ZONES DE
PRODUCTION
La
zone du triangle d'or recouvre 3 pays (Birmanie, Laos, Thaïlande), celle
du Croissant d'or également (Afghanistan, Iran, Pakistan). Au sein de ces
régions, l'Afghanistan et la Birmanie sont de loin les deux premiers
producteurs mondiaux, avec respectivement plus de 3000 tonnes et environ
2500 tonnes par an.
La
culture du pavot est également en passe de devenir particulièrement
importante dans des régions comme le Yunnan chinois ou le Kazakhstan,
l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan ou même l'Ukraine.
Elle
existe dans des proportions moindre au Mexique, en Egypte, en Turquie, en
Corée du Nord et en Biélorussie.
De
manière générale, la culture du pavot se développe lorsque deux
conditions sont réunies : d'une part, quand sa rentabilité est sans
commune mesure avec des cultures traditionnelles qui ne suffisent pas à
la subsistance (un paysan afghan touche par exemple 50 fois plus en
cultivant du pavot qu'en cultivant du maïs ou du blé), d'autre part
lorsqu'une situation politique chaotique empêche toute répression
efficace.
L'héroïne
en tant que telle est produite dans le Triangle d'or à hauteur d'environ
300 tonnes par an. Le Croissant d'or fournit quant à lui de 100 à 150
tonnes annuelles.
Une
quantité non négligeable est consommée localement (entre un quart et un
tiers de la consommation mondiale, soit de 100 à 150 tonnes par an). Les
petits passeurs sont en effet couramment payés en nature. De fait, entre
2 et 3 millions de Pakistanais seraient toxicomanes à l'héroïne. En
Chine, le gouvernement reconnaissait en 1995 plus de 500 000 héroïnomanes
dont 100 000 pour la seule province du Yunnan. Dans le nord de la Thaïlande,
c'est 20 à 30 % de la population qui serait intoxiquée.
Les
exportations suivent pour leur part les chemins les plus divers. Toutes
les voies de transport sont utilisées : terrestres, aériennes,
maritimes. A ce titre, la Thaïlande est une plaque tournante majeure du
trafic généré par le Triangle d'or, avec ses deux aéroports
internationaux Bangkok et Phuket, tout comme Taiwan, Singapour, Hongkong,
Macao et la Malaisie (routes de l'est, sous l'emprise des Triades
chinoises), l'Inde, le Sri-lanka, le Bangladesh et le Népal (routes de
l'ouest). C'est à partir de ces plaques tournantes que la drogue est affrétée
vers l'Europe et surtout l'Amérique du Nord (70 % de l'héroïne produite
dans le Triangle d'or y est exportée).
La
production du Croissant d'or est quant à elle majoritairement exportée
vers l'ouest, via la Turquie (un mouvement indépendantiste comme le PKK,
le Parti des travailleurs du Kurdistan, est partiellement financé par le
trafic de drogue), la Syrie, le Liban (raffinage), les Balkans et les pays
d'Europe orientale. Des filières se développent par ailleurs rapidement
au niveau des anciennes républiques soviétiques telles que le
Tadjikistan, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan, tout comme dans les pays du
golfe Persique, du fait de l'importance des infrastructures aériennes :
Emirats arabes unis, Arabie Saoudite, Qatar et Bahrein.
Moins
directes, les filières africaines existent cependant bel et bien, animées
principalement par des gangs nigérians qui sont en relation avec les
producteur du Croissant d'or, mais aussi, de plus en plus souvent, du
Triangle d'or (l'héroïne fabriquée y est plus pure). La drogue transite
par des aéroports comme Dakar, Abidjan ou Addis Abeba vers l'Europe et
l'Amérique.
Si
les pays occidentaux constituent effectivement le bout de la chaîne
d'exportation, il convient de relativiser leur part dans la consommation
mondiale, comprise selon les experts entre le tiers et la moitié de
celle-ci (grosso modo autour de 200 tonnes par an). Le reste est consommé
dans les pays de production (110 à 140 tonnes annuelles) et de transit
(70 à 100 tonnes annuelles).
Un phénomène nouveau est le déplacement des pistes du trafic des
drogues vers des pays nouveaux ; l’exemple du Vietnam est
concluant. Depuis 1995 ce pays est considéré par le gouvernement américain
comme un « pays de transit
majeur » des drogues.
La
conjonction de facteurs historiques, géographiques, politiques, économiques
et ethniques prédispose le pays à jouer un rôle majeur dans le nouveau
marché mondial des drogues. La guerre que les Américains ont livrée aux
troupes communistes, l’usage d’héroïne par les soldats ont introduit
des nouvelles donnes. La production et le trafic connaissent actuellement
un véritable boom. Le Vietnam n'a jamais été considéré comme un
producteur majeur d'opium, à la différence de ses voisins : le Laos –
un des trois sommets du Triangle d'or – et la région chinoise du
Yunnan, qui en produisait annuellement plusieurs centaines de tonnes
pendant la première moitié du siècle. Autorisée par le gouvernement
jusqu'en 1992, la production locale était largement destinée à l'usage
médical traditionnel. Installées de part et d'autre des frontières avec
la Chine et le Laos, les tribus méo (ou hmong) et tai ont
cependant appris à tirer des ressources de ces cultures à l'époque
coloniale, lorsqu'elles alimentaient la Régie
indochinoise de l'opium. Et surtout, après la seconde Guerre
Mondiale, avec la décision des services spéciaux français – puis américains
– de recruter des supplétifs parmi ces ethnies et de financer leur équipement
avec l'argent tiré de la commercialisation de leurs productions.
Depuis
1993, les ethnies montagnardes sont la cible privilégiée de campagnes d'éradication
orchestrées par le pouvoir central. Aujourd'hui, les autorités de Hanoi
reconnaissent encore la présence du pavot dans douze provinces
montagneuses du nord-ouest.
Pourtant
le phénomène drogue semble être entretenu par le pouvoir public :
au début de l'année 1997, un observateur de l'OGD (Observatoire
Géopolitique de la Drogue) a pu constater une augmentation des
surfaces cultivées dans le Nord du pays. A Ho Chi Minh-Ville, le cannabis
est cultivé et entretenu dans un grand nombre de jardins publics. La
consommation de la marijuana locale est donc très répandue. A Hanoi, les
jeunes gens fument dans les jardins publics en jouant au mah-jong. L'herbe
est en vente dans toutes les petites boutiques, dans des emballages de
cigarettes proposés au prix d'un demi-dollar (les vrais paquets de tabac
coûtent quelque huit dollars).
En
1996, dans la province de Lam Son, à la frontière avec la Chine, des
analyses d'urine dans les écoles secondaires ont révélé la présence
de traces d'héroïne chez un enfant sur dix. A Hanoi, certaines rues de
la vieille ville se sont transformées en shooting
galleries. Deux catégories de jeunes usagers sont apparues : des
adolescents aisés, lycéens ou étudiants à la recherche de sensations
nouvelles, et des représentants des couches sociales les plus défavorisées.
Depuis la mi-1996, une héroïne n°4
extrêmement pure (jusqu'à 50 %, ce qui permet de la fumer) est
disponible de un à deux dollars la dose de 20 milligrammes dans la
capitale, souvent à la sortie des établissements scolaires.
Dans
les quartiers populaires de Ho Chi Minh-Ville se multiplient aussi les shooting
galleries. A Saigon, le produit le plus répandu est un résidu
liquide d'opium surnommé « eau
noire ». L'usage de cette drogue à bas prix (25 cents US
l'injection), avec partage des seringues, est à l'origine de l'inquiétante
progression de la pandémie de sida.
L'émergence
du Vietnam sur le marché international des drogues s'explique par une
conjonction de facteurs. Des facteurs ethniques d'abord : depuis des siècles,
la région vit au rythme de mouvements migratoires qui ont conduit à la
présence de populations cambodgiennes au Vietnam, vietnamiennes au
Cambodge, ou de minorités montagnardes déjà citées dans une zone
englobant Nord du Vietnam, Laos et sud de la Chine, ou encore de fortes
diasporas chinoises – arrivées en masse à la fin des années 1970 et
au début de la décennie suivante – au Nord du pays ou à Cholon, la Chinatown de Ho Chi Minh-Ville. Les réseaux qui en sont issus,
agissant pour le compte de triades hong-kongaises, se partagent avec des
militaires le marché intérieur des drogues. La précarité – politique
ou matérielle – de ces populations, les courants d'échange
transfrontaliers qu'elles ont su créer et maintenir, favorisent les
trafics.
Interviennent
enfin les facteurs historico-politiques. Les liens renoués avec les
ennemis d'hier (France, Etats-Unis, Chine), s'ils ont permis l'ouverture
au monde de l'une de ses nations les plus pauvres, offrent également un
contexte favorable au trafic. Celui-ci ne peut que profiter de la décision
politique d'encourager les échanges économiques, souvent au prix d'un
assouplissement des procédures et des contrôles. C'est ainsi que, depuis
l'ouverture des frontières avec la Chine, en 1991, et l'introduction de
l'économie de marché, la contrebande entre les deux pays – mais aussi
avec tous les voisins, jusqu'au Japon – est passée de l'artisanat à l'échelle
industrielle.
Dès
1991, un responsable du FBI s'inquiétait devant une commission du Sénat
américain du risque que les gangs vietnamiens, apparus en Amérique du
Nord à la fin des années 1980 et jusque-là inféodés aux triades
chinoises, « développent une
hiérarchie structurée pour devenir de plus en plus sophistiqués et indépendants ».
Il
importe de souligner que le trafic au départ du Vietnam ne vise pas
seulement les pays occidentaux. Au début de l'année 1996, la police
japonaise exprimait sa préoccupation face à l'émergence du Laos et du
Vietnam comme nouveaux relais des filières de l'héroïne à destination
du pays du Soleil levant. Un rôle tenu jusqu'alors par la Thaïlande et
la Malaisie. De même, la plaque tournante vietnamienne est empruntée par
différentes drogues. Le pays est aussi une étape sur la route du shabu,
forme cristalline du sulfate de méthamphétamine également connue sous
le nom d'ice. Venant de
laboratoires chinois ou du Triangle d'or, cette drogue emprunte la voie aérienne
à destination de Manille puis, éventuellement, du Japon, son principal
consommateur en Asie.
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