Les acteurs
sociaux
Le
déploiement de la psychiatrie vers le champ de la santé mentale
se fera avec les acteurs sociaux
Ce
thème est complexe et il ne se trouve que peu d’exemple dans le
monde d’un développement harmonieux, global et
complémentaire entre les équipes et les structures sanitaires
d’une part et les équipes et structures médico-sociales et
sociales d’autre part.
L’immense
volet social en santé mentale part de la nécessité
d’apprendre ou réapprendre aux personnes souffrant de troubles
mentaux les moyens devant leur assurer un fonctionnement et une participation
à la vie en société, en passant par des services en matière
de logement pour y vivre, pour aller vers des services de réinsertion
professionnelle et de soutien à et dans l’emploi.
Cela
suppose des mécanismes de suivi et de soutien, légers mais
efficaces, des politiques sociales publiques claires, bref ce devrait
être l’objet d’un rapport complémentaire. C’est
à ce niveau que la nécessité d’harmonisation des
cartes sanitaires, sociales, scolaires et judiciaires est la plus grande. Les
circonscriptions sociales (où travaillent la majorité des 30 000
travailleurs sociaux employés par les Conseils Généraux)
ne correspondent en rien, par exemple, aux secteurs psychiatriques.
Cependant
nous avons vu, à Birmingham et en France, des centres de soin parfaitement
intégrés dans des lieux sociaux. Le travail de
l’équipe soignante anglaise est, par ailleurs, grandement facilité
par un système de logements sociaux conséquent et performant.
En
Suède le programme
général de transfert de charges et de financement entre le
secteur sanitaire et le secteur social se heurte à de nombreuses
difficultés et réticences de part et d’autre, sauf du
côté des usagers qui semblent y trouver leur compte dans une
autonomie retrouvée.
En
Italie, à Trieste
essentiellement mais dans d’autres régions également (il faut ici rappeler que la plupart des
hôpitaux psychiatriques ont été fermés plus de 20
ans après la Loi 180 et que l’ensemble des psychiatres italiens
ont décidé, il y a prés de 2 ans, de ne jamais revenir sur
cette loi), les structures de soin sont implantées dans la
communauté. Les structures de d’insertion professionnelle, sociale
et culturelle, les célèbres coopératives, ont
été créées par le secteur sanitaire qui les
gère en partenariat avec les acteurs sociaux.
Au
Québec le
« communautaire » n’a qu’une part minoritaire
du financement global de la santé mentale et les professionnels du
sanitaire développent, depuis quelques années, des actions et
structures sur le terrain de façon rarement coordonnée avec les
acteurs sociaux.
Les droits de l'homme comprennent le droit au logement pour tous. Dans le cas de personnes hospitalisées pendant de nombreuses années l’insertion, le retour dans la communauté, est extrêmement difficile et doit être progressif et accompagné.
Le travail des professionnels de la santé mentale, les soins dans la communauté, peuvent être envisagés (avec la collaboration, dans certains cas, des associations d’usagers et des familles) selon le découpage classique de prévention primaire, secondaire et tertiaire qui correspond aux trois étages d’un travail de collaboration interactive entre les champs sanitaires, médico-sociaux et sociaux.
§ Prévention primaire
C’est-à-dire un travail en groupes de sensibilisation et d’information pour la sensibilisation auprès du grand public, des divers partenaires et la lutte contre la stigmatisation :
ü auprès des généralistes, des pharmaciens, des infirmiers libéraux,
ü auprès des travailleurs sociaux,
ü auprès des associations d’usagers et des familles,
ü auprès des médecins scolaires,
ü auprès des médecins du travail…
ü auprès des municipalités et des élus locaux,
ü auprès des media,
§ Prévention secondaire.
Auprès des interlocuteurs professionnels pour la mise en place de dispositifs de repérage précoce des troubles afin d’orienter ou d’essayer de prendre en charge sans trop attendre, (réseaux ville-hôpital associés à un paiement spécifique pour les médecins généralistes, interventions de soutien dans les structures médico-sociales et sociales…), de tenter de prévenir les rechutes.
§ Prévention tertiaire.
Il s’agit là de réduire les conséquences péjoratives de la maladie, d’éviter les pertes d’emploi pour cause de trouble psychique ou maladie avérée et de contribuer au retour des personnes à la plus grande autonomie possible.
La tendance est à l’élargissement des possibilités d’accès aux soins et c’est un bien. Mais, si l’on permet ces entrées diversifiées, il faut également se soucier des portes de sortie du dispositif de soin sinon l’engorgement des filières est assuré et l’objectif de retour (ou de maintien de) dans la cité pour les usagers ne sera jamais atteint.
Le problème particulier de l’accès aux soins des personnes en situation d’exclusion fait partie de la prévention secondaire et tertiaire et pose, en ce qui concerne sa mise en œuvre, le problème de la coordination et de la mobilité des équipes de secteurs qui doivent impérativement se déplacer dans les lieux et les structures sociales qui sont en première ligne.
Signalons que certains responsables de secteur psychiatrique refusent de considérer l’accès aux soins des personnes en situation précaire comme faisant partie de leur mission de service public de psychiatrie.
L’inscription de ces personnes dans des programmes de soins ne doit pas rompre les liens préexistant avec les équipes sociales car cela ne ferait que déplacer l’exclusion du champ social au champ sanitaire. Il ne faut pas psychiatriser la précarité. Il serait peut-être de bonne stratégie sociale que de s’enquérir de possibilités de logement et de ressources pour ces personnes et de voir ensuite ce que deviendraient les troubles psychiques plutôt que soigner en première intention.
§ Peut-on véritablement espérer travailler au soin et à l’insertion des usagers de la santé mentale en les écartant plus ou moins ouvertement des dispositifs de droit commun en ce qui concerne l’accès au logement, au travail, à la culture ?
§ Peut-on véritablement espérer travailler au soin et à l’insertion des usagers de la santé mentale sans le concours effectif (pour l’accès au logement, au travail, à la culture…) des municipalités, des Conseils Généraux, de la DGAS, de la DGEFP ? Quels liens entre ceux-ci et les ARH ? Quelle répartition des compétences Etat/Conseils Généraux dans le cadre de la décentralisation ?
§ Peut-on véritablement espérer travailler au soin et à l’insertion des usagers de la santé mentale sans une révision de la séparation des financements du sanitaire et du social, sans une mise en synergie des actions sanitaires et sociales ? Mais il faut souligner que les synergies souhaitables se heurtent souvent à l’opposition entre d’une part l’organisation départementale (par les Conseils généraux) pour le social et le médico-social et d’autre part l’organisation régionale de la psychiatrie (par les SROS et les ARH).
§ Peut-on véritablement espérer travailler au soin et à l’insertion des usagers de la santé mentale sans une révision des procédures de l’AGEFIP ? Et pourtant l’on sait l’importance de l’accès au travail pour la reconstruction identitaire. Mais, comme le souligne avec force la FNAP-Psy : « Travailler coûte cher aux défavorisés ! » Il faut cependant remarquer que l’AGEFIP semble, depuis peu, prendre conscience de ce problème.
§ Peut-on véritablement espérer travailler au soin et à l’insertion des usagers de la santé mentale quand il faut, dans certains départements, parfois plus d’un an et demi pour que la COTOREP rende ses décisions ? La question doit être toujours rappelée du forfait hospitalier qui, chez des personnes démunies, peut se transformer en un système redoutable contre le retour en milieu ordinaire quand elles perdent leur logement et que les équipes de psychiatrie ne travaillent pas en réseau avec le champ social.
§ Peut-on véritablement espérer travailler au soin et à l’insertion des usagers de la santé mentale quand même les circuits de travail protégés (CAT et Ateliers Protégés) sont, pour la plupart, inaccessibles à ces usagers précisément ? Faut-il « spécialiser » les CAT à travers les projets d’établissement et en informer les COTOREP ? Il y aura bientôt 100 000 places en CAT, dépendant de la DGAS. Les Ateliers Protégés (20 000 places) dépendant quant à eux de la DGEFP, quant aux entreprises d’insertion elles relèvent plus du Secrétariat d’Etat à l’économie solidaire… . Le paradoxe est frappant et signifiant : certains personnes adoptent une véritable stratégie d’évitement du milieu protégé car il n’est pas possible d’en sortir (1 à 2% par an seulement) !
§ Peut-on véritablement espérer travailler au soin et à l’insertion des usagers de la santé mentale sans poser la question de la Classification internationale des Handicaps, point d’appui du guide barème des CDES et des COTOREP, qui renvoie à la distinction problématique entre handicap mental et maladie mentale ?
§ Peut-on véritablement espérer travailler au soin et à l’insertion des usagers de la santé mentale sans réformer les CROSS qui sont clivés entre une section sanitaire et une section sociale ?
§ Peut-on véritablement espérer travailler au soin et à l’insertion des usagers de la santé mentale sans revoir la possibilité pour les établissements de santé de créer et de gérer seuls des institutions médico-sociales ?
Tous les acteurs sociaux sont concernés. La société ne se limite pas à ses représentants nationaux. Il y a les élus locaux, départementaux et régionaux, et également les membres des structures privées, qui oeuvrent dans les champs sociaux et médico-sociaux et qui sont, pour la majorité d’entre eux, financés par des fonds publics.
Pour tout cela il faudrait en finir avec la confusion ancestrale qui
irrigue (ou assèche ?) la psychiatrie publique et qui lui fait
croire qu’elle est toujours seule en charge, comme aux temps asilaires,
en même temps du soin et de la totalité de la prise en charge
sociale des personnes qui s’adressent à elle.
Dans la perspective évolutive actuelle des soins en
santé mentale elle est bien incapable de continuer à assumer
cette double responsabilité. Il faut qu’elle se recentre sur sa
mission de soins et insiste sur le partage collégial des missions car
elle est trop souvent repliée sur ses chapelles théoriques et ses
« vérités », qui ne seraient pas partageables.
Cette problématique se retrouve à l'identique dans le
social et le médico-social.
Le travail en réseau doit renforcer le lien social et non pas,
comme certains le craignent, le contrôle social.
suite
Dernière mise à jour : jeudi 6 septembre 2001 17:11:34 Dr Jean-Michel Thurin |