaire auprès de 74 clients quelques jours après les appels. Les résultats de lenquête révèlent que 80 % des répondants ont trouvé laide offerte utile et que tous ont noté une diminution significative de leur perception de la sévérité de leurs problèmes durant les jours suivant lintervention. Selon eux, ce changement résultait soit des bienfaits de lappel (43 %), soit de laction entreprise (26 %), soit du passage du temps (23 %) ou de lassistance dune autre personne (7 %) (Slaikeu et Willis, 1978).
Hornblow et Sloane (1980) ont interviewé 214 individus qui avaient récemment fait appel au service téléphonique dun centre de crise. Les chercheurs en sont arrivés à la conclusion que, pour 63 % des appels, les intervenants avaient identifié correctement au moins une ou deux des émotions intenses vécues par les appelants.
Gingerich et al. (1988) ont téléphoné à 171 clients dun service de crise, sept à quatorze jours suivant leur appel. Lintervention a été jugée utile par 91 % dentre eux. Afin dévaluer la qualité de laide reçue et ses différentes composantes, Gingerich et ses collaborateurs ont évalué laide apportée sur une échelle en quatre points : pauvre, moyen, bon ou excellent. Ainsi, en comptabilisant les catégories qualifiées de bonnes et dexcellentes, les résultats démontrent que 96 % des appelants y ont classé les capacités découte de lintervenant entre bon et excellent, 94 % en vertu de son intérêt en ce qui concerne leurs problèmes, 86 % sur lexactitude de linformation transmise et 87 % sur le caractère compréhensif de lintervenant. Le suivi a également dévoilé que, pour 55 % des clients, le problème pour lequel ils avaient fait appel a été perçu, à la suite de lintervention en phase de crise, comme étant moins sévère, tandis que 36 % dentre eux ont affirmé que lintervention navait rien changé.
Létude de Kirk, Stanley et Brown (1988) a évalué 32 patients externes dune unité dintervention en situation de crise située dans un hôpital en Australie. Cette recherche a mesuré le stress vécu avant et après le contact initial, en plus de vérifier si les patients avaient ensuite appliqué le plan dintervention élaboré avec le thérapeute. Les résultats démontrent que 93 % des patients ont mis ce plan en pratique. Lenquête a révélé que le stress ne diminuait de façon appréciable à la suite de lintervention que lorsque lintervenant avait réussi à saisir exactement les besoins de la personne en crise.
Une autre étude dirigée par Young (1989) au centre de crise Lafayette, en Indiana, a analysé les appels effectués auprès de 80 clients immédiatement après quils aient eu recours au service téléphonique dintervention en situation de crise. Le bilan de lenquête révèle que 96 % des clients ont rapporté des changements positifs à la suite de lintervention. En résumé, en compilant les résultats de neuf études regroupant 992 clients, il ressort que 83 % de ceux-ci ont évalué lintervention de crise comme ayant été secourable. De plus, parmi les établissements de crise qui ont décidé davoir recours à une évaluation de leurs services, la plupart ont obtenu un jugement defficacité de la part des usagers quant aux interventions effectuées. Le niveau de tension semble diminuer uniquement lorsque lintervenant réussit à nommer exactement les difficultés et la souffrance de la personne en crise. Par ailleurs, ces études ne permettent pas de se prononcer sur le maintien à long terme du mieux-être exprimé par les personnes en crise.
Selon Linehan (1999), deux stratégies dintervention sont possibles avec les personnes ayant des comportements suicidaires. La première stratégie dintervention tient pour acquis que le comportement suicidaire est un symptôme qui se manifeste à la suite dun problème de santé mentale. Dans cette perspective, le traitement vise donc à traiter la maladie mentale, en supposant que, lorsque le problème de santé mentale est traité, les comportements suicidaires diminuent. Cette approche est sous-entendue par la plupart des approches psychodynamiques et biologiques.
La deuxième stratégie vise la réduction des comportements suicidaires. Les approches comportementales ou cognitives abordent directement, avec la personne, les comportements suicidaires actuels ou passés. Ces approches présupposent que les comportements suicidaires (idéations suicidaires, tentatives de suicide et décès par suicide) peuvent être réduits indépendamment des désordres que vit la personne. Cette approche est sous-entendue en intervention en situation de crise.
Selon Linehan (1999), le suicide et les tentatives de suicides ne sont pas des réponses inévitables à la dépression et au sentiment dimpuissance. Ainsi, le traitement sera plus efficace sil cible en premier lieu les comportements adoptés par lindividu confronté à des événements dadversité, plutôt que la psychopathologie en elle-même.
Plusieurs études ont tenté de définir quelles approches seront les plus efficaces auprès de quels sous-groupes de personnes suicidaires. Ainsi, Linehan suggère quil faut faire la distinction entre les personnes (1) qui font des tentatives de suicide avec intention de mourir, (2) celles qui font des tentatives de suicide ambivalentes (ambivalent suicide attempt), (3) celles qui ont des comportements dautomutilation sans intention de mourir, et (4) celles qui font des tentatives de suicide récurrentes.
Lévaluation des meilleures pratiques cliniques constitue un champs de recherche récent et, actuellement, aucun consensus némerge de ces études. Bien que la description des traitements et des contextes thérapeutiques soit abondante dans la littérature, il existe peu détudes qui évaluent ou démontrent lefficacité de traitements dans la réduction des comportements suicidaires.
Dans une revue de littérature sur lefficacité des traitements qui visent la réduction des récidives suicidaires, Linehan (1999) a analysé diverses études quil a réparties en deux grands groupes. Premièrement, il a considéré les études qui ont pour principal but de traiter la dépression. Les résultats suggèrent que les quelques études comparatives ne démontrent pas dévidences claires confirmant la supériorité dun traitement pharmacologique seul.
Parmi les études portant sur les interventions de traitement psychothérapeutique à long terme, treize études randomisées ont été réparties en deux groupes : (1) six études excluant les personnes à risque élevé de suicide et (2) sept études incluant les personnes à risque élevé de suicide ainsi que les personnes qui font des récidives suicidaires. Lanalyse de ces études suggère que, lorsque les traitements excluent les individus à risque élevé de suicide (particulièrement les personnes ayant un diagnostic de troubles de personnalité de type borderline), les résultats des six premières études démontrent quil ny a aucune différence importante entre le traitement expérimental (psychothérapie) et le traitement habituel (hospitalier). Sur les sept études qui incluent les individus à risque élevé, six dentre elles démontrent des résultats bénéfiques en ce qui a trait au traitement psychothérapeutique.
Les traitements qui semblent avoir le plus defficacité sont ceux qui utilisent une approche comportementale de résolution de problèmes ou la thérapie comportementale dialectique élaborée par Linehan (1991). La thérapie comportementale dialectique permet aux personnes suicidaires de participer à la fois à des sessions de thérapie hebdomadaire et à un groupe de soutien qui vise laugmentation des habiletés sociales en plus de pouvoir établir des contacts téléphoniques avec un thérapeute, au besoin. Cette thérapie dure un an.
Une méta-analyse effectuée par Van der Sande et ses collègues (1997) a recensé quinze études avec groupes de comparaison dont les participants étaient répartis au hasard. Ces études sont divisées en quatre catégories danalyse :
Par contre, dans une méta-analyse récente, Hawton et ses collaborateurs (1998) concluent que, même si plusieurs études démontrent une efficacité auprès des patients suicidaires qui font des récidives, les résultats ne sont pas concluants quant à la forme daide la plus efficace pour les patients étant les plus à risque pour eux-mêmes.
Linehan (1997) soutient que lapprentissage qui vise laugmentation des compétences de résolution de problèmes peut être une piste prometteuse auprès des personnes qui font des tentatives de suicide. Il semble par ailleurs que ces résultats laissent supposer que les modes dintervention doivent être différents en fonction des sous-groupes de personnes suicidaires. Selon Linehan (1997), les personnes suicidaires qui nont pas de désordre sévère actuel ou qui ne sont pas à risque élevé peuvent bénéficier dinterventions moins soutenues. Il mentionne que la politique dhospitalisation de ces patients nest pas nécessaire, alors quun traitement intensif serait nécessaire lorsque lindividu est sérieusement en détresse ou à risque élevé de suicide. En conclusion, il semble préférable, par souci defficacité, de disposer de traitements différents qui pourront donner de meilleurs résultats en fonction des différents sous-groupes de personnes suicidaires, plutôt que dun seul traitement universel appliqué à toute personne suicidaire. Cependant, dautres approches doivent être élaborées et évaluées afin de pouvoir offrir un éventail de services appropriés pour toutes les personnes suicidaires.
Afin dêtre en mesure de désamorcer une crise suicidaire, les intervenants doivent être bien formés et doivent faire lobjet dune supervision adéquate. Ce rôle peut être attribué aux intervenants professionnels qui font la prise en charge suicidaire.
Dans les études présentées précédemment, il semble que la variable la plus importante de lefficacité de lintervention se résume au sentiment de satisfaction éprouvé par le client qui a été compris de lintervenant. Lefficacité des techniques dintervention en situation de crise repose sur la manière dont lintervenant les utilisent. Par conséquent, pour que lintervention soit efficace, lintervenant doit utiliser ces méthodes de façon satisfaisante. Plusieurs études ont évalué la performance des intervenants en situation de crise.
Genther (1974) a conduit une étude auprès de dix services téléphoniques de crise en Nouvelle-Angleterre. Il a démontré, à laide dappels simulés, quinterrompre le client pour lui poser des questions non pertinentes, le placer en attente au milieu dune discussion critique ou lui donner de nombreux conseils sont des pratiques qui nuisent à lintervention de crise.
Dans le même ordre didées, Davies (1982) a identifié huit comportements ayant un effet néfaste. Les principaux sont les suivants : procéder à une intervention en moins dune minute, donner un faux réconfort, poser des questions hors propos ou non pertinentes, parler sans cesse, prodiguer nombre de conseils peu appropriés et discuter des sentiments du client en dernier lieu plutôt que de concentrer toute son attention sur ce dernier tout au long de lintervention. Ces comportements constituent des obstacles au bon déroulement de toute intervention en situation de crise.
Knickerbocker et Knickerbocker (1972) et McGee (1973) ont analysé, au Suicide and Crisis Intervention Service de Gainesville, en Floride, 92 enregistrements dinteraction entre intervenant et client. Cette étude a établi une corrélation positive entre la démonstration dhabiletés dentraide de la part de lintervenant et une diminution du niveau danxiété et de dépression pour le client. En dautres mots, les intervenants qui possédaient des qualités dempathie, dauthenticité et de cordialité avaient plus de facilité à amener les clients à définir leurs sentiments et leurs difficultés. Ainsi, pour ces appelants, les sentiments danxiété et de dépression diminuaient davantage que pour ceux qui interagissaient avec des intervenants moins habiles. Ces résultats ont été en grande partie appuyés par les études de Bleach et Claiborn (1974) ainsi que par celles de Carothers et Inslee (1974).
Doyle, Foreman et Wales (1977) ont évalué lefficacité de douze nouveaux intervenants du Centre de crise de lUniversité de Cincinnati. Ils ont observé que les intervenants soumis à une supervision méticuleuse démontraient davantage dempathie envers les clients que les intervenants qui navaient pas ce type de supervision. Ce qui nous amène à nous demander si lefficacité des intervenants est liée aux talents naturels ou aux éléments appris au cours dune formation. Les études suivantes apporteront une réponse à cette interrogation.
Létude de Lester (1970), menée au Suicide Prevention and Crisis Service de Buffalo, et évaluant lefficacité des intervenants, démontre que ceux-ci ont fait preuve dun seuil minimal dempathie et dauthenticité envers les clients. Une évaluation similaire a été effectuée auprès de treize stagiaires au moment de leur première supervision et les résultats indiquent que leurs niveaux dempathie, de considération et dauthenticité natteignaient pas les seuils nécessaires pour quune intervention soit efficace.
ODonnel et George (1977) ont évalué le rôle joué au Centre communautaire de santé mentale et de service durgence de Dekalb, en Illinois (Community Mental Health Center Emergency Service), par dix intervenants professionnels en intervention en situation de crise par téléphone, par dix nouveaux intervenants formés à cette approche et par dix collégiens non formés (bénévoles). Lefficacité du travail des professionnels et du groupe de bénévoles ne différait pas de façon significative en ce qui a trait à létablissement de relations harmonieuses avec les clients, à lengagement du client dans sa résolution de problèmes et à lutilisation des ressources communautaires. De plus, les intervenants des trois groupes ont démontré une même facilité à faire preuve dempathie et dauthenticité, certains ayant même dépassé le niveau minimal daptitudes.
De leur côté, Elkins et Cohen (1982) ont mesuré les habiletés dintervention en situation de crise avant et après les 55 heures de la formation offerte aux intervenants du Phone/Baton Rouge Crisis Intervention Center. Les résultats ont dévoilé une hausse importante des qualifications requises par lintervention en situation de crise à la suite de la formation.
Thomas (1983) a recueilli des données sur les compétences dintervenants bénévoles du Volunteer Supportive Advocate Program of Erie County avant et après leur formation et il les a ensuite comparées à celles du groupe contrôle formé détudiants universitaires à leurs débuts en psychologie. Tout dabord, spécifions quavant et après la formation les 22 intervenants bénévoles ont démontré plus de compétences en counselling que les 20 étudiants du groupe contrôle. Les intervenants bénévoles ont aussi fait preuve de plus grandes habiletés dintervention à la suite de la formation, tandis que les habiletés du groupe contrôle nont pas changé durant la même période.
Frauenfelder et Frauenfelder (1984) ont comparé les habiletés à soutenir la personne en crise et à utiliser des techniques de reflet de deux groupes, lun composé de 17 intervenants bénévoles et lautre formant un groupe contrôle de 28 étudiants inscrits à un cours dintroduction à la psychologie. Les intervenants ont reçu une formation et on a relevé une mesure pré- et postformation de leurs compétences. Les résultats indiquent que les intervenants bénévoles ont démontré une plus grande habileté dintervention à la suite de la formation.
Mishara et Daigle (1992) ont évalué les appels reçus dans deux centres de prévention du suicide du Québec. Les résultats indiquent que la réponse des intervenants se situait dans deux champs principaux : lacceptation et linvestigation. Ils ont aussi observé que les personnes suicidaires se sentaient mieux après leur appel et que 27 % présentaient moins de risque de suicide à la fin de celui-ci.
Selon Leenaars (1994), les clients perturbés ou particulièrement vulnérables nécessitent, de la part du clinicien, non seulement une attention empathique, mais aussi une directivité et une attitude proactive. Les intervenants bien formés et expérimentés :
En somme, les recherches précédentes mettent en évidence quune formation adéquate ainsi quune supervision des nouveaux intervenants constituent des conditions préalables à lefficacité de loffre de services dintervention en phase de crise.
De manière générale, il semble que les habiletés progressent et augmentent avec la formation et la supervision plus quavec la seule expérience (Elkins et Cohen, 1982; Frauenfelder et Frauenfelder, 1984; Sakowitz et Hirschman, 1975).
Par conséquent, la formation des intervenants, la supervision et le suivi postformation constituent des éléments pivots de lefficacité de lintervention. Sans une formation adéquate et une supervision régulière, et éventuellement une organisation des services de crise et des suivis de crise, les efforts déployés par les intervenants seront à eux seuls insuffisants.
Il semble donc que tous les intervenants puissent pratiquer lintervention en phase de crise, au sens large. Il devient alors nécessaire dassurer une qualité dintervention et une efficacité de lévaluation du potentiel suicidaire. Cette qualité passe par la formation et la supervision clinique, lesquelles devraient être effectuées par des professionnels de la santé mentale. Il sera indispensable dassurer une formation de qualité et de mettre en place des moyens de supervision et de suivi à la formation. La supervision en question permettra de maintenir les acquis, puisque tous les intervenants nauront pas nécessairement à mettre en pratique ce type dapproche régulièrement. Un suivi permettant létablissement de nouvelles formations plus spécifiques (ex. : adolescents suicidaires, deuil après un suicide, etc.) peut savérer un excellent moyen de maintenir des interventions de qualités de la part dintervenants tant professionnels que paraprofessionnels. La nécessité daccréditation de la formation pourrait rapidement devenir un enjeu important, puisque lexpérience nous apprends que plusieurs personnes et groupes peuvent avoir la prétention dassumer une formation en intervention en situation de crise. Un manque de vigilance pourrait avoir comme conséquence que toutes les formations naient pas le même niveau de qualité.
Quelle est la place de la prise en charge psychologique? Recommandations
Les professionnels de la santé mentale devraient : Il est nécessaire dassurer une qualité dintervention et une qualité de lévaluation du potentiel suicidaire. Cette qualité passe par la formation et la supervision clinique, lesquelles devraient être effectuées par des professionnels de la santé mentale. La supervision clinique à la suite dune formation en intervention en phase de crise suicidaire permettrait de maintenir les acquis, puisque tous les intervenants nauraient pas nécessairement à mettre régulièrement ce type dapproche en pratique. La mise en place de formations spécifiques plus spécialisées (ex. : auprès de personnes endeuillées à la suite dun suicide, etc.) peut savérer un excellent moyen pour maintenir des interventions de qualité de la part des intervenants tant professionnels que paraprofessionnels. La nécessité daccréditation de la formation pourrait rapidement devenir un enjeu important.
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Dernière mise à jour : dimanche 29 octobre 2000 19:36:11 Monique Thurin