Introduction


Dans le monde, 400 millions de personnes sont concernées par un trouble mental.

Cette année un français sur 4 souffrira d’un trouble mental.

Mais peu des personnes souffrant de ces troubles en parleront publiquement. La santé mentale, c’est intime, secret, caché. Cela devient public quand l’expression du trouble et de l’angoisse deviennent trop intenses, quand cela “ perturbe ” la famille, le milieu du travail ou la société.

Au début du troisième millénaire, l’image du “ malade mental ” dans le grand public reste encore archaïque : “ c’est une personne malade, imprévisible, dangereuse, qui peut commettre des actes illégaux, qu’il faut enfermer à l’hôpital psychiatrique pour la soigner par des médicaments ”[1]. Le trouble mental est encore, synonyme d’exclusion sociale, et la honte associée redouble l’exclusion. La discrimination, l’ostracisme et la stigmatisation vis à vis des personnes souffrant de maladies mentales sont encore tellement forts dans notre pays, qu’il est très difficile pour le citoyen d’afficher et de vivre avec sa maladie, son trouble, son symptôme. Car l’afficher, en parler, c’est s’exposer, c’est impliquer tout l’entourage et augmenter la souffrance des familles.

Et pourtant c’est 25% de ce même grand public qui présentera un trouble cette année.

Cependant nous assistons, depuis quelques années, à la fêlure du tabou. Quelques usagers, quelques familles témoignent, les associations d’usagers de la psychiatrie ou de familles de malades mentaux commencent à être connues et reconnues, suivant en cela le mouvement de fond général initié avec les associations de malades du SIDA au début des années 80. Ce qui était invisible auparavant, car caché à l’hôpital psychiatrique, dans les cabinets des psychanalystes ou dans le secret des familles, devient un véritable phénomène de société dont on commence à mesurer l’ampleur.

Aujourd’hui l’Organisation Mondiale de la Santé fait de la santé mentale une priorité mondiale. La Journée mondiale de la santé a été cette année consacrée à la santé mentale, sur le thème : “ Non à l’exclusion, Oui aux soins ”.

Tout changement profond en santé mentale passe par un changement d’attitude de la société vis à vis de ces citoyens.

 

Pendant deux siècles, les médecins des âmes se sont enfermés avec leurs “ fous ” dans les asiles d’aliénés. Pour les protéger bien sûr et pour “ protéger ” la société aussi. Mais l’enfer était pavé, ici comme ailleurs, des meilleures intentions. Il s’agit maintenant de rendre possible le dernier acte de la fin de cet exil des “ fous ” et de l’enfermement, de permettre l’aboutissement de la politique de sectorisation et son ouverture à la population, à la société.


Il s’agit, aujourd’hui, de mettre la psychiatrie dans la ville, dans la communauté et la ville et la communauté dans la psychiatrie, de réimplanter fortement le dispositif de santé mentale dans la cité, de redynamiser les pratiques de soin dans la proximité et le partenariat avec les acteurs sociaux et les élus locaux.

 

Il s’agit de développer la prévention en intégrant les soins psychiatriques dans les soins de santé primaire ainsi que dans le champ bien plus vaste de la santé.

Il s’agit de s’appuyer sur les valeurs fortes de la politique de sectorisation : soins de proximité et garanties de continuité, non-stigmatisation et reconnaissance de la citoyenneté des patients.

Il s’agit de diversifier l’offre de soin et non pas de la faire disparaître dans une sorte de “ traitement ” social de la folie.

Il s’agit, pour les usagers et les professionnels de disposer d’une palette variée, graduée, individualisable de réponses soignantes. A chacun d’en faire l’usage qu’il pensera le meilleur. Loin de nous l’idée de proposer un carcan. Nous affirmons au contraire que la psychiatrie “ curative ” n’est pas en contradiction avec l’ouverture et l’intégration sociale.

Là, en France ou ailleurs, où la psychiatrie s’est ouverte franchement au système de soins primaires et aux professionnels du champ social, là où elle s’est alliée aux élus locaux, aux usagers et aux familles, là où la logique d’ouverture a été appliquée, l’expérience est positive.

Alors pourquoi encore tous ces hôpitaux psychiatriques en France ? Pourquoi le secteur psychiatrique s’est-il souvent développé en réseau fermé ? Pourquoi tant de difficultés pour appliquer la politique de sectorisation ? Pourquoi les évolutions inscrites dans cette “ bonne ” politique sont-elles trop souvent dépendantes de l’engagement d’une ou deux personnes motivées ? Quelles sont les évolutions à apporter au dispositif pour l’intégrer franchement dans le système sanitaire général, pour affirmer le soin et développer la prévention et la promotion de la santé mentale ? Comment rendre ce dispositif, dans son essence, apte à lutter contre l’exclusion des soins liée à la stigmatisation des personnes ?

 

L'objectif est de réaliser une intégration sans fusion et sans hégémonie, sans confusion et sans dogme.  En restant attaché au formidable outil conceptuel et pratique qu’est le secteur psychiatrique, en nous appuyant sur les dynamiques mises en place par de nombreuses équipes en France, en nous aidant des réflexions et des mises en actes de nos voisins étrangers, nous proposons, dans ce rapport, d’apporter des réponses “ prospectives ”, c’est à dire à échéance de 10 à 15 ans maximum, à ces questions cruciales pour l’avenir du dispositif de soin en santé mentale dans notre pays.


 

Les principes généraux qui ont guidé notre réflexion

§       Les droits de l’homme et du citoyen sont inaliénables, les troubles psychiques ne les annulent en aucun cas.

 

§       Justice et psychiatrie, prison et hôpital, enfermement et soins ne doivent pas être confondus.

 

§       Il est urgent d’intégrer la psychiatrie dans la médecine et la santé mentale dans la cité

 

§       Il faut aller au terme de la politique de sectorisation, pensée en 1945, et fermer les lieux d’exclusion médicaux et sociaux.

 

§       C’est la société et donc les services de santé mentale, qui doivent s’adapter aux besoins des patients et non le contraire. Il faut passer d’une logique d’institution à une logique de santé, c’est-à-dire à une logique de réseau. Il s’agit de gérer des parcours plus que des incidents ponctuels.

 

§       La lutte contre la stigmatisation dont sont victimes les personnes souffrant de troubles mentaux est indispensable. La population doit être sensibilisée, afin de modifier les préjugés de dangerosité, d’incompréhension et d’incurabilité des troubles mentaux.

 

Les axes concrets de changement que nous proposons

 

§       Favoriser la parole et le pouvoir des utilisateurs des services, tout citoyen pouvant en être un usager direct ou indirect

 

§       Développer et implanter toutes les structures de psychiatrie dans la cité, à proximité des usagers.

 

§       Créer, par bassin de santé ou territoire pertinent, un service territorial de psychiatrie (STP) articulé à un réseau territorial de santé mentale (RTSM).

 

§       Définir un plan décennal de fermeture des hôpitaux psychiatriques, associé à un moratoire portant sur les gros investissements médicaux et sociaux sur site.

 

§       Mettre en place un plan national de redéfinition des moyens humains et des compétences professionnelles pour les STP et RTSM.

 


 



[1] Cf. Les résultats de l’enquête : “ La santé mentale en population générale : images et réalités ” ASEP-CCOMS-EPSM-Lille Métropole-Ministère de la Santé-Ministère des Affaires étrangères – Juin 2001

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Dernière mise à jour : dimanche 4 mars 2001 0:24:10
Dr Jean-Michel Thurin