Dans ces établissements l’offre de soin en santé
mentale devrait être mieux intégrée à ceux existant
ou prévus pour le système MCO. Pourquoi faudrait-il absolument
que les lieux de consultations soient séparés, dans des locaux
différents, (nous avons connaissance d’équipes d’UCSA
et de SMPR qui n’ont commencé à collaborer
qu’après 6 années de présence dans le même
établissement pénitentiaire !) confortant
ainsi la stigmatisation (par une levée de fait du secret professionnel)
qui s’attache aux personnes psychiquement souffrantes en
fléchant les différents lieux de soin ?
Il serait intéressant également, au vu de l’objectif
officiel, actuellement de plus en plus réaliste, qui veut qu’un
détenu soit seul dans sa cellule, d’expérimenter des
formules de type “ visite à domicile ”
considérant la cellule comme le domicile pendant la détention. C’est
peut-être d’ailleurs, pour le problème dramatique de la
prévention des suicides, la forme de soins rapprochés et
attentifs qui aurait le plus d’efficacité.
Nous reprenons, et faisons nôtre, l’affirmation suivante : “ Dans les prisons il ne devrait y
avoir que des soins ambulatoires. (…) La création des SMPR a
été une étape essentielle dans l’accès aux
soins psychiatriques dans les établissements pénitentiaires[1] ”. Une grande diversité de techniques de soins individuels ou de
groupe devrait être possible en prison sans aménagements
très particuliers ni très onéreux.
Ceci sous-entend que les procédures de déplacement à l’intérieur des
établissements soient révisées et que l’organisation
des équipes de psychiatrie permette la mobilité interne des
équipes. Nous pensons que, pour les détenus, la double peine
serait qu’ils ne puissent bénéficier des soins
nécessités par leur état de santé.
Pour les soins aux personnes toxicomanes détenues, il est indispensable de favoriser les liens entre
les intervenants internes à la prison et les intervenants travaillant
à l’extérieur. Ceci aurait l’avantage de permettre
l’indispensable continuité des soins en la matière.
L’évolution des missions et des pratiques des équipes de secteur rend impossible la double mission de garde et de soins en structures ouvertes. D’autant moins que, dans le même temps, les équipes de soins somatiques envisagent la création de services d’hospitalisation en Hôpital Général, où la garde sera confiée aux agents de l’Administration Pénitentiaire ou de la Police : les UHSI (Unité d’Hospitalisation Sécurisées Interrégionale). Les SMPR ne pouvant pas non plus assurer, dans le cadre des établissements pénitentiaires, des soins en hospitalisation complète, une autre organisation s’impose.
Le principe d’intégrer les projets somatiques d’UHSI semblerait le plus éthique, le plus simple et le plus efficace, sur le plan thérapeutique, à adopter.
Les services de psychiatrie implantés, dans certains cas, à côté de ces services somatiques, devraient bénéficier de la même organisation de garde “ périmètrique ” par les agents de l’Administration Pénitentiaire ou de la Police, et être placés, pour les soins, sous la responsabilité d’un psychiatre. De plus, sans compter que cette implantation confirmerait encore la volonté de mettre fin à la fracture psychiatrie /somatique, la proximité d’un plateau technique régi par la même organisation sécuritaire simplifierait le travail de tous.
Le nombre de ces UHSI-Psy, d’une capacité de 15 à 20 lits, dépend d’une évaluation précise des besoins qui reste à faire. Il semble cependant que le nombre de ces unités d’hospitalisation sera supérieur aux 8 prévus pour le MCO et qu’un par région, ou un par actuel SMPR, serait plus proche des besoins que font remonter les professionnels.
On sait qu’en 2000 les hospitalisations d’office, en application de l’article D-398, ont été d’environ 1000 en France métropolitaine. Bien entendu, ces unités d’hospitalisation, situées en dehors des établissements pour peine puisque implantés dans des hôpitaux généraux, seraient en capacité de fournir également les soins obligatoires en hospitalisation. N’y seraient donc admis que des personnes détenues, pour des soins acceptés ou obligatoires, de courte ou de plus longue durée (comme dans les structures d'hospitalisation des secteurs dans la communauté).
Certains, dont nous ne sommes résolument pas, avancent d’autres solutions.
L’une consisterait à regrouper, dans des “ établissements sous double tutelle ”, des prisons-hôpital en quelque sorte, les malades mentaux détenus. Outre que cela serait à notre sens contraire aux droits de l’homme, par son côté arbitraire et ségrégatif, cette proposition d’exclusion des fous serait la marque d’une régression sociale que nous condamnons et entraînerait obligatoirement le milieu carcéral à fonctionner, comme avant la révolution française, sur le modèle des lettres de cachet.
L’autre consisterait en la création d’une structure spécifique d’hospitalisation liée au SMPR, dans l’enceinte de quelques établissements pénitentiaires, dont l’accès, la sécurité extérieure et intérieure seraient sous la responsabilité des personnels de l’Administration Pénitentiaire. Par exemple la CGT, qui reconnaît la nécessité de la création des UHSI-Psy, les localiserait dans les établissements pénitentiaires. L’immense majorité des psychiatres qui travaillent en milieu pénitentiaire, et nous sommes en parfait accord avec eux sur ce point, pensent que, pour une personne détenue, s’il y a indication d’hospitalisation en psychiatrie cette hospitalisation doit se faire ailleurs que dans le milieu pénitentiaire.
La prison de
Château-Thierry, où sont regroupés des détenus
malades mentaux dans la partie maison centrale, surprend lorsqu’on la
visite.
Elle a une
réputation péjorative que ne méritent ni les personnes
détenues, ni les personnels de l’Administration
Pénitentiaire (qui a fait des efforts sur leurs effectifs), ni les
personnels soignants.
Effectivement ce petit
établissement a le mérite de démontrer, avec modestie et
discrétion, qu’une attention respectueuse envers les
détenus et une collaboration étroite entre les soignants et les
personnels de surveillance permet d’apaiser les conflits et de soigner
les malades avec efficacité.
Si l’on ose
dire : il n’en faut pas plus !
A la question posée par des personnes détenues que leur
état de santé psychique rend durablement porteuses de troubles
violents du comportement et dont les
soins ne peuvent être envisagés que dans le temps de la
chronicité même de la pathologie, doit être donnée
réponse, le temps de leur détention, avec les outils que seront
les UHSI-Psy associés aux soins ambulatoires en milieu pénitentiaire.
Mais combien sont-elles ces personnes ? Où sont-elles actuellement?
Sont-elles regroupées ou bien sont-elles avec des détenus
particulièrement dangereux non malades mentaux? Ces données ne
sont pas disponibles, nous l’avons déjà souligné.
De même
qu’il ne devrait y avoir, dans les prisons, que des soins ambulatoires,
il ne saurait y avoir des personnes détenues dans les unités de
soins en milieu ordinaire.
Si des soins
d’hospitalisation sont nécessaires ils doivent être
effectués :
§ soit dans les UHSI-Psy comme proposé plus haut et il devient alors nécessaire d’adapter en ce sens l’art. D 398 du Code de Procédure Pénale ainsi que le Guide de Planification en santé mentale,
§ soit dans les unités soignantes des secteurs, en ambulatoire ou non, à la condition que les personnes bénéficient d’un régime de liberté surveillée ou conditionnelle ou autre. L’augmentation des condamnations avec sursis et des mises sous liberté conditionnelle ou surveillée (contrairement à l’alourdissement constaté actuellement des condamnations) permettrait à un grand nombre de personnes présentant des troubles mentaux de bénéficier de soins dans le système sanitaire ordinaire.
Nous recommandons ces aménagements et dispenses de peine, sous la seule responsabilité et le suivi du juge d’application des peines, ce qui impose de préciser, là aussi, les articulations entre logique pénale et logique sanitaire et la place des soignants dans les procédures de décision.
Dans le cas de ces personnes sous main de justice en milieu ouvert une réflexion approfondie devra avoir lieu sur les injonctions et obligations de soins judiciaires (qui sont en augmentation en France) et leur articulation souvent malaisée avec le dispositif sanitaire.
Là encore
devrait être modifié, sinon abrogé, "l'article D 398
du CPP qui transforme obligatoirement l'établissement de soins en
établissement d'enfermement...
Il présuppose en outre que le soin psychiatrique se fera
nécessairement en pavillon fermé, ce qui n'est plus obligatoire
depuis la loi n° 90-527 du 27 juin 1990 du CSP qui fait disparaître
toute référence à l'enfermement qui était
juridiquement la règle sous l'empire de l'ancien texte du 30 juin
1838."[2].
La mission de réinsertion associée à la
détention d’une personne nécessitant des soins
spécialisés de longue durée doit être
élaborée en collaboration étroite entre les personnels de
l’Administration Pénitentiaire et ceux de la Santé afin
d’intégrer les dynamiques et les mouvements mis en jeu dans chaque
champ par cette personne.
Il y a bien entendu à se réinsérer du fait de
l’éloignement social dû à
l’incarcération, mais également à se
“ réinsérer ” personnellement par rapport
au fait qui a entraîné la condamnation. La question alors
soulevée est celle du mode de participation des psychiatres travaillant
en milieu pénitentiaire dans les procédures de justice concernant
les conditions d'exécution des peines.
L’organisation des soins dans les établissements
pénitentiaires et dans les UHSI-Psy doit être
élaborée de manière intersectorielle par bassin de
santé ou territoire pertinent et par la région. Cela doit donner lieu
à l’élaboration collective d’un projet, et des moyens
pour le réaliser, pour une durée de 5 ans, partie obligatoire des
projets des services territoriaux de psychiatrie (PSTP).
Les équipes des SMPR, qui auront un service
d’hospitalisation à l’hôpital général,
auront également la charge, comme toutes les équipes de
psychiatrie générale, d’une activité
“ extra-hospitalière ” dans leur
établissement pénitentiaire d’implantation.
Etant donné l'état actuel des effectifs soignants
consacrés aux soins aux personnes sous main de justice, il ne peut
être imaginé que ceux-ci suffiront et que de simples
redéploiements seront nécessaires. Les équipes des SMPR,
qui sont pour la plupart, mais pas toutes, normalement pourvues en psychiatres
ne le sont pas du tout en ce qui concerne les autres catégories de
personnels et entre autres les infirmiers. Ceci sera d'autant plus manifeste si
ces équipes sont en charge des structures d'hospitalisation
véritables que seront les UHSI-Psy. Pour les autres établissements
pénitentiaires il faudra évaluer et proposer les réponses
avec les moyens correspondants.
Cette organisation, réfléchie par l’ensemble des
équipes d’une zone donnée dans le cadre des PSTP, devrait
rompre l’isolement dans lequel sont trop fréquemment les
équipes des actuels SMPR.
Dans le schéma proposé ci-dessus, il s’agit donc de tenir compte de cette réalité et de donner les moyens aux groupements de secteurs dans les STP, actuellement dépourvus d’équipe suffisante, pour leur permettre de réaliser des projets intersectoriels collectivement établis. La désignation, par secteur, d'une personne référente pour la question des soins aux personnes sous main de justice devrait être généralisée. Dans le cas où existe, sur le territoire d’un STP, une équipe de SMPR, l’appropriation du projet de soin aux personnes détenues par toutes les équipes du STP posera la question de la répartition du travail des personnels du SMPR.
Reste posé le problème de l’expertise dont la
pertinence, les avis souvent contradictoires et l’utilisation majoritaire
pour des personnes détenues ayant commis les infractions les plus
graves, posent des questions de fond, questionnent sur la spécificité
de cette clinique et imposeraient un débat professionnel national
(article 122-1 du CP).
Tous les médecins de service public ou privés en exercice devraient-ils, tour à tour, être appelés pour les expertises ? C’est en tous cas la question que l’on peut se poser depuis la Loi de 1998 sur le suivi « socio-judiciaire » des délinquants sexuels qui a, en quelque sorte, « banalisé » une partie de la psychiatrie légale et en a confié la responsabilité et la pratique à tous les psychiatres que rien n’a préparé à cela.
On peut constater une
dérive inquiétante des rôles respectifs des experts et des
juges : les experts sont un peu en position de juge alors que les juges
sont en position de prescrire des soins !
En conclusion, on
perçoit bien qu’à terme, si nos propositions sont suivies d’effets,
la situation serait beaucoup plus saine et respectueuse des missions de chacun,
puisque les condamnations ne seraient pas alourdies par crainte d’absence
de soins pour les personnes malades mentales détenues qui, selon la pathologie,
recevraient des soins adaptés :
§ en soins consentis ou en obligation de soins dans les secteurs en milieu ordinaire, permis par des mesures adaptées de libertés conditionnelles ou autres,
§ en soins ambulatoires ou en visites à domicile dans la prison,
§ en hospitalisation, avec ou sans obligation de soins, dans les UHSI-Psy installés dans certains hôpitaux généraux.
Cette
organisation modifiée de l’offre de soin aux personnes sous main
de justice manifesterait également la prise de conscience par les
politiques de l’importance du problème, les évolutions
internes aux établissements pénitentiaires et l’effort
porté sur les formations.
[1] M. Delattre, de l’Administration Pénitentiaire
[2] Observatoire International des Prisons, 28 septembre 2000
suite
Dernière mise à jour : jeudi 6 septembre 2001 17:11:34 Dr Jean-Michel Thurin |