N° 12 Mai/Juin 1998

Œuvre d'Olivier Debré - "Le flux" - Lithographie



Sommaire


Le comité

SCIENTIFIQUE

H. Allain (Rennes)

J.-M. Azorin (Marseille)

M. Bourin (Nantes)

P. Boyer (Paris)

J.-P. Chabannes (Chambery)

J.-M. Danion (Strasbourg)

G. Darcourt (Nice)

M. Faruch (Toulouse)

M. Ferreri (Paris)

J. D. Guelfi (Villejuif)

J.-P. Kahn (Toul)

J.-P. Olié (Paris)

P.J. Parquet (Lille)

M.F. Poirier (Paris)

A. Puech (Paris)

F. Rouillon (Colombes)

D. Sechter (Besançon)

J.-L. Terra (Lyon)

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Editorial

Vulnérabilité cognitive et dépression :
de nouvelles hypothèses (Jean Cottraux)

Focus

Dépression de l'adolescent : la thérapie cognitive est efficace (Jean Cottraux)

Suicides et accidents de la route (Françoise Chastang)

ECT et température (Patrick Delbrouck)

Chômage et tentatives de suicide graves :
absence de lien de causalité (Françoise Chastang)

Prévention des rechutes de la dépression récurrente : thérapie cognitive ou antidépresseurs (Jean Cottraux)

Stimulation magnétique transcrânienne : TOC et dépression (Patrick Delbrouck)

Jalons

Aspects médico-légaux des ETC (Patrick Delbrouck)

Le comité de

RÉDACTION



PUBLICATION :

Serge Friedman
Dominique Denninger

RÉDACTION :

Vincent Caillard
(Rédacteur en Chef)



Daniel Bailly (enfant et adolescent)
Thierry Baubet (ethnopsychiatrie)
Renaud de Beaurepaire (neurobiologie)
Marc Bourgeois (deuil et dépression)
Olivier Canceil (génétique)
Françoise Chastang (épidémiologie)
Jean Michel Chignon (comorbidités)
Jean Cottraux (psychothérapie)
Quentin Debray (dépression et personnalités)
Patrick Delbrouck (ECT, imagerie)
Pierre Morel (histoire, humeurs)
Françoise Radat (événements stress)
Hélène Verdoux (trouble bipolaire)


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Revue des revues

biologie

chronobiologie

clinique

comorbidité

culture

dépressions résistantes

enfance, adolescence

épidémiologie

essais thérapeutiques

événements

génétique

imagerie

lithium

médico-économie

neuroendocrinologie

neuromédiateurs


neuropsychologie

personnalité

pharmacologie

post-partum

prévention

psycho-immunologie

psychométrie

psychothérapie

seconds messagers

sismothérapie

sommeil

suicide

sujet âgé

thérapeutique

trouble bipolaire

Biologie

Dépression à la Nouvelle-Orléans

Première partie : Le mode d'action des antidépresseurs

(Renaud de Beaurepaire)

Humeur

Le soleil noir de la mélancolie (Pierre Morel)


EDITO


VULNÉRABILITÉ COGNITIVE ET DÉPRESSION :
DE NOUVELLES HYPOTHESES.

L'hypothèse centrale de l'approche cognitive de la dépression est que les sujets dépressifs présentent des schémas cognitifs, inconscients, situés dans la mémoire à long terme, filtrant l'information en ne retenant que les aspects négatifs de l'expérience vécue. La perte de l'estime de soi, l'indécision, le pessimisme, le désespoir et l'apparition de rêves lugubres ne sont que la traduction clinique de la perturbation du traitement de l'information par ces schémas.

Or la comparaison de sujets normaux et de dépressifs en rémission ne montre pas de différences quant à la présence de schémas dépressogènes. Si l'état dépressif disparaît, ces schémas disparaissent aussi, que les patients soient traités par thérapie cognitive ou antidépresseurs. Les études épidémiologiques prospectives ont confirmé ce point de vue en ne montrant pas les schémas dépressogènes stables qui précéderaient la dépression. Il n'y aurait donc pas de pattern cognitif spécifique en dehors des épisodes dépressifs et le dysfonctionnement cognitif est donc un marqueur d'état et non de trait.

Le problème des schémas cognitifs et de leur stabilité a été étudié ensuite à partir de la notion de sociotropie (dépendance sociale) qui est associée à la dépression. Il s'agit d'un trait de personnalité qui reste élevé en dehors des épisodes et lors des rémissions thérapeutiques ainsi que l'ont montré Moore R.G., Blackburn I.M. (The relation of sociotropy and autonomy to symptoms, cognitions and personality in depressed patients. Journal of Affective Disorder., 1994, 32, 239-245).

Une autre hypothèse alternative a été mise en avant : les schémas cognitifs dépressifs représentent bien des marqueurs de trait qui persistent en dehors des états dépressifs, mais que la capacité à y avoir accès dépend de l'humeur. Les schémas sont codés dans un réseau qui inclut aussi des « nœuds » émotionnels qui doivent être au préalable activés pour avoir accès au contenu cognitif du schéma, ce que ne peut pas faire un simple questionnaire. Plusieurs études effectuées avec induction d'humeur dépressive ont soutenu ce modèle.

Miranda et Gross, dans un article récent dont le titre évocateur est : « Is out of sight out of mind ? » Cognition and emotion, 1997, 585-605, ont repris le problème à partir de données expérimentales récentes, dont certaines sont en cours de publication. Ils aboutissent à la conclusion que la régulation des émotions est un point important dans le déclenchement de l'accès dépressif. Selon ces auteurs, ce qui distingue les personnes vulnérables et les personnes invulnérables est la souplesse de leur attitude devant les émotions. Leurs travaux montrent en effet que les individus vulnérables se mettent à penser d'une manière de plus en plus dysfonctionnelle quand ils ressentent une humeur négative : chez eux l'émotion active des interprétations négatives du monde, du futur et d'eux mêmes. En revanche des individus invulnérables à la dépression ont lorsqu'ils ressentent une humeur négative une pensée qui reste stable ou même s'améliore. Ils développent donc des mécanismes compensatoires en face d'une induction d'humeur négative.

Mais même si des schémas cognitifs dépressogènes activés par des émotions existent on peut se poser la question de leur origine. Garber et Robinson, (Cognitive vulnerability in children at risk for depression Cognition and emotion, 1997, 11, 619-635), ont comparé deux groupes d'enfants : un premier groupe (n = 144) d'enfants dont les mères présentaient un trouble dépressif non bipolaire dans leur histoire ont été comparés à un autre groupe d'enfants (n = 55) dont les parents n'avaient jamais présenté une telle pathologie. Les résultats on montré que les enfants à haut risque avaient un style cognitif nettement plus négatif que les enfants à bas risque. Cette différence persistait même si le fait que les enfants à haut risque soient déprimés était pris en compte. Trois explications qui ne sont pas mutuellement exclusives peuvent être proposées.

1. L'interaction avec une mère dépressive et de ce fait caractérisée comme l'ont montré plusieurs études des auteurs, par la critique, le rejet et l'hostilité et l'excès de contrôle, peut diminuer l'estime de soi et établir une vue négative de soi permanente.

2. Le style cognitif négatif de la mère et de l'enfant pourrait constituer l'expression phénotypique d'une vulnérabilité génétique.

3. La mère et l'enfant sont soumis aux mêmes événements de vie négatifs qui les conduisent tous deux vers la dépression et l'établissement d'un style cognitif dépressif stable.

Ce sont des études d'interaction entre les effets de l'environnement, des facteurs interpersonnels et du facteur génétique qui permettront sans doute de mieux comprendre le développement d'un style cognitif négatif qui rendrait vulnérable à la dépression.

Jean Cottraux

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FOCUS


DÉPRESSION
DE L'ADOLESCENT :
LA THÉRAPIE COGNITIVE EST EFFICACE

Jean Cottraux

Il existe peu d'études sur les effets de la thérapie cognitive dans la dépression de l'adolescent et de l'enfant. De plus la littérature francophone est assez peu développée. La seule exception est l'ouvrage d'un auteur canadien et francophone disparu récemment, Pierre Baron, professeur de psychologie à l'Université d'Ottawa, qui fut un pionnier de la thérapie cognitive de l'enfant et de l'adolescent. Pierre Baron a publié un ouvrage en français
(P. Baron La dépression chez l'adolescent, Edisem Maloine, Québec, 1993). Cet ouvrage présente avant tout les modèles, les corrélats, les aspects cognitifs théoriques et les aspects épidémiologiques des dépressions de l'adolescent. Dans ce livre et différents articles, Baron a souligné l'importance de quatre thèmes principaux et susceptibles d'être à la base de distorsions cognitives fréquemment notées chez les adolescents.

Le premier thème a trait à l'apparence physique : cette observation sans indulgence de son propre physique est relié à l'une des caractéristiques de la dépression, la perte d'estime de soi.

Le second thème de distorsion cognitive est l'identité sexuelle. Ce thème, bien sûr, réfère aux réponses sexuelles qui accompagnent la puberté et qui ne sont pas sans soulever nombre de préoccupations dans la mesure où la vie sexuelle connote la contagion, la maladie et la mort.

Le troisième thème de distorsion cognitive est la compétence par rapport aux autres en particulier les adultes.

Le quatrième et dernier thème de distorsion cognitive a trait à l'autonomie et au contrôle. C'est probablement celui aussi qui va se heurter au plus grand nombre d'obstacles et de contradictions sur la route du développement, si on tient compte des attentes du monde adulte vis à vis des adolescents.

La psychothérapie et la prévention étaient développées seulement sur une vingtaine de pages qui soulignaient la valeur de l'approche cognitive des la dépression de l'adolescent dans quelques études contrôlées, à cette époque. L'optimisme de l'ouvrage de Pierre Baron se trouve aujourd'hui confirmé par une étude contrôlée imposante due à une équipe de l'université de Pittsburgh : Brent et coll. : A clinical psychotherapy trial for adolescent depression comparing cognitive, family and suportive therapy. Archives of General Psychiatry, 1997, 54, 877-885.

Cette étude porte sur un échantillon clinique de 107 adolescents déprimés, âgés en moyenne de 15 ans (écart-type = 1 an) souffrant de dépression majeure selon le DSM-3-R. Il faut souligner cependant que les jeunes patients devaient ne pas prendre de drogues et n'avoir pas été victime d'abus sexuels. L'échelle de Beck était en moyenne de 24 avec un écart type de 8 : ce qui reflète une dépression modérée en moyenne. Ils ont été attribués au hasard à trois groupes.

- Thérapie cognitivo-comportementale qui représente une adaptation du modèle de Beck à ce stade particulier du développement qu'est l'adolescence. Elle consistait essentiellement à la modification des pensées automatiques négatives, des systèmes de croyances dépressogènes, la résolution de problème et l'apprentissage de la régulation des affects et le développement des compétences sociales par le jeu de rôle (social skills training).

- Thérapie familiale comportementale d'inspiration systémique. Cette thérapie se fondait à la fois sur des principes systémiques et issus des thérapies comportementales. Dans un premier temps le thérapeute aidait la famille à mettre en évidence les problèmes comportementaux, puis cherchait à développer une attitude active de résolution de problèmes et la communication dans la famille. Il était mis l'accent sur l'éducation du groupe familial au sujet de la dépression et les problèmes liés à la phase de l'adolescence.

- Thérapie individuelle non-directive. Ce groupe avait pour but de contrôler les facteurs non-spécifiques des deux traitements à l'étude. Bien qu'encourageant l'expression des affects, et donnant un soutien empathique les thérapeutes ne donnaient pas de conseil ni ne cherchaient à développer chez le patient des compétences spécifiques. Ce groupe « placebo » était important dans la mesure où plusieurs études de pharmacologie de la dépression chez l'adolescent avaient rapportés un taux élevé d'effet placebo.

Les traitements comportaient entre 12 et 16 séances effectuées hebdomadairement. De plus, les trois groupes ont eu dans les trois premières séances une psycho-éducation familiale sur la dépression : les parents recevaient un manuel et étaient invités à en discuter. Au total une heure était consacrée à cette psycho-éducation parentale.

Sur les 107 patients 78 ont terminé l'étude, 4 n'y sont pas rentrés, 10 présentaient des critères d'exclusion qui n'avaient pas été détectés à l'entrée, 8 sont sortis d'essai et 7 en ont été retirés pour des raisons cliniques.

L'analyse en intention de traiter a montré que les trois traitements obtenaient une réduction de la suicidalité et de l'incapacité fonctionnelle dans des proportions équivalentes. Cependant des différences sont apparues en faveur de la thérapie cognitive en ce qui concernait la réduction de l'état dépressif, le taux des rémissions et la rapidité d'action aussi bien par rapport à la thérapie comportementale familiale systémique que la thérapie non directive de soutien.

En outre, la thérapie cognitive était perçue comme plus crédible que les deux autres formes de thérapie au fur et à mesure que l'étude avançait.

Il est aussi intéressant de noter que au cours de l'étude 38 % des mères et 6 % des pères ont été identifiés comme déprimés. Seulement un peu plus d'un tiers des mères ont accepté d'être traitées gratuitement par pharmacologie par l'équipe qui réalisait l'essai. Tous les pères déprimés ont refusé le traitement.

Cette étude comporte certaines limitations : ainsi, les troubles de personnalité de type borderline qui se traduisent par des comportements toxicomaniaques et ont souvent souffert d'abus sexuels ont été exclus de l'étude pour des raisons d'homogénéité. En outre comme chez l'adulte la thérapie cognitive apparaît surtout efficace dans un type particulier de dépression : celle d'intensité modérée. Enfin, il n'est pas rapporté de suivi, pour l'instant. Les auteurs annoncent une étude de suivi pour bientôt ainsi qu'une étude des caractéristiques individuelles prédictives de résultats. Ils suggèrent cependant, devant l'importance du résultat de la thérapie cognitive dans ce groupe moyennement déprimé d'adolescents, qu'elle devrait être comparée aux effets des médicaments antidépresseurs.

SUICIDES ET ACCIDENTS
DE LA ROUTE

Françoise Chastang

Parmi les nombreux moyens de suicide utilisés, les accidents de la route sont probablement parmi les plus difficiles à évaluer, tant dans le domaine des tentatives de suicide que dans celui des décès par suicide.

Grâce à la collaboration de 13 équipes disséminées sur le territoire national, chacune étant constituée d'un officier de police, d'un ingénieur, d'un spécialiste de la route, de médecins voire d'autres spécialistes en fonction des cas, Ohberg et coll ont pu évaluer l'ensemble des accidents de la route mortels survenus en Finlande entre 1987 et 1991. Les informations recueillies étaient variées, portant sur les caractéristiques des véhicules, les conditions de conduite, la séquence des accidents, et, dans la perspective d'un abord psychologique, sur l'existence d'événements de vie récents tels que divorce, séparations ou perte d'un être cher, difficultés sociales, financières, ou problèmes de santé physique, l'existence d'un suivi psychiatrique se traduisant par la prescription d'un traitement psychotrope par un psychiatre, la consommation d'alcool, l'état psychique probable avant l'accident. Par ailleurs, l'existence d'une tentative de suicide antérieure, l'expression d'idées suicidaires, une lettre laissée témoignant d'une intention autolytique, l'existence de préparatifs étaient considérés comme une expression claire d'une intention de mourir.

Parmi les 1 419 accidents de la route mortels répertoriés sur les cinq années étudiées, 84 soit 5,9 % correspondaient à des suicides, soit deux fois plus que les 2,6 % annoncés par les statistiques officielles. Cette proportion était relativement plus importante que celle retrouvée dans d'autres pays comme le Royaume-Uni ou la Norvège, ce qui est sans doute explicable par une prévalence supérieure des gestes suicidaires en Finlande, accompagnée d'une augmentation sensible des suicides par accidents de la route depuis les années 1970.

Ces suicides concernaient malheureusement plus souvent les jeunes, un suicidé sur deux ayant entre 15 et 34 ans. Soixante seize pour cent avaient vécu des événements de vie douloureux récemment, et 43 % recevaient un traitement psychotrope prescrit par un psychiatre. Treize pour cent avaient des antécédents de tentative de suicide, et l'abus d'alcool est noté dans 35 % des cas. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ces suicides par accident de la route n'étaient pas dans cette étude des accidents solitaires n'impliquant que le sujet et son véhicule, mais correspondaient dans la grande majorité des cas à des collisions contre des véhicules beaucoup plus lourds comme des camions, et qui ont entraîné le décès d'une autre personnes dans 4 % des cas.

Pour les auteurs, cette sous-estimation des suicides par accident de la route est relativement peu importante et ne modifie pas les statistiques officielles des suicides. Au delà de la rigidité des statistiques, même si ce type de suicide ne correspond qu'à 1,2 % de l'ensemble des suicides, il est à prendre en considération pour diverses raisons. En effet, il concerne, comme cette étude l'a bien montré, essentiellement les sujets jeunes, et il est en augmentation certaine. Sous-estimé, il représente certainement une part non négligeable des décès par cause indéterminée dans la tranche d'âge des 15-34 ans dans tous les pays industrialisés. De plus, ces résultats laissent entrevoir l'importance difficilement évaluable des tentatives de suicide ou des équivalents suicidaires par accident de la route.

Ohberg A, Pentilla A, Lonnqvist J. Driver suicides. Br J psychiatry 1997, 171, 468-472.

ECT ET TEMPÉRATURE

Patrick Delbrouck

Parmi les multiples hypothèses étiologiques proposées dans les troubles dépressifs, celles faisant référence à une dimension chronobiologique occupent une place à part. Ainsi, la constance des troubles du sommeil, et notamment du réveil précoce, ont très tôt orienté les chercheurs dans cette direction. Plus tard, les perturbations du cycle du cortisol et la mise en évidence de dépression saisonnière ont renforcé cette orientation. Enfin, la découverte des anomalies constatées lors des enregistrements polysomnographiques (raccourcissent de la latence d'apparition du sommeil paradoxal et diminution du sommeil lent profond) a posé les bases d'un modèle chronobiologique de la dépression.

Il existe schématiquement deux grandes théories : la première invoque un décalage de phase des rythmes circadiens, dont rendrait compte le réveil précoce et dont l'origine pourrait être interne et/ou externe ; la seconde insiste plus sur des perturbations de l'amplitude des cycles. Ces anomalies se corrigeraient avec la disparition des symptômes dépressifs, quel que soit le traitement proposé.

Parmi les nombreux cycles qui gouvernent notre organisme, le plus important est sans conteste celui de la température. C'est le rythme de base qui sert de référence aux autres, et c'est également celui qui est le moins sensible aux conditions extérieures. Dans les états dépressifs, plusieurs études ont montré des perturbations de ce rythme qui se corrigeaient avec le traitement.

M.P. Szuba et coll. rapportent un travail portant sur l'effet de l'électroconvulsivothérapie sur le cycle de la température (1). Ces auteurs ont constitué deux groupes de six personnes, l'un composé de sujets déprimés (3 unipolaires, 3 bipolaires) selon les critères RDC, et l'autre de sujets contrôles appariés sur le sexe et l'âge. Chaque personne subissait un enregistrement continu de sa température pendant 72 heures à l'aide d'un système portable (une mesure toutes les cinq minutes). Les patients déprimés étaient ensuite traités par ECT (11 séances en moyenne, 5 sujets en unilatéral et un en bilatéral). Au terme du traitement, un nouvel enregistrement de leur température était effectué dans les même conditions. Les variables retenues étaient, pour la température : les valeurs moyennes par 24 heures, de jour et de nuit, ainsi que la différence entre température de jour et de nuit, le rapport entre température de jour et de nuit et la température minimale ; pour la dépression : l'échelle de Hamilton à 17 items.

Les résultats montrent que les patients hospitalisés sont plus déprimés que les contrôles ! Mais si on vous le dit : p = 6 x 10 - 5 ! Par ailleurs, il existe une différence statistiquement significative entre la température des sujets dépressifs par rapport aux sujets témoins. En effet, les déprimés sont « plus chauds » que les sujets sains, notamment la nuit. Après traitement, la température des déprimés baisse et devient même inférieure à celle des contrôles ! Il n'existe pas de décalage de phase entre les deux groupes, même s'il s'agit là d'une appréciation visuelle, les auteurs ayant renoncé à passer leurs données à la moulinette cosinor. Par ailleurs, il existe une corrélation positive entre l'intensité de la dépression à l'échelle de Hamilton et la différence de température jour/nuit ainsi qu'avec le rapport de ces deux valeurs.

Les auteurs en concluent, malgré les biais méthodologiques nombreux (non prise en compte du pic hyperthermique post-ECT, mesure de la température différente pour les hommes (anale) et pour les femmes (vaginale), non prise en compte des variations induites par le cycle menstruel...) que l'ECT corrige les perturbations du cycle de la température induite par la dépression. Ils plaident quand même en faveur d'études plus fournies, mieux conçues afin préciser leurs résultats.

Conclusion : l'ECT constitue-t-elle une voie d'avenir dans le rafraîchissement des corps ? Le marché africain est-il prometteur ? Mais que va devenir la climatisation ? Autant de questions angoissantes auxquelles seul le troisième millénaire naissant apportera des réponses... En attendant, sucer des glaçons...

Szuba M.P., Guze B.H., Baxter L.R.

Electroconvulsive therapy increased circadian amplitude and lowers core body
temperature in depressed subjects.

Biol. Psychiatry 1997, 42 : 1130-1137

CHÔMAGE ET TENTATIVES DE SUICIDE GRAVES : ABSENCE DE LIEN DE CAUSALITÉ

Françoise Chastang

Le phénomène suicidaire est considéré depuis quelques années comme une priorité de santé publique par l'OMS, qui a demandé en 1989 à ses états membres d'implanter et/ou de développer des études pour une meilleure compréhension des gestes suicidaires ainsi que des stratégies de prévention (Taylor et al, 1997). La Nouvelle-Zélande est un des pays les plus actifs dans ces domaines, et a en particulier développé une enquête nationale, le Canterbury Suicide Project, qui permet de comparer 202 sujets décédés de suicide, 302 ayant réalisé une tentative de suicide grave, avec 1 028 témoins appariés sur l'âge et le sexe. C'est à partir de cette enquête que Beautrais et coll (1998) ont essayé de caractériser le lien existant entre les tentatives de suicide graves, (intoxication médicamenteuse médicale, tentative de pendaison ou utilisation d'une arme à feu), définies par la nécessité d'une surveillance en milieu de réanimation ou nécessitant un acte chirurgical conséquent. Ces 302 suicidants (qui représentent un tiers des suicidants admis), les sujets témoins ainsi qu'un proche désigné, ont été évalués par un entretien semi-structuré recherchant le statut professionnel actuel (chômage ou non), événements de l'enfance (séparation ou divorce des parents, maltraitance, abus sexuels), nature et qualité des soins donnés par les parents évaluées par le PBI (Parental Bonding Inventory), ainsi que l'existence d'une pathologie psychiatrique actuelle selon le DSM III R.

Cet échantillon de suicidants est constitué de 140 hommes (46,4 %) et de 162 femmes (53,6 %), d'âge moyen de 30,4 ans ; 18,6 % des hommes et 8 % des femmes sont au chômage, contre 5,3 % des hommes et 1,7 % des femmes chez les témoins, ce qui signifie en d'autres termes que les chômeurs, tant les hommes que les femmes ont quatre fois plus de risque de réaliser un geste suicidaire grave que les témoins. Sont également retrouvés comme facteurs de risque du geste suicidaire la séparation ou le divorce des parents avant 16 ans (OR = 3), les abus sexuels (OR = 7), la maltraitance (OR = 14), ainsi que les troubles psychiques, en particulier les troubles thymiques (OR = 47). Cependant, une procédure d'ajustement, dont le but est de prendre en compte les facteurs de confusion et de calculer le risque propre, modifie quelque peu les résultats. En effet, l'association entre chômage et tentative de suicide grave est moindre mais demeure significative après ajustement sur les facteurs familiaux, éducationnels, l'âge et le sexe, et devient non significative après prise en compte de la morbidité psychiatrique.

Que signifient tous ces résultats ?

Ils montrent tout d'abord ce que l'on savait déjà depuis longtemps, à savoir que l'association entre chômage et tentative de suicide existe, qu'elle est complexe, et qu'elle ne s'explique aucunement par un lien de causalité direct. Ces résultats vont également dans le sens de l'existence de facteurs de risque communs au geste suicidaire et au chômage, facteurs qui pourraient donc être préexistants, et être en rapport tant avec des événements de vie précoces qu'avec une morbidité psychiatrique.

D'où pas mal de questions pour qui s'intéresse à ce thème.

Les auteurs, pour des raisons non explicités dans l'article, n'ont considéré que les tentatives de suicide ayant un degré certain de gravité somatique, soit un tiers des tentatives de suicide. Les résultats sont donc difficilement extrapolables à l'ensemble des suicidants. Les primosuicidants et les récidivistes ne sont pas différenciés, alors que l'on pourrait très facilement poser l'hypothèse que les primosuicidants ont des caractéristiques proches de celles de la population générale, et que ce sont les récidivistes qui sont significativement plus souvent au chômage.

Le risque attribuable au chômage est de 7,3 % dans cette étude, ce qui est peu de l'avis des auteurs, inférieur aux 11 % calculés par des techniques de méta-analyse (Lewis et al, 1997). Mais l'impact du chômage sur l'équilibre psychologique d'une personne est-il le même dans un pays ayant un faible taux de chômage comme la Nouvelle-Zélande et dans un pays deux fois plus touché comme la France ? Existe-t-il un chômage « caché » qu'il serait nécessaire de prendre en considération ?

Ces données invitent enfin à rechercher clairement un dénominateur commun précoce à certaines manifestations psychiques, au chômage et aux gestes suicidaires, ce qui pourrait renvoyer à la relecture des travaux de Brown et Harris sur le concept de vulnérabilité précoce décrit dans la dépression.

Beautrais AL, Joyce PR, Mulder RT.
Unemployment and serious suicide attempts. Psychol Med 1998, 28, 209-218.

Lewis G, Jones P. Strategies for preventing suicide.
Br J Psychiatry 1997, 171, 351-354.

Taylor SJ, Kingdom D, Jenkins R. How are nations trying to prevent suicide ? An analysis of national suicide prevention strategies.
Acta Psychiatr Scand 1997, 95, 457-463.

PRÉVENTION DES RECHUTES DE LA
DÉPRESSION RÉCURRENTE : THÉRAPIE COGNITIVE OU ANTIDÉPRESSEURS ?*

Jean Cottraux

Depuis les débuts de la thérapie cognitive, dans les années 70, la question de la prévention des rechutes et des récidives est au centre des débats. Néanmoins, la question des traitements que reçoivent les patients après la phase de traitement intensif n'a jamais été étudiée de manière contrôlée. Il s'est le plus souvent agi de suivis « naturalistes » où les patients recevaient divers traitements après la phase initiale contrôlée. Il existe maintenant une étude qui permet de se faire une idée de cette évolution sur une durée de deux ans : I.M. Blackburn et R.G. Moore : Controlled acute and
follow-up trial of cognitive therapy and pharmacotherapy in out-patients with recurrent depression, British Journal of Psychiatry, 1997, 171, 328-334.

Il s'agit d'une étude contrôlée qui prend en compte aussi bien la phase aiguë que la phase de maintenance du traitement. Soixante quinze patients ont été inclus à partir d'un panel de 120, dont 45 ont été exclus pour des raisons diverses : bipolarité, troubles organiques ou refus de la randomisation. Ils devaient présenter au moins un deuxième épisode de dépression et avoir une échelle de Hamilton supérieure à 16. L'échelle de Beck était en moyenne aux alentours de 28 avec un écart type de 9 ce qui reflète une dépression modérée. On sait en effet que la thérapie cognitive est surtout active dans la dépression de sévérité légère ou moyenne.

Les dépressions endogènes ou exogènes selon Spitzer étaient acceptées. Les patients étaient répartis au hasard dans trois groupes selon une stratification tenant compte à la fois du sexe, de l'âge, de l'endogénéité et de l'intensité de la dépression (échelle de Hamilton supérieure ou inférieure à 20).

Le premier groupe (n = 26) recevait des antidépresseurs durant la phase intensive de traitement et des antidépresseurs également au suivi.

Le second groupe (n = 22) recevait des antidépresseurs durant la phase intensive, puis après leur arrêt de la thérapie cognitive durant le suivi.

Le troisième groupe (n = 27) recevait de la thérapie cognitive durant la phase intensive puis de la thérapie cognitive durant le suivi.

La phase intensive durait seize semaines et le suivi était de deux ans. Les patients qui recevaient la thérapie cognitive durant cette phase étaient vus une ou deux fois par semaine. Les patients maintenus sous thérapie cognitive, au cours de la phase de suivi. voyaient leur thérapeute trois fois durant le premier mois, deux fois durant le second mois et une fois par mois ensuite.

Les patients qui recevaient des médicaments étaient vus toutes les trois semaines par leur généraliste ou des psychiatres hospitaliers qui les suivaient en ambulatoire. Le choix de l'antidépresseur et son remplacement par un autre, si nécessaire, était libre. De même la dose de maintien était laissée à la discrétion du médecin. Il s'agissait donc d'une étude très proche de la réalité clinique aussi bien en ce qui concerne la thérapie cognitive que le traitement pharmacologique.

Les résultats de la phase intensive n'ont pas montré de différences entre les trois groupes sur aucune des variables étudiées.

Dans la phase de maintien les patients ont continué à s'améliorer sans différence entre les groupes. L'étude des rechutes montre les résultats suivants qui sont ceux qui ont été retrouvés dans d'autres études :

Antidépresseurs suivis de maintien des antidépresseurs : 31 %.

Thérapie Cognitive puis maintien de la Thérapie Cognitive : 24 %.

Antidépresseurs remplacés par la Thérapie Cognitive : 36 %.

Il y avait cependant une tendance statistique non significative (p < 0.08) à ce que les deux groupes qui avaient reçu la thérapie cognitive aient de meilleurs résultats que les groupes recevant seulement la médication : mais cette tendance n'était retrouvée que sur l'échelle de Beck qui mesure les cognitions dépressives. L'échelle de Hamilton ne montrait aucune tendance.

La conclusion des auteurs est « straightforward » : les résultats indiquent que la maintenance par la thérapie cognitive a un effet prophylactique similaire à la maintenance par le traitement pharmacologique et représente également une option tout à fait viable pour le maintien des résultats après l'arrêt d'un traitement antidépresseur dans la dépression unipolaire récurrente.

Ce qui fait que les soignants ne sont pas prisonniers d'un modèle pharmacologique ou psychologique et peuvent choisir leur type de suivi avec des chances égales de résultats, dans les limites, bien entendu, des deux ans rapportés par l'étude. Reste à faire l'étude comparative coût/efficacité de chaque approche.

*Propos sous l'entière responsabilité de l'auteur.

STIMULATION MAGNÉTIQUE TRANSCRANIENNE : TOC ET DÉPRESSION

Patrick Delbrouck

La stimulation magnétique transcrânienne consiste, rappelons-le, à appliquer au tissus cérébral un champ magnétique intermittent, dont on peut faire varier la fréquence. Ces champs magnétiques, induits par un courant électrique, passent sans difficultés les différents tissus et sont capables d'induire des courants secondaires localisés, au sein de tissus cibles, avec une précision de l'ordre du centimètre carré. Ces courants secondaires, cent-mille fois plus faibles que ceux ayant donnés naissance au champ magnétique, peuvent ainsi stimuler localement différentes zones du cerveau et permettre d'en observer cliniquement la réponse. La stimulation répétitive à fréquence variable (rSMT) tend aujourd'hui à supplanter la stimulation continue. D'abord limitée à la stimulation du cortex moteur dans une optique de diagnostic neurologique, cette méthode a également été utilisée pour évaluer certaines fonctions cognitives visuelles, verbales ainsi que les fonctions mnésiques.

L'application de la rSMT à la psychiatrie est en cours d'évaluation et les publications d'essais thérapeutiques se multiplient. L'équipe du NIMH de Bethesda est, dans ce domaine, très prolixe et vient de publier deux études particulièrement intéressantes.

La première est une étude préliminaire portant sur l'efficacité de la rSMT chez des patients atteints de Trouble Obsessionnel Compulsif (1). Les auteurs ont recruté 12 sujets répondant aux critères DSM-IIIR du TOC. Quatre étaient sans traitement, les huit autres prenaient des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. La moitié avaient un diagnostic associé d'épisode dépressif majeur présent ou passé.

Tous ont été soumis à une séance de rSMT dont la méthodologie commence à se préciser. Ainsi, dans un premier temps le cortex moteur est localisé par une série de stimulations destinées à provoquer une contraction des abducteurs du bras droit. Ensuite, on localise, sur des critères « géographiques », une région préfrontale droite située cinq centimètres en avant, une région préfrontale gauche symétrique et une région occipitale située dix centimètres en arrière des régions motrices. Les différentes régions ont été stimulées, à une fréquence de 20 Hz, pendant une période de 20 minutes avec une intensité égale à 80 % du seuil moteur. L'évaluation de la symptomatologie était faite à l'aide d'échelles d'auto-évaluation et d'une échelle visuelle-analogique pour la dimension dépressive.

Les résultats montrent que seule, la stimulation de la région préfrontale droite provoque une baisse modérée des symptômes compulsifs. La dimension obsessionnelle n'est pas modifiée et l'humeur est très modestement améliorée. Pour les autres régions, il n'existe aucune modification statistiquement significative, et on assiste même à une faible augmentation des compulsions en cas de stimulations occipitales.

Au niveau de la tolérance, il n'existe pas de différence selon le site de stimulation. Les seuls effets secondaires rapportés par deux patients sont des céphalées survenant une à trois heures après les séances.

Les auteurs en concluent que la rSMT pourrait avoir un intérêt dans la prise en charge des TOC, mais que des études plus complètes méritent d'être effectuées avant d'envisager une application à grande échelle.

La seconde étude, plus fournie, porte sur l'intérêt de ce nouveau traitement dans les états dépressifs (2). Les auteurs ont regroupé 12 patients répondant aux critères DSM-IV de troubles dépressifs majeurs. Onze correspondaient à des dépressions unipolaires, et le douzième à une dépression bipolaire de type II. Le score moyen à l'échelle de Hamilton à 21 items était de 28,5.

Le protocole comportait deux périodes : dans un premier temps, les patients recevaient une séance quotidienne de rSMT en région préfrontale gauche selon la méthodologie utilisée pour les TOC. Ces séances étaient pratiquées cinq jours sur sept, pendant deux semaines, soit en tout dix séances. Ensuite, lors d'une seconde période, il subissait le même protocole mais avec des séances placebo. L'ordre rSMT-placebo ou placebo-rSMT était attribué de façon aléatoire. La durée totale du protocole était de quatre semaines.

Les résultats montrent une amélioration des scores de l'échelle de Hamilton supérieure durant la phase rSMT (-5,25 points) par rapport à la phase placebo
(-3,33 points, p < 0,03). Le traitement est, là encore, bien supporté. Quatre patients rapportent des maux de tête modérés dans les trois heures qui suivent les séances, mais aucun trouble de la mémoire ou de la concentration n'est mentionné. De même, il n'a pas été constaté de crise convulsive.

Les auteurs en concluent à l'intérêt de ce traitement, même s'ils reconnaissent que la situation est loin d'être éclaircie.

Ainsi, les biais des études publiées sont non négligeables : prépondérance féminine, évaluation à très court terme (2-4 semaines) contre 6-8 semaines dans les travaux sur les antidépresseurs ou les ECT ; difficultés d'un véritable double-aveugle, le médecin réalisant la stimulation connaissant le groupe du patient traité ; non homogénéité des traitements antidépresseurs associés...

Par ailleurs, plusieurs publications font état de résultats contradictoires. Ainsi, chez le volontaire sain, la stimulation des régions préfrontales gauches entraîne une impression de tristesse alors qu'elle améliore les sujets dépressifs... Chez les sujets souffrant de TOC, c'est la stimulation des régions préfrontales droite qui améliore l'humeur et non la gauche... Faut-il y voir une remise en cause des hypothèses localisatrices de la dépression ?

Par ailleurs, le mode d'action de la rSMT apparaît tout aussi mystérieux que celui des ECT. L'hypothèse d'une action indirecte sur l'axe hypothalamo-hypophysaire semble avoir la faveur des auteurs.

On le voit donc, si la méthodologie de l'utilisation de la rSMT commence à se standardiser, ce qui devrait permettre de pratiquer des études comparables, il reste encore du chemin à faire avant d'en démontrer l'intérêt pratique et encore plus pour en comprendre le mode d'activité...

Greenberg B.D., George M.S. and coll.

Effect of prefrontal repetitive transcranial magnetic stimulation
in obsessive-compulsive disorder : a preliminary study.

Am. J. Psychiatry 1997, 154 : 867-869

George M.S., Wassermann E.M. and coll.

Mood improvement following daily left prefrontal repetitive transcranial magnetic stimulation in patients with depression : a placebo controlled crossover trial.

Am. J. Psychiatry 1997, 154 : 1752-1756

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JALONS


ASPECTS MÉDICO-LÉGAUX DES ECT

Patrick Delbrouck

L'électroconvulsivothérapie (ECT) est un outil thérapeutique qui évolue régulièrement, tant dans ses indications que dans sa réalisation. Les années 90 ont été riches en « modernisation » du parc des appareils à sismothérapie, et l'usage du courant à ondes brèves pulsées se répand peu à peu dans notre pays, avec quelques années de retard par rapport au reste du monde, mais c'est sans doute cela aussi, l'exception culturelle française...

Le recours à ces nouvelles techniques, en association avec l'anesthésie générale et la curarisation permettent une diminution des complications et un meilleur résultat thérapeutique. Cependant, comme pour tout acte médical, le risque zéro n'existe pas, et la réalisation d'une série d'électrochocs n'est pas sans conséquences. C'est pour contrôler ces risques et en avertir les patients que deux textes législatifs ont été publiés qui modifient singulièrement la pratique des sismothérapies : il s'agit du décret du 5 décembre 1994 concernant les conditions de réalisation des anesthésies et de l'arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1997 qui impose au médecin d'apporter la preuve que l'information nécessaire au consentement aux soins a été fournie au patient.

Avant d'aborder ces deux mesures, il convient d'abord de préciser l'importance du risque.

COMPLICATIONS DES ECT :

L'évaluation des risques des ECT fait l'objet régulièrement de publications dans la littérature internationale. On peut cependant regretter l'absence de travaux émanant d'équipes françaises. En ce qui concerne la mortalité, celle-ci apparaît faible et en rapport avec le risque anesthésique. Dans une publication récente, Richard Abrams (1) évalue la mortalité par ECT à 2 décès pour 100 000 chocs, alors que la mortalité globale lors d'une anesthésie générale est estimée à 4/100 000. Cette mortalité correspondrait à 16 décès par an, aux États-Unis (pour plus de 800 000 chocs réalisés). Il n'existe pas d'études comparant cette mortalité à celle induite par l'utilisation des psychotropes.

La morbidité est plus fréquente. Elle correspond principalement à des problèmes confusionnels et/ou amnésiques transitoires qui seraient présents dans plus de 75 % des cas lors de chocs bilatéraux, contre 25 % dans les chocs unilatéraux, mais à efficacité moindre. Les complications cardio-vasculaires surviendraient principalement dans une population à risque : personnes présentant des antécédents d'infarctus, ayant une fraction d'éjection ventriculaire inférieure à 50 % ou présentant plus de dix extrasystoles ventriculaires par heure.

En France, les données épidémiologiques sont inexistantes. La publication des rapports du conseil médical du Groupe d'Assurances Mutuelles Médicales ne fait état que de quatre accidents déclarés entre 1990 et 1994 ce qui est particulièrement faible comparé aux 109 suicides déclarés sur la même période. Il est particulièrement intéressant de noter que ces complications correspondent toutes à des traumatismes (deux fractures de l'humérus, une du sternum et une luxation des incisives supérieures), vraisemblablement en rapport avec une absence d'anesthésie et/ou de curarisation. La réalisation de chocs sans couverture pharmacologique constitue là encore une particularité française. Dans une publication ancienne (2), on l'estimait à 28 % dans les CHS. On peut espérer que l'une des conséquences des modifications législatives récentes sera la disparition de ses pratiques inadaptées. On ne peut cependant pas généraliser ces résultats à la morbidité réelle qui est certainement plus élevée. Quant à la mortalité, il n'existe pas d'étude française précisant un nombre de décès par ECT.

Le risque lié à cette pratique apparaît donc faible, et largement contrôlable par les outils modernes mis à notre disposition, même s'il ne saurait être nul. La seule réserve émise par certains utilisateurs est d'avoir obtenu cette baisse majeure de la morbidité post-ECT au prix d'une élévation mineure de la mortalité... mais aucuns travaux n'ont été publiés permettant de confirmer ou d'infirmer cet à priori.

LES CONDITIONS D'ANESTHÉSIE :

Les conditions modernes de réalisation des ECT imposent une curarisation préalable au choc afin de réduire les complications ostéo-articulaires. Cette curarisation impose à son tour une anesthésie générale pour éviter un vécu particulièrement traumatisant de paralysie générale consciente.

Les conditions pratiques de cette anesthésie ont été précisées dans un décret (N° 94-1050) publié le 5 décembre 1994. Ce décret, sans spécificité psychiatrique, a été complété en septembre 1996 par une instruction du Ministère du Travail et des Affaires Sociales précisant son application à la réalisation des ECT et curieusement adressé aux Préfets (et non aux directeurs d'hôpitaux, ni aux médecins), dans le seul but de « faciliter le contrôle des médecins inspecteurs de santé publique »...

Ces textes précisent clairement deux aspects essentiels de notre pratique.

D'abord ils officialisent la pratique des ECT sous anesthésie générale : « la sismothérapie doit être pratiquée sous anesthésie générale ». Jusqu'à cette date, pratiquer des électrochocs sans anesthésie était un acte contraire au code de déontologie et par là même contraire aux bonnes pratiques cliniques. Maintenant, il s'agit d'un acte contraire à la législation et donc susceptible de poursuites judiciaires et non plus seulement ordinales. Ce changement de cadre est essentiel pour envisager l'avenir de la sismothérapie en France.

Ensuite, l'obligation de l'anesthésie impose des conditions de sécurité suffisante pour le patient. « Elle ne peut être réalisée au lit du malade, mais doit l'être dans une salle spécifique, uniquement réservée à cette activité ».

Cette attitude suppose le recours à un anesthésiste réanimateur pour pratiquer l'anesthésie. C'est en effet lui qui est tenu pour responsable des complications de l'anesthésie. Le réveil est quant à lui surveillé par « un infirmier formé à cet effet ». Le psychiatre, pour sa part, est responsable de la réalisation du choc et de ses conséquences. C'est également lui qui juge de l'indication du traitement.

Cette simple obligation de personnel suppose le recrutement de médecin spécialiste, temps-plein ou vacataire, ce qui risque de déstabiliser financièrement certains petits établissements, pratiquant peu de chocs sur une année.

Mais cette dualité médicale s'accompagne surtout d'une obligation de moyens. C'est à dire de l'existence « d'arrivée de fluides médicaux, notamment de l'oxygène, et permettant l'aspiration par le vide (...) Les fluides doivent être en permanence dans la salle ». Ces équipements, facilement disponibles dans les hôpitaux généraux, sont moins fréquemment accessibles dans les centres spécialisés publics ou privés.

Il devient par ailleurs nécessaire « d'assurer un contrôle continu du rythme cardiaque et l'affichage du tracé électrocardiographique avec des appareils munis d'alarme ainsi que le contrôle en continu du sang en oxygène ».

De plus, « la salle doit être équipée d'un dispositif d'assistance ventilatoire au réveil muni d'alarmes de surpression et de débranchement ainsi que d'arrêt de fonctionnement (...) et les personnels y exerçant doivent pouvoir accéder sans délai au matériel approprié permettant la défibrillation cardiaque des patients ».

On le voit, la réalisation des sismothérapies devient un acte opératoire. A cet effet, l'instruction de septembre 1996 précise que si « l'établissement dispose d'un site anesthésique, l'activité de sismothérapie y sera normalement réalisée ». Mais pour les établissements ne disposant pas de cette structure, l'investissement s'avérera beaucoup plus lourd et seuls ceux ayant une activité ECT importante pourront rentabiliser la réalisation de salles spécialisées répondant aux critères législatifs.

Les conséquences de l'application de ces textes sont multiples. Ils risquent de provoquer une diminution des ECT réalisés dans les petites structures ne disposant pas des moyens financiers nécessaires à la mise à niveau de leur équipement. Cette diminution du recours à la sismothérapie n'est pas sans poser la question de l'égalité à l'accès au soin. On peut espérer cependant qu'elle sera compensée par un regroupement des moyens existants et peut-être l'apparition de centres spécialisés en ECT comme cela existe dans d'autres pays. On peut également envisager une meilleure réalisation des chocs, avec disparition des sismothérapies réalisées sans anesthésie.

L'INFORMATION DU PATIENT :

Après l'obligation de moyens, l'obligation d'information est la seconde contrainte législative qui vient s'imposer à notre pratique. A noter que cette décision de la Cour de cassation, qui impose au médecin d'apporter la preuve que l'information nécessaire au consentement aux soins a été fournie au patient n'est, pour l'instant, applicable qu'au secteur privé.

Il est vrai également que cette information est clairement présentée comme étant un devoir de tout médecin envers son patient par le code de déontologie et qu'elle est largement pratiquée par de nombreux thérapeutes. Cependant, les électrochocs restent un sujet tabou et « l'éclairage » du patient n'est pas toujours évident.

Car quel est le but de cette information, sinon de permettre au patient de faire un choix en acceptant ou refusant le traitement proposé. Or en pratique, l'acceptation des électrochocs par le patient est difficile pour plusieurs raisons.

Souvent, la pathologie qui justifie le traitement entraîne une perte du sens des réalités qui rend illusoire un consentement éclairé. Cette situation est encore plus caricaturale dans le cas des hospitalisations sous contraintes où l'on ne reconnaît pas au malade la capacité à décider de la nécessité de son hospitalisation, mais où il devrait être compétent pour choisir son type de traitement...

Par ailleurs, la nature même de l'information à fournir est difficile à définir. Faut-il, comme cela se fait dans certains services aux États-Unis, « tout dire » et montrer une cassette vidéo d'un véritable choc au patient et à son entourage avant de lui faire signer le formulaire d'acceptation sans possibilité de recours ? Au contraire, peut-on, éthiquement, accepter d'effectuer une série de sismothérapies en laissant croire au malade qu'il s'agit juste « d'une cure de sommeil » ? Une information claire et honnête doit se situer entre ses deux extrêmes. Elle doit porter sur la nature réelle du traitement (production d'une crise d'épilepsie), les conditions de sa réalisation (anesthésie générale), les effets secondaires courants (troubles mnésiques) et les bénéfices escomptés. Le caractère écrit ou oral de l'information joue peu comme l'a montré une étude récente présentée dans un précédent numéro de la revue (3). Par ailleurs, l'accord signé n'est pas de pratique courante en France en dehors des essais thérapeutiques.

Enfin, la présentation loyale et compréhensive de cette technique ne peut qu'améliorer son image et lui ôter l'odeur de soufre qui continue à la poursuivre dans l'esprit du grand public. Là, comme dans d'autres domaines, la transparence constitue le seul remède à l'obscurantisme.

Une présentation type, largement perfectible, est proposée en annexe.

CONCLUSION

On le voit, la pratique des électrochocs s'est notablement modifiée en dix ans. Elle est devenue un acte d'une haute technicité, pratiquée dans un cadre juridique strict. Ces modifications, qui apportent une plus grande transparence et une plus grande sécurité pour le patient, ne modifieront pas fondamentalement l'efficacité thérapeutique d'un traitement qui persiste depuis plus de cinquante ans. C'est, là aussi l'un des paradoxes de l'électroconvulsivothérapie...

(1) Abrams R.

The mortality rate with ECT.

Convulsive Therapy 1997, 13 : 125-127

(2) Delbrouck P., Caillard V.

Situation actuelle de l'électroconvulsivothérapie publique française (enquête 1998)

Psychiatr. & Psychobiol. 1990, 5 : 381-386

(3) Delbrouck P.

ECT : interro écrite !

Dépression 1996, 2 h 9

COMORBIDITÉ DES TROUBLES DÉPRESSIFS
ET DES MALADIES
SOMATIQUES :
EXEMPLE DES MALADIES CARDIOVASCULAIRES

Jean-Michel Chignon

INTRODUCTION

Les troubles dépressifs chez les patients souffrant de pathologie organique, bien que fréquents, ont été peu étudiés. Mason et Frosch (1989) ont souligné la pauvreté des recherches concernant les thérapeutiques dans ce domaine. Deux raisons peuvent être invoquées face à ce manque. Premièrement, les nosographies dans la lignée du DSM-III ont été développées à partir d'études réalisées dans des populations indemnes de troubles somatiques. Deuxièmement, les patients souffrant de pathologies organiques sont classiquement exclus des études évaluant l'efficacité des psychotropes et, en particulier des antidépresseurs.

Le DSM-IV compte cinq formes de trouble dépressif : trouble dépressif (de l'humeur) du à une affection médicale générale, trouble dépressif majeur, trouble de l'adaptation avec humeur dépressive, trouble dysthymique et démence avec humeur dépressive. Les trois premiers troubles peuvent être particulièrement difficiles à différencier les uns des autres en la présence d'une affection médicale sévère. Les symptômes décrits peuvent être directement liés à la pathologie somatique ou à son traitement. L'existence d'encéphalopathies sub-cliniques, fréquemment rencontrées dans les maladies organiques sévères, peuvent compliquer le tableau. De plus, une dépression peut facilement masquer une pathologie physique ou cognitive et inversement. Par ailleurs, le trouble de l'adaptation avec humeur dépressive, le trouble dépressif du à une affection médicale générale et le trouble dépressif majeur sont probablement plus des paradigmes que des catégories mutuellement exclusives.

TROUBLES DÉPRESSIFS ET PATHOLOGIES SOMATIQUES

Trouble de l'adaptation avec humeur dépressive

L'apparition du DSM-III a été suivie d'une inflation du diagnostic de trouble de l'adaptation avec humeur dépressive chez les patients déprimés vus en consultation psychiatrique de liaison dans les services de médecine (Snyder et coll., 1990). Les premières recherches ont montré que la prévalence du trouble de l'adaptation avec humeur dépressive était plus du double de celle de trouble dépressif majeur dans les populations de patients hospitalisés dans des services de médecine (Snyder et coll., 1990). Par ailleurs, ce trouble aurait moins de répercussion sur la vie sociale des sujets et serait de meilleur pronostic que le trouble dépressif majeur (Snyder et coll., 1990). Pour le diagnostic de trouble de l'adaptation, il est nécessaire d'identifier « un ou plusieurs facteurs de stress », que « la souffrance ou les troubles du comportement soient plus importants qu'ils n'étaient attendus en réaction à ces facteurs de stress » et que « les symptômes ne persistent pas au delà de 6 mois, une fois que le facteur de stress ou ses conséquences ont disparu ». On remarque de suite que la validité de cette catégorie diagnostique est discutable, tant est floue la définition du critère A : « Développement de symptômes dans les registres émotionnels et comportementaux... ». Bien que la frontière entre le trouble de l'adaptation et les autres troubles dépressifs soit explicitement énoncée (critère C : « La perturbation liée au stress ne répond pas aux critères d'un autre trouble de l'Axe I et n'est pas simplement l'exacerbation d'un trouble préexistant de l'Axe I... »), les critères de ce trouble restent très flous et permettent un diagnostic certainement trop large. De plus, l'existence d'une maladie organique, l'hospitalisation et la souffrance sont autant de facteurs de stress chez la plupart des individus. La rupture brutale dans le fonctionnement quotidien, socio-familial ou professionnel est également un lieu commun de la maladie organique. Enfin, l'apparition de symptômes dépressifs dans de telles conditions peut également être considérée comme une réaction appropriée à la réalité d'une situation médicale difficile. Ainsi, la présence d'une maladie somatique entraîne-t-elle une inflation, certainement artificielle, du diagnostic de ce trouble. Néanmoins, l'identification du trouble de l'adaptation avec humeur dépressive a montré sa pertinence clinique chez les patients souffrant de maladie organique. En effet, l'apparition d'un trouble consistant en une réponse psychologique transitoire maladaptée avec cependant un facteur de stress identifiable est communément rencontrée par les psychiatres en consultation de liaison (Snyder et coll., 1990)

Le concept de trouble de l'adaptation avec humeur dépressive peut-il cependant être étendu vers un « épisode dépressif majeur chez les patients souffrant de pathologie organique » ? Une liste symptomatique est donnée explicitement par les auteurs du DSM-IV. Les signes directs de la maladie somatique ou les effets secondaires des traitements employés peuvent donner le change pour nombre de symptômes neurovégétatifs retrouvés dans cette liste (Cohen - Cole et Harpe, 1987). De plus, certaines encéphalopathies sub-cliniques peuvent s'accompagner d'agitation, de difficultés cognitives et de concentration... et ces symptômes peuvent tous être qualifiés de dépressifs. Leur sommation peut tout à fait satisfaire les critères d'Épisode Dépressif Majeur, surtout quand il n'est pas tenu compte de leur origine. Cela est d'autant plus grave que le traitement et le pronostic de ces troubles sont très probablement différents.

Les recherches cliniques effectuées jusqu'à ce jour semblent montrer que les troubles dépressifs apparaissant au cours des maladies organiques et les dépressions rencontrés par les psychiatres en pratique quotidienne sont différents. L'intensité symptomatique retrouvée chez les patients souffrant de pathologies organiques est généralement moins sévère. Ainsi, l'apparition de syndrome mélancolique, la présence d'idéation ou de comportements suicidaires sévères, et les diminutions importantes de l'estime de soi sont moins fréquemment rencontrés dans ce contexte (Noyes et Kathol, 1986). L'évolution clinique des deux types de troubles semble aussi différente (Noyes et Kathol, 1986). Une amélioration du trouble dépressif est souvent notée en parallèle à celle de la pathologie organique (Rifkin et coll., 1985). Dans une étude incluant des patients souffrant de dépression secondaire à une pathologie organique, Winokur et coll. (1988) ont montré que l'amélioration de la symptomatologie des dépressions associées à des maladies somatiques était plus rapide et plus stable que celle des troubles dépressifs accompagnés d'autres pathologies mentales. Ces auteurs ont alors proposé d'intégrer ces troubles dépressifs à l'ensemble des « dépressions réactionnelles ». L'efficacité thérapeutique des antidépresseurs tricycliques sur ce type de pathologie dépressive est bonne, elle semble être plus rapide et pour des posologies plus faibles que lors de leur prescription chez des patients souffrant d'épisode dépressif majeur isolé (Popkin et coll., 1985). Il est cependant possible que l'efficacité de ce type d'antidépresseur chez ces patients soit, cependant, plus liée à leurs activités sédatives, analgésiques et d'induction hypnotique qu'à leur propriétés antidépressives spécifiques. De plus, les dépressions intéressées par ces résultats sont certainement plus proches des troubles de l'adaptation avec humeur dépressive que de l'épisode dépressif majeur à proprement parler. Quoiqu'il en soit, des recherches plus focalisées, dont les symptômes purement psychiques seraient la cible spécifique, sont encore nécessaires et pourraient amener des éléments de réponse intéressants quant à l'appartenance ou non de ces troubles au spectre des « maladies dépressives ».

D'après les arguments pharmacologiques en notre connaissance, il apparaît clairement que les antidépresseurs à tropisme sérotoninergique pourraient trouver ici un grand intérêt. Quoiqu'il en soit, dans l'état actuel des connaissances, il semble que la prescription d'antidépresseur soit judicieuse chez les patients souffrant de trouble de l'adaptation avec humeur dépressive lorsque la symptomatologie ne réagit pas à des séances de psychothérapie brève ou ne s'amende pas parallèlement au trouble organique et, particulièrement lorsqu'il existe des troubles du sommeil et un syndrome algique important.

Trouble dépressif dû à une affection médicale générale

Le trouble dépressif du à une affection médicale générale est la traduction moderne de l'ancien « trouble dépressif d'origine organique ». Les maladies organiques classiquement concernées sont : l'accident vasculaire cérébral (AVC) et d'autres syndromes neurologiques, les endocrinopathies..., on y retrouve aussi les effets psychiques délétères de certaines médications somatotropes. Bien qu'il n'existe actuellement aucune estimation de la fréquence des différentes étiologies en cause, il semble que la plus fréquente soit l'origine toxique (Spar, 1989). Si, cependant, les études épidémiologiques et cliniques des syndromes dépressifs post-AVC sont nombreuses, il n'existe aucune recherche, si ce n'est des cas cliniques isolés, concernant les étiologies toxiques possibles médicamenteuses ou non de ces troubles dépressifs.

Le traitement le plus approprié de ces troubles est évidemment celui de leur cause. En cas d'impossibilité ou de persistance de la symptomatologie dépressive au delà de la guérison du trouble causal, il semble que la mise en place d'un traitement antidépresseur selon les mêmes règles que dans les troubles dépressifs classiquement rencontrés soit justifié. Ainsi, il peut être envisagé de mettre en place tant une chimiothérapie anti-dépressive qu'une série de sismothérapie.

Bien que les troubles dépressifs post-AVC soient un champ de recherche clinique et thérapeutique particulièrement fertile, force est de constater que les étiologies du trouble dépressif du à une affection médicale générale sont multiples. Cela est particulièrement vrai en gériatrie où les maladies chroniques, les décompensations de pathologies organiques, les infections, les perturbations métaboliques, les syndromes fébriles et douloureux, et l'utilisation de polychimiothérapies sont fréquentes.

Les effets psychiques des médications somatotropes sont souvent ignorés mais sont souvent responsables de troubles dépressifs organiques. Chez les patients souffrant de pathologies somatiques sévères accompagnées de symptômes dépressifs et de dysfonctionnements cognitifs, il est judicieux de se poser la question de la responsabilité du trouble dépressif per se ou d'une perturbation cognitive primaire.

Les auteurs du DSM-IV ont décidé de ne pas prendre en compte les troubles dépressifs organiques sur l'Axe I mais de les regrouper sous le terme générique de « Troubles dépressifs dus à une affection médicale générale » en précisant l'étiologie en cause sur l'Axe III. Cette approche a l'avantage de ne pas préjuger du rôle étiologique du facteur originel incriminé. En effet, un codage simultané sur les Axe I et III n'entraîne pas une relation de causalité explicite. D'autres auteurs, plus extrémistes, ont proposé d'exclure purement et simplement le trouble dépressif du à une affection médicale générale des troubles de l'humeur.

Épisode dépressif majeur

Comme nous en avons déjà discuté plus haut, il est ardu d'appréhender le concept d'épisode dépressif majeur concomitant à une pathologie somatique. Cette difficulté théorique trouve son reflet en clinique, et, comme nous l'avons vu, il est difficile de différencier un trouble de l'adaptation avec humeur dépressive, une encéphalopathie sub-clinique, des effets dépressogènes de certains médicaments somatotropes d'un véritable épisode dépressif majeur dans un contexte médical.

En pratique, il est d'usage courant d'entreprendre un traitement anti-dépresseur classique après une période d'observation. Ce temps permet de laisser s'améliorer un trouble de l'adaptation avec humeur dépressive qui s'amende généralement au fur et à mesure de la diminution de la symptomatologie somatique et, de ne pas méconnaître un trouble démentiel débutant, chez le sujet âgé, qui risquerait d'être masqué par la mise en place d'un traitement anti-dépresseur trop énergique. Par ailleurs, il est important de vérifier toutes les interactions médicamenteuses avec les traitements somatotropes avant de débuter une chimiothérapie antidépressive.

Bien que la plupart des études traitant de ce sujet ait utilisée des posologies classiques d'antidépresseurs, il semble que la symptomatologie dépressive sur ce type particulier de terrain soit sensible à des doses plus faibles (Rodin et Voshart, 1986). Dès l'apparition d'effets indésirables, il est judicieux de diminuer la posologie et de revenir au palier antérieur. Rifkin et coll. (1985) ont retrouvé des résultats tout à fait intéressants. Dans une étude en double-aveugle incluant des patients hospitalisés en médecine générale et souffrant d'épisode dépressif majeur, il ont rapporté une efficacité certaine de l'imipramine mais, ils ont montré que si les patients recevant le placebo, s'amélioraient parallèlement sur le plan thymique et somatique, les patients traités par imipramine rapportaient une amélioration de leur état dépressif même lorsque la symptomatologie somatique n'était pas modifiée.

La question reste encore sans réponse de savoir si la mise en place d'un traitement anti-dépresseur est nécessaire chez les patients souffrant de maladies somatiques et de troubles dépressifs moins sévères que le trouble dépressif majeur, comme les troubles de l'adaptation. Il semble aussi important de savoir si l'efficacité des antidépresseurs est modifiée par la présence d'une pathologie organique. Quelques éléments sont cependant à prendre en compte. En effet, il semble que les contre-indications aux antidépresseurs soient plus nombreuses et leurs effets indésirables plus fréquents chez les patients hospitalisés en médecine que chez ceux qui sont vus en ambulatoire (Popkin et coll., 1985). Mais n'est ce pas là le fait d'une plus grande agressivité des traitement somatotropes utilisés en médecine hospitalière ?

Il est important d'insister sur les particularités rencontrées lors du diagnostic et du traitement des troubles dépressifs rencontrés chez les patients infectés par le virus HIV. Chez ces malades, il devient extrêmement difficile, voire impossible, de distinguer le trouble de l'adaptation avec humeur dépressive, le trouble dépressif d'origine organique, ou un épisode dépressif majeur. Si une partie de ces patients peut bénéficier d'un traitement par les anti-dépresseurs imipraminiques ou sérotoninergiques ou à des cures de sismothérapie, la majorité d'entre eux et, en particulier ceux souffrant d'encéphalopathie sidéenne, tolère très mal les effets secondaires de ces produits et l'utilisation de psychostimulants pourrait être utile.

L'efficacité des anti-dépresseurs, comme la fluoxétine, la fluvoxamine, la paroxétine ou la sertraline, n'a encore été que peu évaluée. Il semble pourtant, au vu des éléments pharmacologiques dont nous disposons que la sertraline pourrait être intéressante dans cette indication (Martin, 1997).

Par ailleurs, nous ne disposons actuellement d'aucune donnée quant à la conduite thérapeutique à adopter en présence d'un état dépressif résistant chez les patients souffrant de troubles somatiques. L'adjonction d'une lithiothérapie, d'hormones thyroïdiennes, de neuroleptiques, la prescription d'IMAO classiques ou l'association de deux antidépresseurs ont fait l'objet de nombreuses études contrôlées dont les résultats restent cependant peu concluants. Les auteurs américains suggèrent que dans ce cas, la meilleure solution serait d'utiliser les psychostimulants amphétaminiques. Et les Français ?

TROUBLES DÉPRESSIFS CHEZ LES PATIENTS SOUFFRANT DE PATHOLOGIES CARDIO-VASCULAIRES

Pour illustrer la complexité du problème posé par la comorbidité entre les troubles dépressifs et les pathologies somatiques, il semble que l'exemple des maladies cardio-vasculaires soit le plus représentatif.

Carney et coll. (1987) ont retrouvé une grande fréquence de troubles dépressifs chez les patients souffrant de pathologies coronariennes. Ils ont montré que les patients hospitalisés pour infarctus du myocarde et souffrant conjointement d'épisode dépressif majeur avaient plus de risque de rechute d'infarctus que les autres. Dans leur étude, ces auteurs ont retrouvé une prévalence de 18 % pour l'EDM et de 27 % pour les autres troubles dépressifs. Par ailleurs, ils ont montré que la sévérité de l'infarctus n'était pas corrélée à l'intensité du trouble dépressif et que seulement 10 % des patients déprimés avaient reçu un traitement antidépresseur dans les trois mois suivant le début de l'épisode dépressif. Autrement dit, le diagnostic de trouble dépressif dans les suites d'un infarctus est rarement fait et le traitement rarement mis en place.

Ces auteurs ont par ailleurs montré que les antécédents dépressifs dans l'année précédent l'apparition de la pathologie cardiaque (i.e. : infarctus du myocarde, angor instable, ou mort par infarctus massif) étaient le trouble psychiatrique le plus fréquemment retrouvé. La présence de ce facteur de risque était de plus indépendant d'un tabagisme où d'une pathologie cardiaque préexistante.

De nombreuses études ont retrouvé une relation entre pathologie cardiovasculaire et mort subite chez les patients souffrant de troubles dépressifs (pour revue voir Winokur et coll., 1988). Dans cette étude, parmi les patients décédés, 48 % souffraient de pathologie somatique contrastant avec une incidence de 19 % chez les survivants. Le taux de mortalité était plus important chez les patients souffrant de troubles dépressifs secondaires à une maladie somatique sévère en comparaison à ceux souffrant de dépression primaire. Par ailleurs, Carney et coll. (1987) ont montré une plus grande incidence de mortalité et de survenue d'un second infarctus chez les patients déprimés qui n'avaient pas été traités par antidépresseurs. Dalack et Roose (1990) ont par ailleurs montré que, bien que le mécanisme de la relation entre trouble dépressif et pathologie cardiovasculaire ne soit pas encore élucidé, cette comorbidité était fréquente et influençait grandement le pronostic de la maladie cardiaque.

Certains auteurs ont retrouvé une relation entre la présence d'un stress important, de troubles anxieux comme le trouble panique et les troubles du rythme et de la conduction cardiaque (Chignon, 1993) ou de l'apparition d'une fibrillation ventriculaire de mauvais pronostic dans les suites immédiates d'un infarctus du myocarde (Carney et coll., 1987). Dalack et Roose (1990) ont montré que la présence de dimensions dépressives lors des arythmies ventriculaires était la deuxième variable prédictrice, après le grand âge, d'un mauvais pronostic. D'après ces auteurs, il est possible de suggérer que les symptômes dépressifs pourraient être les manifestations cliniques d'un stress psychologique qui prédisposerait à des troubles du rythme ventriculaire chez des sujets vulnérables et pourrait, en partie, expliquer la surmortalité des patients souffrant de trouble dépressif majeur. L'étude électrocardiographique a montré que les longueurs du segment R-R correspondaient au fonctionnement de la balance des systèmes sympathique et para-sympathique (Winkle, 1982). Par ailleurs, la fréquence cardiaque est abaissée chez les patients souffrant de pathologie coronarienne sévère ou de cardiomyopathie et, constitue le facteur pronostique le plus pertinent de mortalité car il est le reflet d'une hyper-stimulation sympathique ou d'une diminution du tonus vagal. Dalack et Roose (1990) ont montré que les patients déprimés avaient une diminution de l'activité para-sympathique par rapport aux sujets contrôles inclus dans leur étude. Or, l'abaissement du tonus vagal entraîne une diminution des processus physiologiques de contrôle des fibrillations ventriculaires (Winkle, 1982), il est donc envisageable que l'hyper-excitabilité sympathique chez les patients cardiaques déprimés participe au mécanisme pathophysiologique d'accroissement du risque de surmortalité cardio-vasculaire chez ces patients.

La fréquence d'apparition d'hypotension orthostatique induite par la prise d'imipraminiques dépend de la pathologie dépressive et somatique existante chez le patient traité. Elle est rapportée chez 1 % des patients souffrant de troubles cardio-vasculaires mais indemnes de pathologie dépressive caractérisée, chez 5 % des patients mélancoliques sans maladie cardiaque associée, chez 25 % des patients souffrant de troubles dépressifs et d'hypertension artérielle sans cardiomégalie et chez 50 % des patients déprimés, hypertendus avec une insuffisance cardiaque (Glassman et Roose, 1987). Au vu de ces résultats, il est logique d'éviter de prescrire des antidépresseurs imipraminiques chez les sujets âgés souffrant d'insuffisance ventriculaire gauche. Dalack et Roose (1990) ont cependant suggéré que les antidépresseurs tricycliques peuvent être utilisés chez les patients déprimés souffrant d'arythmie ventriculaire et de myocardiopathie, en surveillant la tension artérielle de façon régulière et, si le traitement est mis en place en milieu hospitalier. En revanche, ces auteurs insistent sur le risque de mort subite en cas d'administration de ce type de produit chez les patients atteints de bloc de branche. Soulignons cependant ici que l'hypotension orthostatique induite par les antidépresseurs tricycliques serait d'autant plus fréquente que l'intensité du syndrome dépressif est faible.

L'administration de nortriptyline (Altilev°), antidépresseur tricyclique peu employé en France, ne semble cependant pas entraîner d'hypotension orthostatique (Dalack et Roose, 1990). De plus, l'augmentation des taux sériques de nortriptyline, chez les patients déprimés d'âge moyen et n'ayant aucun trouble cardio-vasculaire, n'aurait aucune conséquence sur la longueur du segment QT et du complexe QRS, témoins de la conduction auriculo-ventriculaire et intra-ventriculaire (Dalack et Roose, 1990). En revanche, la prise d'imipramine ou de clomipramine augmenterait de façon significative, non seulement la longueur des segments PR et du complexe QRS mais également celle du segment QT, témoins de la dépolarisation ventriculaire. Ainsi, les patients souffrant de bloc auriculo-ventriculaire même asymptomatique auraient deux fois plus de risque de développer un trouble grave de la conduction lors de l'administration d'antidépresseurs imipraminiques (Dalack et Roose, 1990). De plus, la prescription d'un antidépresseur tricyclique chez des patients traités par des anti-arythmiques, en particulier de type 1A (quinidine...) doit être instaurée en milieu hospitalier et sous monitoring cardiaque en regard du risque d'induction de trouble majeur du rythme lié à la co-administration des deux types de médicaments.

Les antidépresseurs de structures chimiques différentes de celle des imipraminiques n'auraient pas d'influence sur la fraction d'éjection ou sur d'autres indices de la fonction ventriculaire gauche et, entre autre, n'induiraient pas de trouble de la tension artérielle (Dalack et Rosse, 1990). Rappelons tout de même qu'aucune étude contrôlée, chez le sujet indemne de pathologie cardio-vasculaire, comparant imipraminiques et les autres classes d'antidépresseurs n'a pu retrouver de risque accru d'effets délétères sur le rythme cardiaque ou sur la tension artérielle dans les groupes traités par antidépresseurs tricycliques.

CONCLUSION

Après cette courte revue de la littérature, il est clair qu'il est important de mettre en place des études de bonne méthodologie permettant d'appréhender la comorbidité des troubles dépressifs et des maladies somatiques dont les pathologies cardio-vasculaires ne sont qu'un exemple.

N'oublions pas que les médecins généralistes sont souvent confrontés à des patients souffrant conjointement de pathologie organique et thymique. Les patients vus ou hospitalisés en psychiatrie sont souvent « privilégiés », dans le sens où, toute comorbidité psychiatrique mise à part, ils sont souvent indemnes de pathologie somatique grave. Il est donc urgent de mettre en place des études thérapeutiques permettant de définir des schémas thérapeutiques appropriés pour les malades souffrant conjointement de pathologie dépressive et organique. De plus, en amont, il semble non moins urgent et important de réfléchir sur la formation universitaire et post-universitaire des omnipraticiens qui sont en « première ligne » et qui sont nos interlocuteurs privilégiés dans la prise charge de ces patients.

RÉFÉRENCES

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