SOCIOLOGIE
DU RISQUE
La signification des activités
engagées par les acteurs dans leur vie personnelle ou professionnelle,
dans les loisirs, pour aller à la rencontre du risque ou s'en protéger.
Dans l'affrontement
physique au monde l'individu recherche ses marques, les limites de la loi.
La recherche de l'image du père symbolique, identifié à la loi, se
trouve au centre de la plupart des conduites à risques.
Le cadre réel de la vie échappe
le plus souvent ; le contenir semble un effort insurmontable, d'où cette
quête d'un refuge absolu, presque virtuel.
Avant de vivre, s'impose la
nécessité anthropologique de comprendre pourquoi l'on vit, de donner une
valeur à sa présence au monde.
Les prises de risque soulèvent
des questions brûlantes, elles imposent l'urgence de leur compréhension,
car si elles sont souvent un plaisir, une recherche de sensations, elles
traduisent souvent une souffrance, un mal de vivre chez les jeunes générations
qui recherche à travers elles une légitimité à exister.
Le risque apparaît comme
un affrontement désiré aux limites, comme un apprentissage de la " capacité
à faire face ". La prise de risque sollicite aussi la question
de l'estime de soi, de la réputation personnelle. Le risque est également
une mesure de sa responsabilité envers les autres. La relation entre la
prise effective de risque et la sensation subjective du risque encouru.
On peut considérer comme
conduite à risque tout comportement impliquant un danger vital ; il
faut pourtant faire la démarcation avec certaines professions ou activités
sportives considérer à fort potentiel de risque, situations qui
s’inscrivent dans les normes socioculturelles.
Pour certaines conduites de
risque la parallèle avec les conduites addictives paraît évidente :
concordance entre plaisir recherché et le besoin, l’impéritie, la répétition
de la conduite et de la mise en condition, la réalisation d’un acte
malgré la réprobation sociale, apparition et augmentation de la tolérance
qui entraîne l’accentuation des risques.
La notion de risque apparaît
comme une variable psychologique majeure, facteur déterminants des
comportements ; l’acceptation, l’évitement ou la recherche du
risque conduit à des typologies différentes pouvant aller de l’audace
extrême – jugée parfois comme inconscience ou héroïsme inutile –
jusqu’à la prudence la plus grande.
Le risque pose d’une manière
évidente la question du rapport à la mort, la mise en acte de son
impulsivité mais aussi la recherche de sensations nouvelles et fortes.
Zuckerman, a développé le concept de " niveau optimum de
stimulation " et a ainsi crée l’échelle Sensation Seeker
Scale – qui représente un descriptif psychocomportemental de la
recherche des sensations. Les composantes de cette échelle –
désinhibition,
recherche de danger et d’aventure, besoin d’expériences nouvelles,
intolérance à l’ennui – permettent de mettre en évidence la
proximité de la recherche de sensation et des conduites à risques. Chez
les personnes présentant des conduites addictives – comportements de
consommation des substances psychoactives (drogues, médicaments, alcool),
joueurs pathologiques – on retrouve souvent les mêmes critères de la
recherche des sensations susceptibles à favoriser l’adoption des
comportements de dépendance.
L’identification au héros,
fait partie des mythes ancestraux ; les jeunes ont toujours rêvé de
ressembler à ces " pères virtuels ", munis de toutes
les qualités de courage, choisis comme modèles de vie. Les jeunes, mais
aussi les moins jeunes, ont tendance à copier leurs modèles - habitudes
alimentaires, vestimentaires, mais surtout mode de vie. Vivre comme
l’idole amène parfois à la perte des instincts de conservations. Un
seul exemple peut suffire : l’impact social du suicide d’une
personnalité du show-bizz ou politique est tel, qu’une augmentation
significative du nombre de passage à l’acte est multipliée par trois
ou quatre.
La nécessité de vivre en
situation de risque, apparaît comme une composante indéniable des sociétés
modernes, qui paradoxalement, a fait du discours sécuritaire et
protecteur un leitmotiv promotionnel. L’éloge littéraire ou cinématographique
des héros modernes, la roulette russe – symbole de l’honneur et de la
virilité des officiers de l’armée impériale tsariste, les escrimeurs
étudiants allemands du début du siècle – qui rechercherait les
balafres comme signes de la combativité et de l’honneur – sont de
nature à sacraliser ces conduites de prise de risque. Dans un film récent,
Crash, les personnages cherchent à heurter les véhicules qui viennent du
sens opposé, dans une recherche des sensations orgasmiques. Le stigmate
de la blessure et de la balafre, trace physique mais aussi mnésique,
prend la dimension d’un symbole initiatique. La répétition de cette
initiation, à travers des multiples blessures et cicatrices, renforce
l’ego des participants. La douleur physique et morale causée par les
accidents, la détresse des familles qui sont entraînées passivement
dans ces catastrophes perdent toute dimension réelle. On vit dans un
monde à soi, crée par des initiés, qui l’habitent selon des normes très
rigoureuses, entourées de mystère.
Le phénomène de
surstimulation ambientale a des conséquences psychiques, avec
l'apparition des comportements de défense ou le renforcement des troubles
du comportements préexistantes. L'adaptabilité aux nouveaux facteurs de
stress est mise en jeu.
La crise confusionnelle qui
accompagne ces changements - l'usage démesuré des drogues,
l'augmentation du mysticisme et le refuge dans les différents mouvements
culturelles et sectaires, les explosions de violence - reflète d'une manière
assez fidèle la détérioration des processus décisionnelles de
l'individu dans les conditions d'une surcharge ambientale.
Les multiples
sollicitations ambientales demande la recherche des solutions, variées,
adaptées. Certaines personnes, ayant un terrain psychopathologiques prédisposant,
vont faire recours à une seule et unique solution - la drogue et le
refuge apparent et temporaire que celle-ci peut fournir. Ces personnes
vont utiliser des tas de produits psychoactives qui auront l'avantage de
remplacer la somme de leurs problèmes existentielles et d'adaptabilité
avec un seul problème unique, la consommation et l'addiction aux drogues.
Cette consommation leurs simplifient l'existence d'une manière radicale,
mais temporaire. Pour eux, les autres problèmes deviennent sans
signification en comparaison avec l'abus de drogue.
Un livre récent " La
fin du travail ", par Jeremy RIFKIN, met en cause la notion même
de loisir. Pour l’auteur, la société du futur se verra confronter à
plusieurs phénomènes négatifs liés à la pérennité du travail, aux
différents facteurs sociaux. Le chômage ira croissant, le boom du troisième
âge et la déstructuration profonde de la société, créeront les prémices
d’une société qui aura besoin de loisirs, pas comme passe temps et
comme moyen récréatif, mais surtout comme manière de calmer des esprits
trop enclins à la violence. La population urbaine risque de se trouver
face aux nouvelles conditions de vie liées au chômage, à la baisse régulière
et constante de revenus. La question que RIFKIN se pose, est celle de la nécessité
d’augmenter les loisirs et les passe temps d’un prolétariat
grandissant. Les voyages virtuels (voire " Total Recall ",
où le héros incarné par Schwarzenegger fait un voyage intergalactique
grâce aux techniques de la suggestion et de l’autosuggestion et à
l’aide des substances psychoactives), les jeux de rôle et surtout les
acquisitions des Nouvelles Techniques de l’Information et de la
Communication (lunettes en 3D, combinaisons et gants ultrasensoriels),
ouvre la porte vers l’imaginaire. Les drogues psychédéliques font
partie de la panoplie qui accompagne ces loisirs. Il me semble pertinent
de poser une question : pourquoi de plus en plus d’organismes de
formation professionnelle ou des associations qui enseignent les
techniques du bien-être et de la découverte de soi, sont investis par
les sectes ? La réponse est donnée par l’existence d’une
association comme le " Patriarche ", association
d’aide et soutien aux toxicomanes. On le sait de plus en plus que les
techniques employées par les gourous du Patriarche n’ont rien à envier
aux techniques du lavage de cerveau et des manipulations mentales utilisées
par les autres sectes. Le monde en perte d’idéal et de repères
serait-il la proie des sectes ?
Dans le cas des
toxicomanes, le " shoot " prend la dimension du
contact physique entre l’aiguille et la peau. Transpercer la couche
dermique - protection et enveloppe - chercher et transpercer la veine afin
d’injecter le produit tient d’un rituel précis. Il n’y a pas de
douleur, pas de sensation de danger. La trace du " shoot ",
les cicatrices, les phlébites, constituent les signes de l’implication
physique de l’organisme. La notion de recherche de sensation et de prise
de risque s’exprime à travers le partage de seringues souillées, sans
précaution de désinfection. Le groupe fait tourner la seringues comme
dans le rituel des officiers tsaristes qui faisait tourner le revolver
chargé. Les rapports sexuels à risque sans protection, dans
l’ignorance de l’état sérologique des partenaires, est une
composante dans la recherche de sensation, dans le désir de vivre des émotions
fortes. De plus en plus les mass-média font état du nombre grandissant
des jeunes conducteurs qui roulent sous l’emprise des substances
psychoactives – alcool, cannabis ou ecstasy après des soirées " rave ".
La transgression se complète avec notion de prise de risque et recherche
du niveau optimal de stimulation. Le besoin de stimulation, phénomène de
société s’exprime à travers les nouvelles " béquilles
chimiques ", molécules du bien-être dans le cas du ProzacÒ ,
molécules de la performance sexuelles – ViagraÒ .
L’usage des drogues
" socialisantes ", avec des action amphétamines-like,
comme le 2 CB, le GHB, témoignent d’une défaillance au niveau de la
communication, d’un isolement ressentie de plus en plus par les citoyens
lambda. L’apparition d’une addiction communicationnelle à travers les
groupes de dialogues existantes sur Internet – Internet Relay Chat - IRC
– met en évidence le besoin de communiquer à tout prix, de quitter son
isolement, d’abandon de la " tour d’ivoire ". Le
glissement vers des nouveaux mondes, virtuels, dénoués de toute
contrainte d’apparence physique, mondes lisses, facile à vivre, attire
les déçus de la vie réelle – à travers les IRC ou à travers les
jeux de rôle en réseaux, jeux qui nous plongent dans le cyberespace.
Chez les toxicomanes, les
phénomènes de dépendance et d’appétence à la drogue sont souvent
plus importants que la recherche des expériences périlleuse. Tout au début
de sa consommation de la drogue, le toxicomane est très prudent vis-à-vis
de sa sécurité – il ne pratique pas l’échange des seringues utilisées,
il prend soin de désinfecter la peau et surtout veille à la qualité et
la pureté des produits consommés. Dans les étapes avancées de la
toxicomanie, la personne veille moins à sa sécurité, ce qui l’importe
c’est la rapidité de l’atténuation de son état de manque. Les
mesures élémentaires d’hygiène sont vite oubliées, les précautions
vis-à-vis de la qualité du produit passe au second plan. A cette étape
de la toxicomanie, le rite du " shoot " perd sa valeur
symbolique, la notion protectrice du groupe perd sa valeur ; la
toxicomanie solitaire que vit le sujet expose davantage aux risques
d’overdoses et de contamination virale et bactérienne.
La notion de désir de mort
et de tentative de suicide par l’intermède de la drogue a fait couler
beaucoup d’encre. Croire que le toxicomane cherche à travers sa prise
de risque de se donner la mort, me semble faux. On doit prendre en compte
la symbolique du " shoot ", avec ses risques bien
connus, intégrés par la population toxicomane. C’est surtout le désir
de frôler la mort, de plonger dans le tunnel chaud - froid, lumineux –
obscur, décrit par Raymond Moody dans " Life after life ".
Cette " expérience interdite - flatline ", rend
les toxicomanes égaux des dieux. Il n’est pas anodin le fait que les
drogues de synthèse en vogue aux USA depuis quelques mois portent le nom
de flatlinners. La possibilité de pouvoir ressortir, renaître d’une
telle expérience, n’est pas réservée au commun des mortels. C’est
bien là le renforcement positif de leurs comportements.
Le terme de conduite
ordalique (M. Valleur, A. Charles-Nicholas), renvoie au jugement suprême,
divin qui déclarait " innocent ou coupable l’individu soupçonné
de sorcellerie selon qu’il survivait ou mourait, qu’il flottait,
qu’il était ou non brûlé par le fer rouge ". C’est la
recherche d’un jugement final par une puissance suprême, surnaturelle,
qui rend la décision de mort ou de vie. Etre l’élu de Dieu, confère
au toxicomane qui subi l’épreuve, une force et une motivation de la répétition,
la renaissance étant règle après chaque prise de produit.
L’imaginaire populaire
veut que les toxicomanes soit des suicidants, dominés par la seule envie
d’autodestruction. Pourtant, le concept d’ordalie redonne une autre
dimension à ces " conduites de suicides embryonnaires "
déjà décrites par Durkheim, les prises de risques étant plutôt des réflexes
de défense contre les pulsions autodestructrices. Cette prise de risque
consciente, remet en cause le sens final de l’existence, la légitimité
de vivre ou de survivre.
Influence du groupe
La dynamique des groupes aurait un effet de surenchère des positions
personnelles à cause de la valorisation du risque et par l'effet
d'initiation et d'appartenance au groupe initiatique. La dilution des
responsabilités, l'impression de sécurité que le groupe confère, la
dissolution du Surmoi, pousse l'individu à des actes qu'il n'aurait
jamais osé accomplir seul.
Suicide
Le risque encouru est celui de la mort ou d'une atteinte à l'intégrité
personnelle. L'alcoolisme, la toxicomanie, la pratique des activités
sportives " extrêmes ", sans précautions à
l’entraînement adéquat, la négligence des mesures de protection lors
des relations sexuelles, ce sont là des exemples parmi d'autres de
conduites répétitives mettant en jeu l'existence.
Le suicidant est en pleine
crise personnelle, ne supporte plus le poids de son mal de vivre. Ces
comportements surgissent parfois de manière sporadique en réaction à un
événement particulièrement frustrant; ces comportements permettent de
reprendre le contrôle émotionnel d'une situation.
Le cas particulier des
"sortes de suicides embryonnaires" selon DURKHEIM - les
personnes conscientes que leurs modes de vie les exposent aux plus grands
risques, mais qui avouent être incapable de changer leurs modes
d'existence.
La crise de la jeunesse
L’étude de l'INSERM de 1994, montre que 70,5% des jeunes sont plutôt
bien dans leurs familles. Sur 814.000 jeunes ayant quitté le système éducatif
français en 1993, 88.300 restent sans qualifications.
L'adolescence représente
l'éloignement du monde protégé de l'environnement familial, scolaire.
Le passage entre ces deux mondes est un moment de perte d'une part et de
reconstruction d'autre part des valeurs et des sens. La relation à
l'autre est modifiée, du fait de la transformation sexuelle et
identitaire. |