Dictionnaire taxinomique de psychiatrie
(J. Garrabé)



TRAUMATIQUE (névrose) [angl. traumatic neurosis, all. Traumatische neurose, esp. neurosis traumatica].


Définition-Historique : Le concept de névrose traumatique après avoir connu une période d'éclipse où son autonomie nosologique même était contestée connaît un regain d'intérêt. Il doit son existence à l'invention des chemins de fer puisque c'est pour désigner les états apparaissant à la suite des accidents ferroviaires qu'Oppenheim en 1884 composa cette locution. La notion de traumatisme est à l'origine somatique puisque ce mot désigne « ... les lésions produites accidentellement, d'une manière instantanée, par des agents mécaniques dont l'action vulnérable est supérieure à la résistance des tissus ou organes qu'ils rencontrent » (Forgue cité par Laplanche et Pontalis). L'étymologie en est d'ailleurs du grec tqavua blessure, d'où la distinction fondamentale en pathologie externe entre traumatismes ouverts et fermés. L'idée d'effraction d'une limite par le traumatisme est sous-jacente, il s'agit de l'enveloppe cutanée quand il est physique. Or, les manifestations cliniques décrites sous le nom de « névrose traumatique » ne correspondent à aucune lésion organique. L'effroi provoqué par l'accident est dit traumatisme par une métonymie faisant passer ce signifiant par contiguïté du signifié des lésions des traumatismes crâniens fermés à celui d'une atteinte physiopathologique fonctionnelle ou par une métaphore établissant une analogie entre les perturbations provoquées par l'impact d'énergie mécanique et les désordres de l'économie énergétique psychique. Freud en 1916 définit le traumatisme comme un « événement vécu qui, en l'espace de peu de temps, apporte dans la vie psychique un tel surcroît d'excitation que sa suppression ou son assimilation par les voies normales devient une tâche impossible ce qui a pour effet des troubles durables dans l'utilisation de l'énergie ». Cet aspect métaphorique est parfois méconnu d'où la confusion regrettable avec les névroses post-traumatiques, séquelles neuropsychiatriques de traumatismes cranio-cérébraux fermés dues aux effets de cette énergie mécanique. Les deux aspects essentiels du traumatisme psychique - instantanéité du surcroît d'énergie psychique - apparaissent clairement dans cette définition de Freud qui accepte l'autonomie de cette entité, la différenciant des deux autres grandes espèces de névroses, névroses actuelles* et névroses de transfert* (l'hypothèse de l'impact d'un traumatisme sexuel réel dans l'enfance comme facteur étiologique des psychonévroses sera abandonnée au profit de celle qui fait au contraire dépendre la pathogénie de la nature fantasmatique de l'événement). Charcot et l'école de la Salpétrière ne voyaient eux dans le « railway brain » qu'une forme d'.hystérotraumatisme. Cette discussion nosologique s'est poursuivie pendant le premier conflit mondial qui allait malheureusement permettre de préciser la clinique de ces névroses de guerre ; celles survenant en temps de paix étant désignées comme névroses d'effroi en raison du rôle principal que tient cette réaction au danger dans leur génèse, dénomination qui serait sans doute la plus adéquate. Dans la psvchiatrie nord-américaine trauma n'est plus employé qu'au sens métaphorique : a signifiant, upsetting experience or event (Gefland).

La Seconde Guerre mondiale allait confirmer la fréquence de cette pathologie chez les combattants, l'utilisation du terme de « combat exhaustion » (épuisement au combat) témoigne d'une première référence aux travaux de Hans Selye (1936) sur le stress. Dans l'après-guerre, ont été décrites les névroses de captivité et les névroses de déportation (Sivadon). Au cours des récents conflits du Moyen-Orient, il a été constaté un accroissement de la fréquence de cette pathologie tant dans les unités combattantes que dans les populations soumises à des déluges de feu d'une puissance et d'une soudaineté jusque-là inconnus. Le rapprochement a été fait avec les manifestations psychopathologiques observées à la suite des catastrophes naturelles ou technologiques mais les plus caractéristiques sont celles, collectives, de la panique (au sens propre du terme), alors que les névroses traumatiques sont le résultat de l'effraction du psychisme individuel par l'événement.

La clinique des névroses traumatiques est caractérisée par

- le temps de latence (période de méditation de Charcot) d'une durée en règle de quelques jours mais pouvant dépasser un an qui sépare l'apparition de la symptomatologie de l'événement traumatisant ;

- le syndrome de répétition, signe pathognonomique de l'affection, associant crises émotives, réactions de sursaut, décharges impulsives et surtout rêve (improprement appelé cauchemar) de répétition reproduisant la scène traumatique elle-même. ou sa représentation figurée par le travail du rêve ; ce syndrome est considéré comme ayant une valeur d'abréaction ou de catharsis ;

- l'emprunt de leurs symptômes aux autres névroses

- la fréquence de manifestations somatiques (névrose cardio-cérébrale des auteurs soviétiques) qui posent la question des liens entre névroses traumatiques et troubles psychosomatiques* ;

- l'évolution chronique, par opposition à l'acuité des réactions immédiates observables dans les mêmes circonstances pouvant déboucher ultérieurement sur une psychonévrose typique.

Cette possibilité évolutive ouvre le débat étiopathogénique qui est celui de toute réaction* : le traumatisme ne serait-il qu'une cause déclenchante alors que la cause déterminante serait la structure* névrotique de la personnalité ? La conception développée par Freud illustre comment les deux facteurs peuvent se combiner : « Effroi (Sckreck), peur (Fucht), angoisse (Angst) sont des termes qu'on a tort d'utiliser -comme synonymes ; leur rapport au danger permet de bien les différencier. Le terme d'angoisse désigne un état caractérisé par l'attente du danger et la préparation à celui-ci, même s'il est inconnu. Le terme de peur suppose un objet défini dont on a peur. Quant au terme d'effroi, il désigne l'état qui survient quand on tombe sur une situation dangereuse sans y être préparé ; il met l'accent sur le facteur surprise ». Il distinguera plus tard « l'angoisse, réaction originaire à la détresse dans le traumatisme » et le signal d'angoisse qui détermine une attitude d'attente active contre les effets du trauma. C'est donc bien à la fois dans la nature de celui-ci et dans cet état de non préparation qu'il faut chercher la spécificité de la névrose d'effroi. La personnalité antérieure n'intervient que dans la forme prise par l'assimilation de ce surcroit d'énergie qui ne peut se faire qu'en utilisant les mécanismes de défense propres au sujet traumatisé.

A cette manière de voir qui considère qu'il y a là une réaction spécifique, s'opposent des conceptions inspirées par les travaux de Selye : c'est le stress en tant que syndrome d'adaptation* qui est spécifique alors que les facteurs déclenchants sont disparates.


INSERM : La catégorie Névroses et états névrotiques 10 comprend deux rubriques :
.6 Etat aigu réactionnel à symptomatologie névrotique.
.7 Etat chronique réactionnel ou situationnel à symptomatologie névrotique. Ces états sont donc considérés comme névrotiques uniquement du point de vue symptomatologique et du point de vue étiopathogénique comme réactionnel ou situationnel ce qui déterminerait la durée d'évolution.

CIM 9 : La rubrique « Névroses traumatiques » n'existant pas, cette entité est partagé entre les états réactionnels et les troubles de l'adaptation : Etats réactionnels aigus à une situation très éprouvante 308. Les synonymes donnés - Délire d'épuisement, Epuisement dû au combat, Etat consécutif à une catastrophe - ainsi que la répartition en rubriques selon la prédominance des troubles de l'affectivité .0, de la conscience . 1 ou de la psychomotricité .2 Etats de panique, fugues, agitation, stupeur - sont intéressants. Ils montrent que c'est bien des névroses de guerre ou de catastrophe qu'il s'agit et qu'elles sont envisagées comme réactions au stress, terme qui figure explicitement en .4 Mixtes : « Beaucoup d'états réactionnels à une situation de stress important comprennent plusieurs types de troubles... »

. C'est pourtant l'autre catégorie qui est désignée comme Troubles de l'adaptation 309.

La distinction entre ces deux catégories n'est pas claire : il semble que ce soit la durée des troubles - quelques heures ou jours pour la première, quelques mois pour la seconde - et la nature de la situation - bataille et catastrophe ou deuil* - qui fassent la différence bien qu'un stress éprouvant bascule l'état réactionnel aigu en trouble de l'adaptation. L'intitulé est d'ailleurs lui-même imprécis ou inversé : les états dits réactionnels sont dus au stress et les troubles de l'adaptation* sont des réactions'.


CIM Proj. rév. : Les deux catégories sont fusionnées en une seule « Réaction à une situation très éprouvante et troubles de l'adaptation F 43 », définie non seulement en fonction de la symptomatologie et du déroulement de la maladie mais aussi parce qu'un facteur causal peut être mis en évidence.


D.S.M. III : La taxinomie est surprenante. En effet, les entités correspondantes à Névroses traumatiques 308.30 Trouble : Etat de stress posttraumatique, forme aigue et 309.81 Trouble : Etat de stress post-traumatique, forme chronique ou différée ne sont pas classés dans les Troubles de l'adaptation* comme on pouvait s'y attendre mais dans la catégorie Troubles anxieux c'est-à-dire paradoxalement regroupés avec les psychonévroses alors même qu'un des objectifs de cette classification est la répudiation du concept de névrose*. Les critères diagnostiques font référence aux notions métapsychologiques de pulsion, de répétition et d'après-coup donnant un sens à l'événement traumatique. Ce qui fait de l'événement un traumatisme, sa signification, est minutieusement étudié : « l'événement stressant à l'origine du syndrome provoquerait des symptômes évidents de détresse chez la plupart des individus et dépasse le domaine des expériences comme celles de deuil*... Le sujet peut être seul à, subir le traumatisme (viol ou attaque) ou le subir au sein d'un groupe (guerre)... on peut citer : les catastrophes naturelles... les catastrophes causées accidentellement par les hommes... ou les catastrophes causées délibérément par les hommes (plasticage, torture, camps de la mort). Certains événements stressant conduisent fréquemment à ces troubles (par 'exemple la torture) ; d'autres ne les provoquant qu'occasionnellement (par exemple les accidents de voiture)... Le trouble est apparemment plus sévère et plus durable quand l'événement stressant est dû à l'homme ». Par contre, on retrouve l'ambigiiité liée au sens métaphorique du trauma : « il existe fréquemment une atteinte physique concomitante avec, éventuellement, atteinte directe du système nerveux central (par exemple malnutrition, traumatisme crânien) ». Les codes de l'Axe IV (sévérité du facteur stress) montrent que les traumatismes correspondent à des stress sévères : Chez l'adulte 6 - Extrême 7 - Catastrophique Expérience de camp de concentration, catastrophe naturelle dévastatrice. Chez l'enfant ou l'adolescent Traumatismes sexuels ou physiques répétés. D.S.M. III-R : Il n'existe plus qu'une seule rubrique Etat de stress posttraumatique 309.89 la distinction aigu-chronique étant supprimée (le délai d'apparition est par contre spécifié si les troubles débutent au moins six mois après le trauma) ; la nature du stress a été clarifiée ; l'évitement et l'amnésie en rapport avec le trauma ont été inclus dans la liste des symptômes; enfin des symptômes en rapport avec une hyper excitabilité sont précisés.


Bibliographie :
CROCQ L., SAILHAN M. et BARROIS C. - Névroses traumatiques (Névrose d'effroi, névrose de guerre). Encycl. Méd. Chir., Paris, Psychiatrie, 37329 A10, 2.1983.
FREUD S. - Introduction à la psychanalyse (1916). Traduction française, Payot, Paris, 1953.
FREUD S. - Au-delà du principe de plaisir (1920). In : Essai de psychanalyse. Traduction française, Payot, Paris, 1948.
FREUD S. - Inhibition, symptôme et angoisse (1926). Traduction française, Payot, Paris, 1951.


Dernière mise à jour : jeudi 28 mars 2002 17:06:57
Dr Jean-Michel Thurin